Page images
PDF
EPUB
[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

-PFr 141.1

Harvard College Library

Sept. 6, 1912

Mirot fund

LE

CORRESPONDANT

DE L'INFLUENCE DES DOCTRINES

SUR LA SCIENCE MÉDICALE

Le travail qu'on va lire a été inspiré par la lecture d'une savante préface 1, placée par le docteur Boucher en tête de la traduction du Traité de Médecine pratique, de Baglivi, qu'il vient de publier. Il n'était question d'abord que d'un simple article de critique pour attirer l'attention sur une œuvre digne de remarque. En analysant les opinions d'un de ses confrères, celui qui écrit ceci s'est trouvé engagé à prendre une part personnelle dans l'exposé d'une question dont il avait à cœur de faire ressortir toute l'importance.

Il n'est point dans les habitudes de cette revue d'entretenir ses lecteurs d'un ouvrage de médecine, mais le travail de M. Boucher nous a paru devoir faire exception à la règle. Non-seulement il traite les hautes questions de la science, mais en outre il révèle dans l'esprit de l'auteur une inclination vers les doctrines spiritualistes, traditionnelles, depuis trop longtemps abandonnées par les médecins de notre temps, par l'école de Paris en particulier. Pour ces motifs, le livre mérite l'attention des esprits sérieux. Nous osons convier à sa lecture un public plus étendu que celui des seuls mé

1 De l'accroissement de la Médecine pratique, par Baglivi, traduction nouvelle, précédée d'une Introduction sur l'influence du Baconisme en médecine, par le docteur J. Boucher, de Dijon. A Paris, 1851, chez Labé, place de l'École-de-Médecine.

T. XXXI. 10 OCT. 1852. 1re LIVR.

1

IMBE

decins. Le langage qu'il parle, les questions qu'il aborde, les doctrines qu'il discute, sont tout à fait de la compétence de ce cercle d'hommes, malheureusement trop restreint, qui se préoccupent des principes généraux des sciences, de ce que l'on nomme, dans le langage usité, des questions de philosophie scientifique.

Autrefois, au commencement de ce siècle encore, les questions de philosophie médicale étaient beaucoup plus familières aux médecins qu'aujourd'hui; leurs rangs alors étaient moins pressés, leurs études étaient plus solides. Le monde accordait à cette noble profession une considération plus haute; les médecins ne craignaient pas certaines déclarations de principes sur des points culminants de la science; on avait en ce temps-là le courage de son opinion. Pour ne parler que des luttes récentes, qui ne se souvient de l'exposition des dégradantes doctrines de Cabanis? Qui ne se souvient surtout de l'invective passionnée de Broussais contre la tradition hippocratique? Aujourd'hui, par des motifs que nous dirons tout-à-l'heure, les médecins en général redoutent de parler doctrine; une école même s'est fondée parmi eux, laquelle tient en grand éloignement toute théorie, toute idée synthétique supérieure à ce que l'on appelle les faits purs, par la pensée que ces spéculations nuisent à la science en entravant sa marche. Il est résulté de ce préjugé que les livres modernes de médecine, pour la plupart, ont été réduits à n'être que des catalogues statistiques de faits ou de prolixes descriptions.

Nous n'apprendrons rien à tout esprit philosophique, en affirmant que cette abstention n'est qu'apparente. Pour ne point énoncer de doctrine, quoi qu'on dise, on n'en est point dépourvu. Il est plus facile de nier la constitution de l'esprit hnmain que de s'y soustraire. Tous ces médecins qui se veulent dire exempts de doctrines, en professent cependant, et le plus souvent ce ne sont pas les plus respectables. Les uns, et c'est le plus grand nombre, suivent le torrent de l'opinion sans regarder à droite ni à gauche, ils professent des doctrines sans le savoir, leur innocence est parfaite; les autres, plus avisés, dissimulent avec plus ou moins d'adresse, sous la formule de l'abstention, leur attachement aux plus détestables errements philosophiques. Cette mode de science pure a si fort prévalu que grand nombre d'esprits et des mieux disposés n'ont pas le courage de la réprouver.

On ne voit pas sans étonnement beaucoup de gens placer la médecine dans un rang inférieur à celui des autres sciences. Qui pour-.

rait le croire? La médecine est pourtant la science de l'homme vivant, à l'état de santé et à l'état de maladie, de l'homme qui est à la fois esprit et corps, de l'homme en qui se rencontrent et se livrent combat le monde naturel et le monde surnaturel. En particulier, la médecine est appelée à constater les résultats de la déchéance originelle quant au corps, à étudier la question de l'origine du mal physique et des lois qui président à sa permanence dans l'espèce humaine.

Envisagée à cette hauteur, dans la hiérarchie des sciences, quoi de plus élevé que la médecine, sinon les redoutables problèmes de la métaphysique? Voilà pourquoi la médecine est une science intéressée de la manière la plus expresse dans les grands débats de l'esprit humain; elle est solidaire des doctrines régnantes touchant la religion et la philosophie. Dans la société, la médecine en général est l'expression la plus formelle, la plus accusée, de la solution pratique attribuée à ces questions majeures par le courant de l'opinion. L'exemple de ces derniers temps ne l'a que trop bien fait voir.

Voilà ce que c'est que la médecine. Et pourtant, l'opinion commune est loin de souscrire au jugement que nous portons. Combien d'hommes accorderont aux sciences mathématiques, à la physique, à la chimie, une place plus élevée qu'à la médecine! La tendance générale du siècle est là. L'Institut de France, alors qu'il reconstitua ses classes, après la tempête révolutionnaire, n'accorda que par grâce, dans son sein, une section aux sciences médicales, et encore en manifestant ouvertement l'espoir que leur méthode se perfectionnerait au contact des sciences physiques et naturelles. Messieurs les académiciens croyaient, de bonne foi, que la médecine ne doit être qu'un appendice de l'histoire naturelle.

D'autres causes encore concourent à diminuer la considération qui devrait entourer la médecine. Il y a dans cette science deux parts: le côté spéculatif, dont nous venons de faire pressentir toute la grandeur; il y a en outre le côté pratique, par lequel le médecin est en contact chaque jour avec le public. Tenons pour certain que ce contact fréquent nuit trop souvent à la considération de la science. Le savant qui cultive l'histoire naturelle, cet autre qui s'applique à la philosophie, semblent des hommes privilégiés : habitant les régions sereines et élevées de la science pure; retranchés dans l'atmosphère réservée de leur cabinet, ne communiquant avec le monde que par les livres ou l'enseignement du professeur, ils

« PreviousContinue »