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dre sa réponse, ayant tourné le dos à M. de Talleyrand, celui-ci se retira fort effrayé, mais sans que la terreur qu'il éprouvait eût rien de visible pour personne.

Comme M. de Talleyrand sortait, Cambacérès, seul avec l'empereur et le duc de Rovigo, se disposait à le suivre, quand Napoléon, le rappelant :

« Prince, lui dit-il, vous venez de m'entendre reprocher à Talleyrand ses dernières perfidies; mon intention n'est point de m'en tenir à de vaines menaces. Je vais donner sur le champ l'ordre de l'ar

rêter. »

Le duc de Rovigo, de qui l'on tient ces détails, se joignit à l'archi-chancelier pour tâcher de retenir les effets de la colère de l'empereur. Ils lui dirent que, si la preuve de la trahison du vice grand électeur était manifeste, il fallait sans aucun doute le faire arrêter et le punir selon toute la rigueur des lois, mais ils lui représentèrent en même temps que, si les griefs qu'on lui imputait n'étaient pas appuyés de preuves suffisantes, il n'y aurait pas matière à le mettre en jugement; ils ajoutèrent que dans les circonstances présentes, une arrestation de cette nature était une chose fort délicate; enfin ils conclurent en engageant l'empereur à tempérer sa colère et à ne la laisser éclater que quand on aurait réuni une masse de preuves qui justifieraient une telle mesure aux yeux de la nation. Napoléon se rendit à ces représentations :

<< Mais rappelez-vous, dit-il à ses deux conseil

lers, que l'homme que vous soutenez est capable de perdre la France, et qu'alors il n'aura pas à votre égard la magnanimité que vous montrez envers lui.»>

Instruit de l'empressement que l'archi-chancelier et le ministre de la police générale avaient mis à le disculper, M. de Talleyrand leur en témoigna sa reconnaissance; à la sollicitation de Cambacérès, il obtint même, quelques jours après, une audience de l'empereur, et à la suite d'adroites justifications, d'une nouvelle protestation de fidélité, l'empereur eut l'air de croire à la sincérité de M. de Talleyrand, qui toutefois reçut l'ordre de se retirer dans

ses terres.

Mais M. de Talleyrand ne partit point. Il fit le malade et intéressa à sa disgrâce quelques dévoués compagnons d'armes de Napoléon, et celui-ci, facile à se calmer encore plus qu'à s'irriter, révoqua l'ordre d'exil.

A Lutzen et Bautzen, l'honneur des armes françaises fut réparé, si d'ailleurs, il en avait besoin; car il est évident que la rigueur du climat avait seule, l'année précédente, vaincu la grande armée. Les étrangers de l'intérieur, comme on les appelait alors, et dont désormais M. de Talleyrand faisait partie, eussent voulu, en apprenant ces nouveaux triomphes des armées françaises, , que leurs correspondances fussent épongées; mais notre glorieuse défaite de Leipzig vint réveiller le courage des conspirateurs. Ils dûrent se condamner cependant à d'obscures manœuvres, au sou➡

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venir des reproches adressés par l'empereur à M. de Talleyrand. Sans doute et malgré toutes les ruses de ses ennemis, l'empereur découvrit de nouvelles trames dans lesquelles se trouva mêlé le nom de M. de Talleyrand; car une scène plus violente que la première vint pleuvoir sur lui lorsque Napoléon fut revenu de Mayence: M. de Talleyrand parut, comme de coutume, au lever; à peine Napoléon l'eut-il aperçu qu'il l'apostropha de la

sorte:

« Que venez-vous faire ici?... me montrer votre ingratitude?... Je vous ai couvert de cordons pour qu'on ne vit pas que vous étiez l'homme le plus méprisé de mon empire... Vous affectez d'être d'un parti d'opposition!... Vous croyez que, si je venais à manquer, vous seriez chef d'un conseil de régence?.... Si j'étais malade dangereusement, je vous le déclare, vous seriez mort avant moi.

Alors, avec la grâce et la quiétude d'un courtisan qui reçoit de nouvelles faveurs, le prince répondit au maître irrité :

<< Sire, je n'avais pas besoin d'un pareil avertissement pour adresser au ciel des vœux bien ardents pour la conservation des jours de Votre Majesté. »

Malgré ces fâcheux antécédents, Napoléon son

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