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monde ne devait être plus utile. Pour l'intérieur, il avait la tradition d'une société paisiblement ordonnée, d'un esprit hiérarchique, d'une convenance de mœurs qui est plus que la parure de l'autorité; dans les relations extérieures, il donnait aux volontés exigeantes et quelquefois rudes du vainqueur des conseils de discernement et de modération : appartenant à cette aristocratie européenne qui environne et sert les souverains, il pénétrait leurs projets et leurs espérances: parmi toute la gloire militaire dont brillait la France, il rappelait que nous avons eu et que nous pouvions avoir encore une autre sorte de distinction. >>

M. de Barante montrant ensuite M. de Talleyrand sous l'empire:

<< Cependant tout grandissait sous la main de. Napoléon après avoir vaincu l'Europe, il commençait à en disposer. Être ministre des affaires étrangères quand il s'agissait de princes qui devaient régner ou ne pas régner, c'était une haute position. M. de Talleyrand s'y établissait comme s'il n'en avait jamais eu d'autre; il en jouissait froidement, presque avec indifférence, et voyait, sans trop s'émouvoir, tout ce qu'il y avait de grand et de puissant en Europe le rechercher, avoir besoin de sa bienveillance ou de ses conseils. On s'accoutumait à le voir à la tête de toutes les grandes affaires on se souvenait de ce qu'il avait prévu ;

:

on croyait à ce qu'il annonçait. Napoléon était le maître de la politique, M. de Talleyrand en était l'oracle.

« Lui seul, ou à peu près, semblait avoir une existence particulière qui n'émanait point de cette puissance impériale. On comprenait son importance à part du pouvoir qui la lui avait donnée. L'indépendance de son esprit était pour beaucoup dans cette situation. Son admiration n'allait pas jusqu'aux illusions de l'enthousiasme : il jugeait les fautes, il voyait les dangers; bien des choses pouvaient choquer sa raison ou son goût. Le fond de son opinion restait antipathique à ce qui était excessif: la monarchie universelle lui semblait une chimère, et sa poursuite un jeu de hasard terrible pour la France. L'enivrement du succès rendait le pouvoir plus absolu qu'il ne l'aimait; il craignait de voir l'Europe rétrograder dans sa marche vers la civilisation. Il y avait en M. de Talleyrand une empreinte du dix-huitième siècle et de l'Assemblée constituante qui se retrouvait toujours. Il arriva donc qu'à l'apogée de nos victoires, après cette paix de Tilsitt qui laissait l'Europe occidentale au plein gré de Napoléon; lorsqu'un tel but atteint ne lui paraissait encore qu'un point de départ, il se sépara de son ministre. »

Arrivant aux événements de 1814, quand M. de Talleyrand était chef du gouvernement provisoire, l'orateur s'exprime ainsi :

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L'Europe, opprimée sans mesure, se précipita sur la France avec toute l'énergie et la puissance des opinions nationales, qui jadis avaient commencé nos triomphes. En cette détresse, M. de Talleyrand fut appelé à la plus grande consultation où ait jamais pris part un homme qui n'avait de pouvoir que son esprit ; il sembla traiter de pair avec les souverains vainqueurs à la tête d'un million de soldats; l'Europe voulut avoir son avis sur ce qu'il était sage de faire d'une telle victoire

<< Il pensa que rien ne pouvait déguiser et amoindrir nos revers autant que le retour de l'ancienne dynastie; de la sorte, le gouvernement de la France semblait changé par une révolution intérieure plutôt que renversé par l'étranger. L'Europe s'était armée pour un principe, et non pour une conquête; ce n'était point sa volonté victorieuse qui nous imposait un souverain: Louis XVIII appartenait à la France. Une opinion restée, sinon forte, du moins vivante, le rappelait et proclamait ses droits; il était possible de présenter le vœu de la France comme favorable à son retour. Il y avait en tout cela plus d'apparence que de réalité ; mais l'apparence importait beaucoup. Se reportant à une telle situation, les hommes raisonnables et impartiaux n'apercevaient guère qu'une autre solution fût possible. I comprit quels avantages il pourrait tirer du principe de légitimité dans nos rapports avec l'Europe. Sur ce terrain, nous étions

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les égaux de tous; on évitait ainsi l'attitude de vaincus. >>

M. de Talleyrand sortit du ministère en 1815. « La Restauration tout entière, dit M. de Barante, s'écoula sans qu'il rentrât aux affaires. Sa situation n'en fut point abaissée. Titulaire d'une grande charge de cour, ménagé plus que favorisé par Louis XVIII et Charles X, il leur montra toujours ce respect monarchique, ce dévoûment grave qui honorent et relèvent les devoirs de serviteur et de

sujet. Étranger à leurs conseils, mais poins aux affaires publiques, où se portait sans relâche son plus vif intérêt, son suffrage était recherché par toutes les oppositions. On allait lui demander des encouragements et des avis. On tenait son approbation pour un puissant auxiliaire; on s'inquiétait de son blâme. »

M. de Talleyrand revint aux affaires après la révolution de juillet, et à ce sujet, M. de Barante dit:

« Lorsqu'on vit M. de Talleyrand dévouer ses forces encore entières et vives au noble devoir de fonder le gouvernement national, chacun s'en félicita. Avec la précision habituelle de son coupd'œil, il avait vu aussitôt que la conservation de la paix au-dehors était nécessaire pour maintenir la paix intérieure ; que les alarmes et les efforts, suites inséparables de l'état de guerre, trouble

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