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Le conflit se termina par la bataille d'Alfarrobeira (1449), où dom Pedro fut écrasé par le nombre et trouva une mort héroïque.

Mais laissons là l'homme politique pour ne nous occuper que du navigateur; c'est à ce titre que l'infant dom Henri peut être considéré comme une des plus grandes gloires du Portugal. On peut se demander quelles furent les raisons qui déterminèrent l'illustre prince à entreprendre cette œuvre de découvertes qui a été couronnée d'un si brillant succès. Azurara qui, par la Chronica do descobrimento e conquista de Guiné, a fait un véritable panégyrique en l'honneur de l'illustre infant, énumère cinq motifs. C'est d'abord, dit-il, « son désir de savoir quelle était la terre qui existait au delà des Canaries et du cap Bojador ». Vient ensuite l'intérêt commercial : il s'agissait d'assurer aux Portugais le monopole du commerce dans les nouvelles terres qu'on allait découvrir. L'infant voulait encore reconnaître toute l'étendue de la puissance des Maures, « puisque tout homme avisé, par prudence naturelle, est tenu de connaître la puissance de son ennemi ». Peut-être trouverait-on, pensait-il, dans ces régions inexplorées jusqu'alors, des princes chrétiens qui pourraient aider les Portugais dans leur lutte contre les Maures. Enfin, «< accroître la sainte religion de NotreSeigneur Jésus-Christ et amener à lui les âmes qui se voudraient sauver », tel est le cinquième motif de l'infant, indiqué par le chroniqueur (1).

Sans vouloir diminuer en rien l'autorité de la chro

(1) AZURARA, Chronica, etc., ch. 7.

nique d'Azurara, nous croyons cependant que la cause première, l'unique mobile, pour ainsi dire, de toute l'activité de Henri le Navigateur, fut la lutte contre les Maures.

Comme grand maître de l'Ordre du Christ, dont il utilisa les immenses revenus, il avait pour mission spéciale de combattre ces ennemis déclarés de la foi. Depuis longtemps ceux-ci avaient été chassés du Portugal, et il s'agissait de leur faire la guerre en Afrique.

D'ailleurs, si nous considérons les choses de plus près, nous voyons «<< qu'après la prise de Ceuta, il eut continuellement ses navires armés contre les infidèles (1) ». C'est à une de ces expéditions qu'on doit la découverte fortuite des îles Madère. En 1418, Jean Gonçalvez Zarco et Tristam Teixeira obtinrent de l'infant deux navires avec mission d'aller guerroyer contre les Maures en suivant la route de Guinée. Ils furent poussés par un vent contraire sur l'ile de Porto Santo (2). Quand Azurara nous raconte que pendant douze ans dom Henrique s'efforça, en vain, de faire doubler le cap Bojador par ses marins, il a soin d'ajouter que ces derniers «< ne revenaient toutefois pas sans honneur, car, pour compenser ce à quoi ils manquaient en n'accomplissant point complètement le mandat de leur seigneur, les uns allaient sur la côte de Grenade, les autres couraient les mers du Levant jusqu'à ce qu'ils fissent de grosses prises sur les infidèles et qu'ils retournassent honorablement dans

(1) AZURARA, ch. 7.
(2) AZURARA, ch. 83.

le royaume (1) ». Aussi ces douze années d'efforts nous semblent des expéditions contre les ennemis de la foi, plutôt que de véritables voyages de découvertes. Citons encore la bulle d'Eugène IV (1441) qui, sur la demande de l'infant, accorde une rémission complète de tous leurs péchés à ceux qui succomberont en Afrique dans la lutte contre les infidèles (2).

Si Azurara laisse entendre que son héros avait la découverte de la Guinée pour principal objectif dès le commencement de son activité, nous devons dire cependant que le panégyriste nous fait l'impression d'un homme qui juge une œuvre d'après les résultats obtenus ou à obtenir, sans remonter aux causes premières. C'est ce que nous voyons quand il énonce son quatrième motif de la manière suivante: « Comme depuis trente et un ans qu'il guerroyait contre les Maures, jamais il n'avait trouvé de roi chrétien ni de seigneur étranger au pays qui, par amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, consentit à l'aider dans ladite guerre, il voulait savoir s'il se trouvait dans ces contrées quelque prince chrétien en qui la charité et l'amour du Christ fussent assez ardents pour venir l'aider contre ces ennemis de la foi (5). » En écrivant ces lignes, le chroniqueur songea sans doute à l'expédition du Danois Vallarte, qu'il raconte dans l'avant-dernier chapitre de son livre. Cette expédition eut lieu en 1448, c'est-à-dire à peu près trente et un ans après que D. Henrique envoya ses premiers navires contre les Maures.

Parmi les instructions données au Danois par Henri

(1) AZURARA, ch. 8.
(2) AZURARA, ch. 15.
(3) AZURARA, ch. 7.

le Navigateur, nous trouvons l'ordre de faire voile vers le cap Vert avec mission « de prendre des informations exactes du roi de ce pays; car il avait appris que ce roi était un grand seigneur et Vallarte avait ordre de lui porter les lettres du prince et de lui dire certaines choses pour le service de Dieu et de sa sainte Foi; et tout ceci parce qu'on lui assura que ce roi était chrétien. La conclusion de tout ceci était que, s'il observait fidèlement la loi du Christ, il lui plairait de l'aider dans la guerre contre les Maures d'Afrique, à laquelle le roi don Affonso, qui régnait alors au Portugal, et l'infant, en son nom, avec leurs vassaux et compatriotes, étaient constamment occupés (1) ». Nous croyons trouver dans ces deux passages la preuve de la thèse que nous avons avancée; autrement la concordance des dates semblerait difficilement explicable.

D'ailleurs nous avons, outre le récit d'Azurara, un autre témoignage qui n'est pas à dédaigner: celui de Cadamosto. Le navigateur vénitien nous représente la guerre contre les Maures comme le commencement et le mobile de l'œuvre de découvertes. Le roi Joâo Jer († 1433) appelle à son lit de mort l'infant D. Henrique et lui fait promettre solennellement de continuer la croisade contre les infidèles (2). Tous les efforts du noble prince

(1) AZURARA, ch. 94.

(2) Ramusio, Delle Navigationi e Viaggi, éd. 1563, vol. I. fol. 96 vo. La prima navigazione per l'Oceano alle terre de' negri della Bassa Etiopia de Cadamosto a été imprimée d'abord à Vicence en 1507 et traduite dans la suite en latin, en allemand et en français. M. Yule Oldham prépare une traduction anglaise du texte de 1507 pour la Hakluyt Society.

avaient toujours été dirigés vers ce but, et s'il envoie ses navires sur la côte d'Afrique, c'est pour mettre à exécution ce noble dessein. Cependant, à mesure que ses marins avancent et que son intelligence se développe par l'étude, l'horizon de ses idées s'élargit le croisé devient explorateur. Dans cette nouvelle tâche, il sera aussi infatigable que dans la première. Constamment livré à l'étude, doué d'un caractère ferme, il montre dans l'œuvre de découvertes une ténacité incroyable. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant de ses collaborateurs, qui, pour la plupart, n'entrevoyaient dans les expéditions qu'un moyen de s'enrichir. Dans les discours des capitaines, nous lisons souvent qu'ils ont quitté leur patrie non seulement pour le service de Dieu et de l'infant, mais aussi pour leur honneur personnel et leur propre profit. Or ce dernier mobile ne l'emporta que trop souvent sur les autres, et quand Azurara termine son récit à l'année 1448 en disant qu'après cette année les expéditions de Guinée ne furent que des expéditions de marchands, nous devons avouer que l'impression qui se dégage de la lecture de sa chronique nous fait penser qu'il en était déjà ainsi pour plusieurs voyages antérieurs. Si les résultats obtenus du vivant même de Henri le Navigateur ne sont pas tels qu'on est en droit de l'attendre, ce n'est certes pas de sa faute. Il avait soif de connaître le monde, mais ses ordres de pousser les explorations aussi loin que possible ne furent pas toujours exécutés. Quels sont maintenant ces résultats?

Esquissons-les brièvement. En 1434, après un essai infructueux fait l'année précédente, Gil Eanes double le fameux cap Bojador, dont les chroniqueurs portugais aiment à exagérer les dangers pour rehausser la gloire

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