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avait osé prendre parti pour la reine mère contre lui, laissa tom-
ber son œuvre, et l'ordonnance resta sans autorité dans la pratique
postérieure des affaires;

Enfin, le plus important de tous ces documents pour la législa-
tion pénale, l'ordonnance criminelle de Louis XIV, du mois d'août
1670. Discutée dans des conférences préparatoires dont nous avons
le procès-verbal, et dans lesquelles le premier président de La-
moignon et l'avocat général Talon ont souvent lutte contre la ru-
desse du commissaire royal Pussort, commentée par les crimina-
listes postérieurs, ou servant de base à leurs écrits, cette ordonnance
fut un véritable code de compétence et de procédure criminelles;
jusqu'aux premières réformes de notre révolution, elle a fait la loi
de cette matière (1).

(1) Articles relatifs au droit pénal dans les principales ordonnances à signaler

en cette manière :

Ordonnance de décembre 1344, de Philippe VI. — Art. 7, sur la procédure
pénale.

-

Ordonnance du 3 mars 1356, rendue durant la captivité du roi Jean, sous la
lieutenance générale de Charles V, d'après les doléances et réclamations des
états généraux de 1355 et de 1356. En tout 61 articles. Sout relatifs
au droit pénal les art. 6, 7, 9, 23, 27 à 29, 33 et 34, 37 et 38, 53, 55 et 59.
Ordonnance de Montils-lez-Tours, d'avril 1453, sous Charles VII. - En tout
125 articles. Pour le droit pénal : art. 13 et 14, 27 à 36, 67, 79, 82 à 95,
102 à 106.

-

-

-

En

Ordonnance de mars 1498, sous Louis XII, en assemblée de notables.
tout 162 articles. Pour le droit pénal: art. 62, 70, 82, 90 à 103, 106 à 140.
Édict de Crémieux, du 19 juin 1536, sous François Ier; Antoine Dubourg,
chancelier. - En tout 30 articles. Plus spécialement relatifs au droit pénal

art. 10 et 11, 22 et 25.

-

Ordonnance de Villiers-Cotterests, d'août 1539, sous François Ier; Guillaume
En tout 192 articles.
Poyet, chancelier.
Pour le droit pénal: art. 24
et 25, 139 à 172.

-

-

Ordonnance d'Orléans, de janvier 1560, sous
remontrances des États: l'Hospital, chancelier.
le droit pénal art. 18, 23 à 26, 56, 63 à 65,
104, 111, 115 à 119, 142, 145, 148.

-

-

Charles IX, sur les plaintes et
En tout 149 articles. Pour
69, 71 à 74, 79, 81, 87, 101,

--

Ordonnance de Roussillon, de janvier 1563, sous Charles IX; l'Hospital,
chancelier. En tout 34 articles. Pour le droit pénal: art. 19 à 21, 30.
Ordonnance de Moulins, de février 1566, sous Charles IX, en assemblée de
notables; l'Hospital, chancelier. En tout 86 articles. Pour le droit pénal :
art. 23 à 49, 70 à 72, 77 et 78, 82 et 86.

-

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Ordonnance de Blois, de mai 1579, sous Henri III, sur les plaintes et doléances
des États. En tout 363 articles. Pour le droit pénal: art. 21, 35 à 44,
71 à 81, 95, 130, 157, 183 à 283, 308 à 314, 325, 326, 360.

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Ordonnance de janvier 1629, sous Louis XIII, d'après les doléances des Etats
de 1614, et des assemblées de notables de 1617 ei de 1626; Michel Marillac,
garde des sceaux; Richelieu, premier ministre En tout 461 articles. Pour

-

le droit pénal art. 18, 27 et 28, 42, 52, 58 et 59, 69 et suiv., 104, 111 à
113, 133 à 139, 151, 153, 166 à 188, 203 à 209, 215 à 217, 252 à 342, 387 à
400, 409, 411, 440, 456.

Ordonnance criminelle du mois d'août 1670; Louis XIV.

Déclaration du 5 février 1731, de Louis XV, sur les cas prévôtaux et présidiaux.
Ordonnance du mois de juillet 1737, de Louis XV, concernant le faux prin-
cipal et le faux incident.

116. Mais ce serait se tromper que de croire trouver dans la série des principales ordonnances que nous venons de citer l'ensemble du travail monarchique en fait d'institutions et de législation pénales. Dans aucune de ces ordonnances, sauf la dernière, on ne rencontre un système régulièrement coordonné et complet en soi. Il faut, à partir des premiers rois de la troisième race, suivre la filière des ordonnances et rapprocher, combiner les dispositions des unes et des autres pour construire de ces dispositions éparses un tout satisfaisant. Ce travail de construction et de coordination a été essayé à diverses époques pour tout l'ensemble du droit. Guillaume Du Breuil, vers 1330, à la suite et comme annexe de son Stilus curiæ parlamenti (3e partie); Dumoulin, en 1549, en donnant une nouvelle édition du travail de Da Breuil, corrigé et augmenté par lui (au tome II de ses œuvres); le président Barnabé Brisson, dans son Code de Henri III, entrepris sur le commandement de ce prince et annoté par Charondas le Caron, en 1603; Thomas Cormier, dans son Code de Henri IV, en 1615; et Corbin, dans son Code de Louis XIII, en 1628, ont, à l'imitation des codes du droit romain, cherché à classer dans un ordre méthodique, suivant chaque matière diverse, les dispositions d'un certain nombre d'ordonnances royales, avec indication du prince et de l'année auxquels elles se réfèrent. Bien que ces sortes de coordinations n'offrent généralement, par leur nature même, que des fragments fondus, analysés et rarement textuels, cependant, en se reportant, pour ce qui concerne le droit pénal, aux livres qui traitent des juridictions, des crimes et peines imposés à iceux, et de l'instruction des procès criminels, on trouvera, surtout dans le travail de Dumoulin et dans celui du président Brisson, des rapprochements déjà fort intéressants, et qui seront en outre d'un grand secours pour les recherches à faire soi-même dans les collections entières et chronologiques.

117. L'instruction à tirer de la lecture des ordonnances se complète utilement par quelques anciens traités ou ouvrages de pratique judiciaire, dans lesquels nous pouvons apprendre ce que le texte légal est insuffisant à nous faire connaître. Ainsi, de même que pour l'époque féodale nous avons les traités de P. de Fontaines, de Beaumanoir (ci-dess. n° 100), et pour l'époque intermédiaire (celle du quatorzième et du quinzième siècle) les anciennes Constitutions et les Coutumes notoires du Châtelet, les Décisions de Jean des Mares, le Grand Coutumier de France, la Somme rurale de Bouteiller (ci-dess. no 109): de même pour la troisième époque nous avons, au seizième siècle, la Practique judiciaire, tant civile

Déclaration du 2 août 1780, de Louis XVI, concernant l'abolition de la question préparatoire.

Déclaration du 1er mai 1788, de Louis XVI, relative à l'ordonnance criminelle.

que criminelle, du premier président Lizet, puis celle de Jean Imbert, puis l'ouvrage si remarquable, sentant son bon et vieux gaulois, de Pierre Ayrault, lieutenant criminel à Angers. De telle sorte que la marche historique de notre ancien droit pénal est marquée par une série de textes et d'écrits échelonnés de distance en distance sur la route. Quant aux ouvrages postérieurs, ils deviennent trop rapprochés de nous et trop connus pour qu'il soit nécessaire de les nommer (1).

118. Enfin, aux diverses sources que nous venons de signaler, ajoutons encore les Arrêts de règlement, que les parlements rendaient par voie de dispositions générales, obligatoires dans l'étendue de leur ressort. Quoique ne statuant le plus souvent que sur des détails réglementaires de moindre importance, et n'ayant qu'une autorité territoriale limitée, ces arrêts, investis d'une sorte de caractère législatif, ont une place à prendre dans les textes de notre ancienne législation. On en rencontre plusieurs en matière de droit pénal.

119. Si nous passons maintenant au fond des choses, et que nous cherchions à caractériser, en quelques pages, l'action des ordonnances royales en ce qui concerne la pénalité, les juridictions et la procédure pénales, voici le résumé auquel nous arriverons :

Influence des ordonnances royales sur la pénalité.

120. La pénalité a toujours pour principe la vengeance: non plus la vengeance privée, comme à l'ère barbare; ni la vengeance du seigneur, comme à l'ère féodale: sous l'ère monarchique, c'est la vengeance du roi. On ne dit plus, avec Beaumanoir: « Que li Segneur sacent quele venjance il doivent penre de cascun meffet »> (ci-dessus, n° 101, note 1), on dit, comme dans le Manuel de M. d'Argou : « La vengeance est défendue aux hommes, et il n'y

(1) Practique judiciaire pour l'instruction et décision des causes criminelles et civiles, par Pierre LIZET, premier président au parlement de Paris. — Pierre Lizet, nommé premier président en 1529, et démissionnaire par contrainte en 1550, est mort en 1554. Son ouvrage a été publié avec des annotations de Charondas le Caron en 1603, in-8°, et depuis encore en plusieurs autres

éditions.

Practique judiciaire tant civile que criminelle, par Jean IMBERT, publiée pour la première fois en latin en 1552, in-8°, et depuis en français.

L'ordre, formalité et instruction judiciaire dont les anciens Grecs et Romains ont usé ès accusations publiques, conféré au stil et usage de notre France, par Pierre AVRAULT, lieutenant criminel au siége présidial d'Angers. Paris, 1604, in-4o, et autres éditions. On voit, par la préface des quatre livres de son ouvrage, qu'Ayrault les composait de 1587 à 1591. En prenant pour sujet et pour guide l'ancienne procédure des Romains dans les accusations publiques, et en y comparant la procédure inquisitoriale telle que le chancelier Poyet venait récemment de l'organiser à nouveau dans son ordonnance de 1539, Pierre Ayrault est conduit aux sorties les plus vigoureuses contre cette sorte de procédure, à l'exposition d'idées qui paraîtraient avancées même encore aujourd'hui sans jamais abandonner cependant le bon sens pratique qu'il avait à un haut degré.

et

a que le Roi qui la puisse exercer par ses officiers en vertu du pouvoir qu'il tient de Dieu » (ci-dessus, page 19, note 1). Aussi l'Angleterre appelle-t-elle ses procès criminels les plaids de la couronne (crown's pleas). Du reste, les incriminations et les peines se montrent fidèles au principe passionné dont elles dérivent. On sent que l'esprit de vengeance en est la base; et, par une association impie, nous voyons quelquefois, comme dans l'ordonnance de François le décrivant le supplice de la roue, nous voyons le législateur qui, dans les dispositions les plus cruelles de ces lois vindicatives, ne craint pas de faire intervenir jusqu'à l'idée de notre religion, c'est-à-dire de la religion de miséricorde et de pardon (1)! Quant à relever, dans chaque détail, le vague, l'injustice, quelquefois même l'absurdité d'une multitude d'incriminations de ces temps; l'atrocité, l'inégalité, l'arbitraire et tous les autres vices des peines : c'est un sujet qui a été déjà plus d'une fois traité ailleurs; nous nous épargnerons la douleur de le reprendre ici (2).

121. L'autorité royale n'a pas édicté chez nous de code pénal; mais, en parcourant la série des ordonnances dans leurs dispositions répressives, on en trouve assez pour former un code dans lequel une multitude de crimes ou de prétendus crimes sont frappés d'une multitude de peines. Un conseiller au parlement de Paris, M. de l'Averdy, a fait ce travail et l'a publié sous l'anonyme, en 1752 (3). Ce système de pénalité par ordonnances particulières, sur chaque fait, en place d'un code général, a par lui-même des vices majeurs, quelque part et en quelque temps qu'il soit employé. En premier lieu dispositions rendues sous l'impression d'un moment, souvent ab`irato, par conséquent exagérées; ainsi que nous le voyons dans nos ordonnances royales contre les crimes de religion, aux époques de luttes et de controverses religieuses; contre les crimes d'État et de lèse-majesté, aux époques d'agitations et de rébellions politiques; contre la noblesse, réduite dans ses armes et dans ses châteaux, à l'époque où la couronne veut en avoir raison; contre le duel, à l'époque où il a fait scandale, où la royauté se met aux prises avec lui et s'irrite de sa résistance. La loi pénale est faite, non pas dans le calme d'une juste appréciation de chaque acte répréhensible, mais dans un mouvement et

(1) ..... Les bras leur seront brisés et rompus en deux endroits, tant haut que bas, avec les reins, jambes et cuisses, et mis sur une roue haute plantée et élevée, le visage contre le ciel, où ils demeureront vivants, pour y faire pénitence tant et si longuement qu'il plaira à Notre-Seigneur les y laisser.» (Ordonnance du 4 février 1534.)

(2) Voir là-dessus le tableau, si vif, si animé, tracé par M. Dupin dans son discours de rentrée de novembre 1847. - Voir aussi le résumé de notre Cours d'introduction historique publié en 1841, p. 107 et suiv.

(3) Code pénal, ou recueil des principales ordonnances, édits et déclarations sur les crimes et délits. Paris, 1752, in-12; 2o édition en 1755, et plusieurs autres ensuite.

dans des préoccupations passionnés. En second lieu : manque de proportion dans l'importance comparative des matières. En troisième lieu manque de proportion et d'échelle comparative dans les châtiments. — En quatrième lieu: absence de ces dispositions essentielles qui dominent toute la pénalité, sur les délits, sur les peines et sur les conditions de la culpabilité considérés en général. Enfin, manque de publicité populaire. Telles sont, indépendamment de leurs vices intérieurs, les vices du système mème de nos ordonnances en fait de pénalité.

Influence des ordonnances royales sur les juridictions.

122. A l'égard des juridictions, c'est dans les ordonnances que l'on voit s'opérer le travail par lequel ces juridictions sont créées : travail qui finit par étendre sur tout le territoire les cours et les juges royaux, limiter et contenir les justices ecclésiastiques, réduire et dominer les justices seigneuriales, et faire admettre en axiome que toute justice émane du roi.

Jusqu'à la fin du treizième siècle, les ordonnances sur la Cort le Roy, sur les prevost et les baillis, sur leurs assises et le concours des juges jurés, telles que celles de Philippe-Auguste et de saint Louis (1190, 1254, 1256), sont conformes à l'esprit du système féodal, alors régnant, et dont nous avons décrit le caractère (ci-dessus, no 102).

Mais, dès les dernières années du treizième siècle, et surtout après les célèbres ordonnances de Philippe le Bel (de 1291 et de 1302), qui achèvent la séparation déjà commencée dans la Cort le Roy entre l'assemblée délibérant sur les affaires publiques ou le Conseil et l'assemblée judiciaire ou la Chambre aux pletz, et qui commencent une organisation régulière et distincte du parlement, s'ouvre, pour la juridiction royale, une marche progressive continue, dont les ordonnances nous offrent le tableau : jusqu'à l'époque où le système est complet, où quinze parlements ou cours souveraines se partagent l'étendue du royaume, ayant sous eux des siéges présidiaux, sous ceux-ci des bailliages ou sénéchaussées, et sous ceux-ci des prévôtés ou châtellenies; avec une multitude de juridictions royales extraordinaires, grand conseil, chambres, cours, commissaires ou juges spéciaux pour une infinité de cas d'exception et de matières mises à part.

123. C'est aussi dans les ordonnances royales que l'on voit poindre l'origine, puis s'achever le développement de l'institution du ministère public, qui s'étend des justices royales aux justices seigneuriales et aux justices ecclésiastiques: procureurs généraux, avocats généraux du roi, ou simplement procureurs, avocats du roi, dans les premières; - procureur fiscal, dans les secondes; et promoteur, vindex publicus religionis, publicæ disciplina vindex et assertor, dans les troisièmes : comme si ces

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