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théâtre de Bruxelles et salué des acclamations de l'auditoire, si le congrès n'eût été lié par une décision antérieure, qui fixait au 28 la discussion à ce sujet.

Au milieu de tous ces efforts pour créer une indépendance à la Belgique et la constituer en corps de nation séparée, on distingue un arrêté du gouvernement provisoire, pris sur le rapport et la proposition du comité des relations extérieures, et désignant pour le drapeau national les couleurs rouge, jaune et noire placées verticalement.

Malheureusement les bornes du territoire qui reconnaîtrait ce drapeau n'étaient pas encore déterminées. On a vu que la conférence de Londres s'était réservé la solution de cette question épineuse. Elle fut l'objet d'un protocole signé le 20 janvier, et communiqué au congrès helge dans le cours de la délibération sur le choix du chef de l'État. C'est un incident auquel il faut s'arrêter avant d'aborder cette délibération, que nous présenterons ensuite dans son ensemble.

Par ce protocole, les plénipotentiaires des cinq grandes puissances avaient, quant aux limites qui devaient séparer désormais la Hollande et la Belgique, concerté entre eux les bases suivantes :

Art. 1er. Les limites de la Hollande comprennent tous les territoires, places, villes et lieux qui appartenaient à la ci-devant république des Provinces-Unies des Pays-Bas, en l'année 1790.

2. La Belgique sera formée de tout le reste des territoires qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas, dans le traité de l'année 1815, sauf le grand-duché de Luxembourg, qui, possédé à un titre dif férent par les princes de la maison de Nassau, fait et continuera à faire partie de la confédération germanique. »

Néanmoins, comme il résulterait de ces bases que la Hollande et la Belgique auraient des enclaves sur leurs territoires respectifs, ils serait effectué, par les soins des cinq cours, telles échanges et arrangements entre les deux pays qui leur assureraient l'avantage réciproque d'une entière contiguité de possession et d'une libre communication pour les villes et fleuves compris dans leurs frontières. Enfin la Belgique, dans les limites qui seraient arrêtées et tracées confor

mément aux bases posées par ces articles, devait former un État perpétuellement neutre sous la garantie des cinq grandes puissances.

Ces arrangements territoriaux furent suivis, le 27, d'un autre protocole qui établissait les bases du partage de la dette publique du royaume des Pays-Bas. La conférence avait pris. pour guide les traités de 1815, et les ressources financières de la Hollande et de la Belgique, telles qu'elles résultaient des budgets des trois dernières années avant la révolution. La Belgique devait payer sur la dette commune 1631, et la Hollande 1531. On accordait en même temps à la Belgique le droit de participer au commerce des colonies hollandaises, sous la condition de contribuer à leur défense.

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La lecture du protocole du 20 janvier excita dans le congrès un conflit orageux et désordonné, auquel prirent part les tribunes publiques ceux-ci voulaient que l'on continuàt à s'occuper du chef de l'État toutes affaires cessantes, et ceuxlà demandaient que l'on arrêtât une prompte décision sur le protocole. Faute de cette décision, avait dit M. de Robaulx, le membre le plus belliqueux du congrès, l'adversaire constant de la conférence de Londres, les députés envoyés par le Luxembourg et par les autres provinces qu'on prétendait détacher du territoire Belge ne pourraient plus siéger au congrès. En conséquence, l'orateur proposait un projet de décret qui convint à l'intérêt du pays, conservât la dignité nationale, et protestât énergiquement contre l'intervention étrangère. D'autres membres étaient d'avis qu'on protestât immédiatement et d'acclamation, par assis et levé. Mais le congrès s'en tint à la nomination d'une commission chargée de rédiger le projet d'une protestation qui serait signifiée à toutes les cours de l'Europe. Ce projet, présenté le lendemain par M. Nothomb, rapporteur de la commission, fut adopté avec quelques légères modifications, dans la séance du 1' février, par 163 voix sur 172 votants. En voici un extrait d'autant plus digne d'attention, qu'il établit sur quels fondements reposaient les prétentions de

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la Belgique aux territoires que la conférence lui contestait.

Le congrès, considérant...... que c'est dénaturer le but de la suspension d'armes et de l'armistice, et la mission de la conférence de Londres, que d'attribuer aux cinq puissances le droit de resoudre définitivement des questions dont elles ont annoncé elles-mêmes vouloir seulement faciliter la solution, et dont, à leur connaissance, le congrès belge ne s'est jamais dessaisi ;

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Que d'ailleurs, c'est violer de la manière la plus manifeste le principe de la non-intervention, principe fondamental de la politique curopéenne, et pour le maintien duquel la France et la Grande-Bretagne notamment ont pris l'initiative dans les occasions les plus solennelles;

. Considérant que ce n'est point par un système de conquête et d'agran dissement que le peuple beige comprend dans son territoire le grand-duché de Luxembourg, le Limbourg et la rive gauche de l Escaut, mais en vertu du droit de postliminie, ou par suite de cessions;

« Qu'en effet, le grand-duché de Luxembourg et la majeure partie du Limbourg ont apparten à l'ancienne Belgique, et se sont spontanément associes à la révolution belge de 1830;

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Qu'en 1795, et postérieurement, la Hollande a fait cession de la rive gauche de l'Escaut, et de ses droits dans le Limbourg, contre les possessions dont elle jouit actuellement, et qui appartenaient à l'ancienne Belgique;

• Déclare :

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• Qu'il proteste contre toute délimitation de territoire et toute obligation quelconque qu'on pourrait vouloir prescrire à la Belgique sans le cousentement de sa représentation nationale.

Il proteste dans ce sens contre le protocole du 20 janvier, en tant que les puissances pourraient avoir l'intention de l'imposer à la Belgique, et s'en réfère à son décret du 18 novembre 1830, par lequel il a proclamé l'indépendance de la Belgique, sauf les relations du Luxembourg avec la confédération germanique.

Il n'abdiquera, dans aucun cas, en faveur des cabinets étrangers, T'exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confié; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait l'intégrité du territoire, et mutilerait la représentation nationale; il réclamera toujours, de la part des puissances étrangères, le maintien du principe de non-inter

vention..

Cette question résolue, le congrès reprit la discussion sur le choix du chef de l'État, qui ne s'était ouverte en réalité que le 29 janvier. La séance précédente avait été consacrée à décider le mode d'élection et de proclamation de l'élu. En général, les orateurs se prononçaient alternativement pour le duc de Nemours ou pour le duc de Leuchtemberg. Ce dernier comptait des partisans influents dans l'assemblée, et parmi eux on remarquait M. Lebeau, qui s'attacha à démontrer qu'il n'y avait pour la Belgique que trois combinaisons le prince

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d'Orange, le duc de Nemours et le duc de Leuchtemberg. «Avec le prince d'Orange, disait-il, nous aurons la guerre «< civile et l'opprobre national; cette question est décidée. Le <«<choix du duc de Nemours entraîne une guerre immédiate et «générale. Avec le duc de Leucthemberg, la guerre est tout au «plus possible.>>

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L'impression que ce discours avait produite était encore dans toute sa vivacité, lorsque le congrès reçut communication d'une dépêche de M. Sébastiani, qui annonçait que le gouvernement français regarderait le choix du due de Leuchtemberg comme un cas d'hostilité envers la France, et enjoignait à M. Bresson de quitter immédiatement Bruxelles si le congrès, malgré cette déclaration, procédait à cette élection.

La résolution du cabinet français n'empêcha point le parti de l'indépendance absolue de la Belgique, à l'égard de toutes les autres nations, et surtout de la France, comme si une pareille indépendance était au nombre des choses possibles, de porter le duc de Leuchtemberg, en prétendant que la Russie, l'Autriche, la Prusse et l'Angleterre le reconnaîtraient. Mais c'est précisément par cette raison que M. Seron, l'un des membres les plus prononcés du parti républicain, votait contre ce candidat, puisque la France ne pourrait souffrir sur le trône de la Belgique un prince allié des puissances qui composaient la sainte-alliance.

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Et si la France, disait-il, ne reconnaît pas le duc de Leuchtemberg, vous, qui l'aurez imprudemment appelé ici, ferez-vous, pour l'y maintenir, une guerre impie à une nation amie, votre alliée naturelle, votre unique soutien? Trop faibles pour lutter seuls contre elle, vous qui voulez dire libres, par quelle inconcevable contradiction appellerez-vous à votre secours les ennemis même de votre liberté, de la sienne et de toutes les libertés, sans exception? Oublierez-vous que c'est à cette nation, au-dessus de laquelle un orateur vous a si gratuitement placés sous le rapport des Connaissances en liberté religieuse, politique et civile, que sont dus les immenses progrès que vous avez faits depuis trente-six ans dans la carrière de la civilisation? Oublierez-vous que, sans le principe de la nonntervention solennellement proclamée par le gouvernement français, et guifiée aux autres puissances, il y a trois mois que le Rhin eût été franchi aries troupes prussiennes, notre pays envahi, et notre sainte insurrection

punie; et ceux qui calomnient ce même gouvernement, ignorent-ils done que, sans sa protection, ils seraient aujourd'hui pendus ou fugitifs?

Dans le dessein de faire détester la France, que naguère on bénissait, n'a-t-on pas dit qu'elle consentirait à ce qu'on vous imposât le prince d'Orange? La conduite du gouvernement de Louis-Philippe dément cette infâme assertion; mais le prince d'Orange ne conviendrait pas mieux à Ja France que le duc de Leuchtemberg. Voulez-vous savoir par qui il serait agréé avec plaisir? Par l'Angleterre, dont il deviendrait le vassal et le fermier, comme l'était son père. »

Convaincu qu'on ne devait point placer la Belgique sous le patronage de l'Angleterre, qui, sauf ses marchandises, n'avait à lui offrir que la misère et l'esclavage; que sans l'alliance de la France la Belgique ne pouvait exister en corps de nation, ni son commerce prospérer ; que telle était l'opinion des industriels, des manufacturiers, des économistes; que d'ailleurs, guerre pour guerre, il valait mieux la faire avec la France que contre la France, M. Seron, donnait son suffrage au duc de Nemours.

Le principal argument des partisans du duc de Leuchtemberg était que l'élection de son rival rendait inévitable une guerre, qui n'était peut-être pas même probable dans le cas où leur candidat serait nommé. Il n'était pas présumable, en effet, que la nation française, qui, quelques mois auparavant, avait choisi un nouveau chef, lorsque toutes les puissances auraient voulu prévenir ce changement, consentît à faire la guerre à la Belgique parce qu'elle aurait suivi son exemple. Aux yeux de ces puissances, l'élection du duc de Nemours était une autre forme de réunion à la France. Cette réunion, l'Europe ne la permettrait pas l'Angleterre ne souffrirait jamais que l'Escaut appartint à sa rivale, et les autres nations du continent ne se résigneraient pas tranquillement à voir les limites de la France reculées encore une fois jusqu'au Rhin. Si un prince de la famille de Louis-Philippe était appelé à régner en Belgique, la France tenterait sans nul doute de reconquérir ces limites, et à l'instant une nouvelle coalition se formerait contre elle. Sa défaite et son triomphe, dans une pareille lutte, seraient également fatals à la Belgique. Si elle triomphait, c'en était fait de l'indépendance du pays; si elle

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