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dénote que cet événement eût ici l'importance que lui donne dans d'autres pays le jeu des institutious représentatives; et le Danemarck attendait avec patience que son vœu pour une constitution fût exaucé, lorsque, le 28 mai, parut une ordonnance royale portant création d'États provinciaux, qui ne semble pas l'avoir entièrement rempli. (Voy. l'Appendice). Il y a join, en effet, du régime constitutionnel à des États provinciaux purement consultatifs, tels que les établissait l'ordonnance. Elle n'était destinée d'ailleurs qu'à poser les principales bases de l'organisation de ces États, et le Danemarck n'était pas près d'en voir la réalisation complète.

SUÈDE ET NORWEGE.

La Suède offre également ce contraste d'un état de tranquillité et de santé publique, que nul accident n'est venu altérer au milieu des agitations de l'Europe et des ravages du choléra dans le Nord. Cependant la Suède eut aussi sa part de calamités la disette affligea plusieurs provinces occidentales du royaume. Il fut résolu que des travaux publics seraient entrepris sur un vaste plan, pour occuper les pauvres ouvriers. On fit en outre un appel à la bienfaisance publique, pour adoucir la position de la classe indigente.

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Le 21 août, la princesse royale accoucha d'un quatrième fils, que l'empereur de Russie et la grande duchesse Hélène furent invités par le roi à tenir sur les fonts de baptême : l'eafant reçut les noms de Nicolas-Auguste, avec le titre de duc de Dalécarlie.

RUSSIE ET POLOGNE.

Ici, après une courte trève, nous rentrons dans le mouvement révolutionnaire qui emporte l'Europe depuis six mois.

Il n'est pas sans doute de plus grand malheur, pour une nation faible en nombre, au moment de défendre son existence et sa liberté contre un ennemi puissant, que d'être travaillée par des dissentiments, que de manquer de cette unanimité d'intentions et de volontés qui décuple la force d'un peuple.

La Pologne, le lendemain, pour ainsi dire, de son insurrection victorieuse du 29 novembre 1830, avait eu ce malheur. Les uns étaient d'avis de prendre l'offensive à l'instant, et de propager l'insurrection dans les anciennes provinces polonaises incorporées à la Russie, sans laisser au gouvernement russe le temps de rassembler ses forces; les autres préféraient la voie des négociations. Les premiers voulaient l'indépendance complète de la Pologue; les seconds, le maintien de la constitution sous la dynastie russe, moyennant une alliance perpétuelle avec la Russie, et la réunion des anciennes provinces polonaises. Ce fut cette dernière opinion qui prévalut d'abord, appuyée qu'elle était par le dictateur Chlopicki ; et, malgré la proclamation si menaçante de l'empereur Nicolas, qui ne parlait que de soumission absolue, et de clémence, deux envoyés étaient partis pour Saint-Pétersbourg avant la fin de l'année.

En attendant leur retour, et tandis que l'armée russe se concentrait dans le gouvernement de Grodno, sous les ordres du feld-maréchal Diebitsch Sabalkanski, la Pologne continua à se préparer au combat avec la plus vive ardeur. Les sacrifices, les dons à la patrie, les dévouements de tous genres, témoignèrent hautement de l'enthousiasme et du patriotisme de tous les citoyens; car si l'on avait eu le tort de ne point profiter des avantages d'une position hardiment offensive dès le premier moment, on ne commit pas du moins la faute de s'endormir sur la foi des négociations entamées avec la cour de Saint-Pétersbourg; on n'avait que trop de raisons d'en prévoir

l'inutilité.

La lettre dont les envoyés polonais avaient été chargés par le dictateur pour l'empereur Nicolas (voy. l'Appendice), contenait, dans les termes les plus modérés, l'expression des vœux et des besoins de la Pologne. Néanmoins, S. M. n'avait voulu agréer aucun accomodement, que sous les conditions énoncées dans sa proclamation. Voyant ainsi s'évanouir toutes ses espérances d'un arrangement amiable, le dictateur invita

la députation nommée par la Diète pour l'inspection de ses opé rations, à venir le trouver, et lui déclara qu'il ne pouvait garder plus long-temps la puissance dictatoriale. Cette déclaration causa autant de mécontentement que de surprise: elle semblait annoncer, maintenant qu'il fallait courir la chance des combats, que le chef de la Pologne, qu'un général non moins connu par són couragé que par ses talents, désespérait du salut de son pays.

19 janvier. La Diète se réunit immédiatement, et s'occupa, avec une fermeté digne des circonstances difficiles où était la Pologne, de donner au gouvernement une organisation qui lui permît de mettre toutes les forces de l'État en mouve

ment.

Dans la Chambre des nonces, le maréchal Ostrowski ne put s'empêcher de laisser percer le regret du temps perdu en de vaines tentatives de conciliation. Toutefois, le maréchal s'applaudissait du zèle de la nation dans la cause sacrée qu'il s'agissait de défendre, et manifestait des espérances de secours étranger, qui indiquent combien la lutte où les Polonais allaient s'engager était inégale, puisqu'ils ne comptaient pas seulement sur eux-mêmes.

Les troupes régulières, dis: le maréchal, augmentent tous les jours. Le bourgeois saisit son épée, le paysan sa faux. L'ordre renaît dans toutes les branches de l'administration; l'esprit public prend des forces nouvelles, et les nations amies ont promis du secours aux envoyés de la Pologne. Mais voici le moment décisif où les représentants de la nation doivent achever leur ouvrage. Périr plutôt que de se soumettre, tel est le cri unanime du peuple. Il ne faut pas compter le nombre, il faut interroger les cœurs. Les nations constitutionnelles de l'Europe qui ont épousé notre cause à leur tribune ou dans leurs journaux, n'attendent que la déclaration de notre indépendance, et des rives de la Seine comme de celles de la Tamise s'avanceront des bataillons à notre secours. Le premier devoir de la Diète est done de proclamer cette indépendance.

La Pologne, en effet, n'avait plus aucun ménagement à garder. Non-seulement les proclamations du czar et sa réponse au dictateur avaient interdit toute idée de rapprochement, mais encore, celles que le feld-maréchal Diebitsch venait d'adresser à l'armée, ainsi qu'à la nation polonaise, et où il né

parlait que de châtier des coupables, que des vengeances qu'il exercerait contre les rebelles, en promettant toutefois d'épargaer, autant que possible, ceux qui n'auraient pris aucune part au crime; ces proclamations, disons-nous, devaient pousser la Pologne à rendre guerre pour guerre à la Russie.

C'est alors que la Diète autorisa la publication officielle du manifeste qui contenait l'exposé des griefs du peuple polonais contre le gouvernement de l'empereur Nicolas (1). Ensuite le nonce Roman Soltyck, fils du vieux comte de ce nom, qui avait subi une longue et rigoureuse détention sur le simple soupçon de complicité dans la conspiration que la cour nationale avait déclaré, en 1828, n'avoir pas existé, fit la motion que l'exclusion de la dynastie russe fût prononcée. Cette motion ayant quelques formalités à subir avant de venir en discussion, la Diète, dans l'intervalle, régla plusieurs objets d'ordre intérieur, dont le plus important est le remplacement du général Chlopicki dans le commandement en chef de l'armée par le prince Michel Radziwill, qui, sur 140 membres ayant voix délibérative, réunit 107 suffrages pour ce poste

éminent.

Le 25, les deux Chambres se trouvant réunies, le maréchal de la Chambre des nonces proposa qu'on prît avant tout en considération la motion du nonce Soltyck, et que la Diète rendit une loi pour proclamer la vacance du trône et l'indépendance de la Pologne.

Les communications que nous a faites la commission diplomatique, dit l'orateur, et les proclamations du feld-maréchal Diébitsch, insérées dans les feuilles publiques, nous ont convaincus que nous ne pouvons atteindre sans guerre au but de notre révolution. Le moment décisif est arrivé. Le czar de Moscou a ordonné à ses hordes de se jeter sur la Pologne, afin d'imposer de nouveau à une nation qui ne respire que la liberté les fers qu'elle vient de briser. Ce n'est pas la première fois que les Tartares ont blanchi cette terre de leurs os, et l'ont engraissée de leur sang. Est-ce que, tremblant de peur, ou subjugués par une ancienne habitude, nous regarderons encore Nicolas comme notre souverain légitime? Non certes; le premier il a violé le serment que les baïonnettes nous avaient arraché;

(1) Ce manifeste a été inséré dans l'Annuaire de 1830.

nous ne sommes donc plus liés que par le serment que le Polonais a prêté pendant des siècles entiers aux Piastes, aux Jagellons et à ses rois librement élus. Que l'Europe cesse de voir en nous des sujets révoltés; qu'elle nous regarde comme une nation indépendante, qui doit exister d'après les droits qu'elle tient de Dieu. »

La proposition du maréchal de la Diète fut appuyée par beaucoup de membres sans rencontrer la plus légère opposition, et l'assemblée tout entière, transportée d'un enthousiasme indicible, témoigna de son assentiment par des acclamations unanimes. On résolut de procéder comme les Chambres l'avaient fait en décembre, lorsqu'elles avaient proclamé nationale la révolution du 29 novembre. En conséquence, le secrétaire du sénat, Julien Ursyn Niemewiecz, rédigea l'acte de déchéance, qui fut ensuite adopté à l'unanimité et signé par tous les membres des deux Chambres (1).

La Diète pourvut ensuite à l'établissement d'un gouvernement provisoire pour agir jusqu'à l'élection d'un nouveau roi, et nomma membres de ce gouvernement : le prince Adam Czartoryski, Vincent Niemojowski, Théodore Morawski, Joachim Lelewel, Stanislas Barzykowski ( séances du 29 et du 30 janvier).

(1) Cet acte est de la teneur suivante :

Les traités les plus sacrés et les plus inviolables ne sont obligatoires qu'autant qu'ils sont observés fidèlement. Nos longues souffrances sont connues du monde entier. La violation tant de fois renouvelée des libertés qui nous avaient été garanties par le serment de deux monarques, délie également aujourd'hui la nation polonaise du serment de fidélité qu'elle a prêté à son souverain. Les propres paroles enfin de l'empereur Nicolas, qui a dit que le premier coup de fusil tiré de notre part deviendrait le signal de la ruine de la Pologne, nous ôtent toute espérance de voir nos griefs réparés, et ne nous laissent plus qu'un noble désespoir.

La nation polonaise, réunie en Diète, déclare donc qu'elle forme désormais un peuple indépendant, qu'elle a le droit de donner la couronne polonaise à celui qu'elle en jugera digne, à celui qu'elle jugera capable d'observer fidèlement la loi qu'il aura jurée, et de conserver intactes les liber és nationales.

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Signé, le prince Adam CZARTORYSKI, président du Sénat. . Le comte OSTROWSKI, maréchal de la Chambre des nonces. * Et tous les membres du Sénat et de la Chambre des nonces. ■

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