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D'après les principes posés par M. Dupin, avait-il le droit de la refuser? Pourquoi cette autre déclaration, que la France ne reconnaîtrait pas l'élection du duc de Leuchtenberg? N'était-ce pas là intervenir et attenter au principe dont la France se servait comme d'égide?

Répondant à M. Salverte, M. Guizot soutenait que l'élection du duc de Leuchtenberg serait, sinon un danger, du moins un incident fàcheux pour le gouvernement français : il était donc tout simple que le ministère eût employé son influence pour le prévenir. Supposant ensuite la réunion de la Belgique à la France, effectivement proposée, M. Guizot considérait la question sous l'unique point de vue de l'intérêt national: il examinait successivement si la dignité de la France, si la sûreté du pays, si son état intérieur exigeait ou conseillait cette réunion, avec la guerre en perspective, et il se décidait pour la négative. A ses yeux, les véritables plaies de la société actuelle étaient un affaiblissement graduel dans le pouvoir, une défiance, une incertitude, une anarchie dans les esprits. Il attribuait ce résultat à des sentiments, des idées, des passions, restes de la révolution française, aussi bien que de la lutte continuelle d'une portion du pays contre le gouvernement déchu. La prospérité nationale, la liberté individuelle, tels étaient les seuls remèdes à opposer au mal qui travaillait la société mais la guerre otait la faculté de les appliquer. L'orateur concluait donc qu'il ne fallait se résigner à la guerre qu'en présence d'une nécessité absolue.

Après ce discours, la Chambre entendit encore M. de Corcelles, qui blàmait sans ménagement la marche suivie par le ministère, et la discussion fut renvoyée au lendemain.

Cet intervalle ne refroidit ni l'empressement public ni l'ardeur de la Chambre. Comme la veille, la lutte resta enfermée entre l'opposition et le ministère; car les orateurs qui s'étaient déclarés en faveur de ce dernier, se trouvaient en quelque sorte solidaires de son système politique, en leur qualité d'auciens membres du cabinet. Un seul député étranger aux actes

du gouvernement monta à la tribune pour le défendre : c'était M. Cunin-Gridaine, qui ouvrit la séance et présenta quelques réflexions, dans l'intérêt de l'industrie française, sur les inconvénients d'une réunion soudaine de la Belgique à la France. Après lui, M. de Schonen attaqua vivement la dernière communication de M. le ministre des affaires étrangères au congrès belge. Il blàmait surtout la précipitation mise à l'envoi d'une pareille dépêche, qu'il fallait reculer, selon lui, jusqu'au dernier moment; il déclarait en outre qu'à ses yeux le refus de la Belgique, si toutefois elle nous était offerte, serait comme une nouvelle signature des traités honteux de 1814 et 1815. Le maréchal Soult, ministre de la guerre, rappela que France avait fondé le principe de la non-intervention : il invoqua la définition qu'en avait donnée le ministre des affaires étrangères. Il énuméra les bienfaits que, depuis quatre mois, la Belgique avait reçus de la France: son territoire avait été respecté, son indépendance reconnue.

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N'est-ce donc rien, Messieurs, que ces résultats, continuait. le ministre, et à qui doit-on de les avoir obtenus? Toutefois, Messieurs, nul de vous ne croira que notre tâche soit terminée, Si nous avons bien commencé, c'est à nous qu'il appartient de finir. C'est par nous que la paix a été jusqu'ici conservée. C'est par nous, c'est toujours par nous, que son maintien doit être assuré à l'Europe. Trop longtemps des désastres, dont nous avons été les victimes, ont affligé notre belle patrie. Pendant quinze ans l'influence de l'étranger a été appesantie sur elle: alors la paix était ACCORDÉE à la France! Désormais c'est la France qui doit EXIGER la paix. Que son langage soit calme et noble; c'est celui de la force. Mais surtout, Messieurs, qu'elle soit forte. C'est à ce seul prix qu'elle maintiendra sa dignité parmi les nations; qu'elle assurera le maintien de cette paix qui est aussi nécessaire au développement de sa prospérité, qu'à celui des institutions qu'a fondées notre glorieuse révolution de juillet.

A l'exception de M. le général Lamarque, tous les orateurs n'avaient fait qu'effleurer la question de la Pologne: M. Bignon l'examina particulièrement. Relevant ces paroles de M. le ministre des affaires étrangères: Que pouvons-nous pour la Pologne ?.... Ce sont les campagnes de Napoléon qu'on nous propose ; il essaya de prouver que, sans recourir à la force des armes, sans déchirer les traités de 1814 et de 1815, le gouvernement

français pouvait néanmoins beaucoup pour la Pologne, car l'insurrection polonaise était justifiée, autorisée, légalisée par les actes du congrès de Vienne.

Messieurs, continuait M. Bignon, on ne peut contester que, des négociations antérieures au traité de 1815, et du 1er article de ce traité, il résulte pour les trois puissances co-partageantes un devoir sacré à remplir pour les Polonais placés sous leur domination; que pareillement il ne résulte un devoir de protection et de surveillance à remplir par les deux autres cabinets signataires des mêmes traités.

Dans l'état où se trouve l'Europe, d'après la direction qu'ont prise les affaires de la Belgique, où l'on intervient de tous côtés, en disant qu'on n'intervient pas; dans la confusion générale que semble accroître la diplomatie au lieu de la prévenir, c'est pour les cabinets de Paris et de Londres une obligation impériense d'exercer en Pologne, à l'égard des traités de 1815, une garantie d'autant plus énergique, qu'en laissant la Russie, l'Autriche et la Prusse répartir entre elles les lambeaux de ce pays, ils ont, par le fait, pris l'engagement d'assurer au moins aux membres isolés du corps polonais la part de nationalité qui leur était promise.

«L'Angleterre de 1830 pourrait-t-elle se montrer inférieure à l'Angleterre de 1815? Pour condition première de son assentiment à l'acquisition du duché de Varsovie par l'empire russe, l'Angleterre de 1815 exigeait l'établissement d'un régime qui fit le bonheur de la nation polonaise. A ce prix seulement, elle tolérait la réunion du duché à la Russie. Lorsque la Russie a oublié cette condition, lorsque, voulant faire du royaume de Pologne une province russe, gouvernée selon la méthode russe, elle foule aux pieds la constitutiou donnée aux Polonais : l'Angleterre de 1830 sera-t-elle indifférente à ce mépris d'engagements contractés sous ses auspices?

Le ministère anglais de 1815 aurait-il donc été plus jaloux du bien-être des Polonais que le ministère actuel? Quand la Russie, dans des guerres recentes, s'est agrandie encore aux dépens de la Turquie et de la Perse, lord Grey sera-t-il moins effrayé de l'accroissement disproportionné de cet empire, sera-t-il moins prévoyant pour les dangers de l'Europe que ne Tétait lord Castlereagh?

• Ce qui n'est qu'un devoir de politique pour l'Angleterre est en même, temps pour nous une dette de reconnaissance. Comment, en effet, les inté rêts des Polonais pouraient-ils jamais être séparés des nôtres? Quelle autre nation a jamais, autant que la nation polonaise, été unie à la France par la plus fidèle comme par la plus brillante fraternité d'armes ?

• On adit qu'en servant la France ils servaient toujours la Pologne. Oui Messieurs, et ce sentiment n'a rien que d'honorable pour eux comme pour nous; mais, je le puis dire, en ayant été le témoin, quand la cause de la Pologne leur semblait entièrement perdue, ne pouvant plus vivre pour leur patrie, ils combattaient, ils mouraient pour la France. (Vive sensation. ) »

La discussion en était à ce point lorsque M. le ministre des affaires étrangères crut devoir prendre la parole pour réfuter

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les divers reproches adressés au système politique du gouver

nement.

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Examinons les faits, disait M. Sébastiani : l'insurrection belge s'est faite au nom de l'indépendance; la séparation de ce peuple et de la Hʊllande une fois consommée, il a choisi des représentants qui, formés en assemblée constituante, se sont réunis pour se livrer aux travaux d'une constitution destinée à régir une nation indépendante et libre.

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Cependant de sanglantes hostilités continuaient encore entre les Hollandais et les Belges : les grandes puissances ont offert leur médiation; elle a été accueillie avec empressement, avec reconnaissance par la Belgique ; un armistice a arrêté l'effusion du sang.

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Après ce premier bienfait, dont ils étaient surtout redevables à la France, les Belges ont demandé que leur indépendance fût reconnue. Leur séparation d'avec la Hollande, leur indépendance, ont été hautement proclamées. Ils nous ont envoyé une légation, nous l'avons accueillie et reconnue. Un grave intérêt les préoccupait encore, celui de la libre navigation de l'Escaut. Cette question, capitale pour la Hollande, soulevait des difficultés sans nombre. La France a pris en main la défense d'un priucipe large et généreux ; elle l'a fait reconnaître et respecter: l'Escaut est ouvert. (Nombreuses marques d'assentiment.)

Les Belges ont manifesté d'autres vœux : à peine entrés en possession de leur indépendance, ils ont insinué qu'ils ne pouvaient la conserver; qu'ils désiraient leur réunion à la France. Pour nous placer dans le vrai, reconnaissons que ceux des Belges qui exprimaient tout bas ce désir parlaient avec bonne foi, et qu'ils étaient même les interprètes d'un grand nombre de leurs compatriotes; mais ils n'étaient pas les organes de la nation. La Belgique, qu'on vous présente comme unanime, est sur cette question, comme sur beaucoup d'autres, divisée en plusieurs partis. Dans cet état de choses, qu'avons-nous dù faire? donner des conseils sages, affectueux. Nous les avons donnés : vous les connaissez; vous savez aussi l'usage qui en a été fait. C'est à ce sujet qu'on nous adresse les reproches les plus vifs et aussi les plus contradictoires. D'une part, on nous reproche (et c'est mon honorable ami M. de Schonen) de n'avoir pas employé les finesses de la diplomatie; d'un autre côté, on nous accuse de les avoir prodiguées. Il faut pourtant choisir entre ces accusations. De deux choses l'une nous avons été ou trop sincères ou trop habiles. Eh bien! Messieurs, c'est la sincérité qui prédomine. (Applaudissements nombreux et prolongés.)

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En ce qui touchait la Pologne, le ministre affectait une certaine réserve, et se contentait de dire qu'en l'accusant d'indifférence envers un peuple pour lequel sa vive sympathie n'était pas un mystère, on oubliait qu'il avait lui-même indiqué un autre genre d'intervention que la force des armes, par laquelle nous ne pouvions rien.

Cette réplique de M. le général Sébastiani trouva dans la Chambre plus d'assentiment encore que les premières explications données par lui la veille. En effet, malgré la difficulté

de sa position, qui l'obligeait à de certaines réticences, il avait su présenter sa conduite, ses vues, ses sentiments, sous un jour plus favorable, et il reçut de nombreuses félicitations en descendant de la tribune.

Néanmoins M. Alexandre de Laborde répétait encore, après l'avoir entendu, qu'on avait vu avec peine consacrer d'avance d'une manière formelle et positive la séparation de la France et de la Belgique, malgré le désir des deux peuples et le besoin impérieux de leur sûreté. M. le général Lafayette prit aussi la parole, et, comme il le disait lui-même, son opinion' n'était un plaidoyer ni pour la paix ni pour la guerre, car il trouvait que ce n'était pas la question. Personne ne réclamaît la guerre : tout le monde au contraire préférait la paix. Mais il établissait quelques faits, don, suivant lui, nous devions reconnaître la vérité et subir la conséquence. Le premier de ces faits, c'est que deux principes se partageaient l'Europe, le droit souverain des peuples et le droit divin des rois.

J'ignore, ajoutait-il, si ces deux principes peuvent vivre en bons voisins (on rit); mais je sais que le nôtre est en progression constante, assurée, inévitable; que nous devons lui être fidèles en tout et partout, et que toute hostilité contre nous accélérerait son triomphe. »

Le second fait, c'est que, malgré tout ce qu'on avait avancé sur le respect dû aux traités existants, certains articles des traités de 1814 et 1815 se trouvaient nécessairement annulés par la révolution de juillet; ceux, entre autres, qui assuraient le trône de France à Louis XVIII et à sa famille, et ceux qui réunissaient la Belgique et la Hollande.

Enfin le troisième fait, c'est que la France avait proclamé le principe de non-intervention, et qu'il s'en suivait que chaque fois qu'un peuple de l'Europe, en quelque endroit qu'il fût placé, réclamerait ses droits et voudrait exercer sa souveraineté, toute intervention des gouvernements étrangers équivaudrait à une déclaration formelle de guerre contre la France.

« Si la conséquence de ces faits, de ces principes, amenait la Ann. hist. pour

1831.

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