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Venaissin, devenus possession du saint-siége, l'avaient seuls

conservé.

73. Mais si le tribunal spécial d'inquisition n'a pu s'établir en France, il n'en a pas été de même des formes de procédure inquisitoriale, dont le système avait été réglé par les constitutions d'Innocent III, et qui étaient pratiquées par les juridictions ecclésiastiques ordinaires. Nous aurons à voir comment ces formes ont passé, en se développant, des juridictions ecclésiastiques aux juridictions séculières.

Elles n'étaient introduites, du reste, dans l'origine, par le droit canonique, nous l'avons déjà dit (no 57), que comme une procédure extraordinaire, pour des cas exceptionnels, avec ce tempérament qu'elles ne devaient pas entraîner toute la sévérité de la peine contre celui qui n'avait été condamné que par suite d'une telle procédure.

§ 3. Droit barbare.

74. A côté des deux sources qui viennent d'être indiquées, le droit romain et le droit canonique, il en faut placer une troisième, la législation des Barbares, ou, pour mieux dire, des anciens Germains.

75. De même que l'invasion barbare a apporté sur le monde romain une population nouvelle, rudement vigoureuse et originale, dont l'installation et le mélange avec les vaincus ont produit les nations modernes de l'Europe, de même cette invasion a apporté dans la législation un élément grossier, mais tout nouveau et fortement caractérisé, qui s'est allié graduellement avec le droit romain et le droit canonique, et qui a fini par produire le nouveau droit européen.

Il y a eu toutefois, entre ces trois sources, cette différence majeure de composition et de destinée: 1° que le droit barbare, divisé en diverses lois, empreintes sans doute d'un esprit commun, mais séparées dans leur existence et dans leurs détails, ne s'est jamais présenté avec ce caractère d'unité compacte et puissante que le droit romain et le droit canonique offrent tous les deux; 2° qu'il a fourni, dans la vie législative des nations modernes de l'Europe, l'élément destiné à être travaillé, absorbé et décidément transformé, tandis que le droit romain et le droit canonique se sont pendant longtemps de plus en plus dégagés et élevés.

76. L'époque que l'on peut signaler dans notre histoire comme celle de la législation barbare s'étend depuis le cinquième siècle jusqu'au dixième. Elle comprend les diverses lois des Francs Saliens, des Bourguignons, des Francs Ripuaires, des Allemands, des Bavarois, des Lombards, des Visigoths, des Thuringiens, des Frisons, des Saxons et des Anglo-Saxons, ainsi que les Capitulaires de nos rois de la première et de la seconde race. Nous n'y trouvons pas l'élément barbare dans toute sa pureté. Au contraire, plus on

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avance, plus on voit cet élément modifié par l'influence du droit romain, législation conservée aux vaincus et au clergé, et par celle des institutions canoniques; plus on voit sa transformation qui se prépare (1).

77. C'est dans le texte même de ces lois barbares et de ces capitulaires qu'il faut étudier tout ce qui concerne : la guerre de famille (faida), héritage de vengeance qui se transmet par succession avec la terre et la cuirasse; les compositions ou le rachat de la vengeance qui en dérivent, décomposées en deux parts, l'une pour la famille offensée (weregeldum, de Wehr, défense, et Geld, argent monnayé), et l'autre pour le fisc (fredum, de Friede, paix); les peines, atroces dès qu'elles apparaissent, comprenant toutes sortes de supplices de mort, de mutilations, d'aveuglement, de talion, d'esclavage, de décalvation, de mise hors la loi, de confiscation, mêlées souvent à des pénitences canoniques, et quelquefois à des dispositions ridicules (2);—le système des juridictions par convocations temporaires et périodiques (mallum, placitum), avec le concours de certains d'entre le peuple, sous la présidence d'un officier civil et militaire, délégué du roi ou du princeps ; — la procédure publique, par accusation, mais avec l'obligation, sur un simple soupçon, de se purger, avec l'emploi des conjuratores, des ordalies et quelquefois de la torture; en un mot, tous les éléments que la législation barbare a apportés dans la pénalité, dans les juridictions et dans la procédure pénales.

78. Toutes ces lois ne sont pas identiques dans leurs dispositions; mais elles ont un même caractère général. On y voit, la guerre de famille plus ou moins en vigueur, ou déjà plus ou moins restreinte par les efforts de l'Église ou du prince; les compositions, quoique avec des détails et des chiffres différents, se trouvent partout; la coopération du peuple aux jugements, déjà dans plusieurs lois, n'apparaît plus d'une manière claire : il faut la rechercher dans des documents antérieurs ou différents; le nombre des conjuratores et le genre des épreuves varient d'une nation à l'autre, mais dans toutes ces deux institutions existent; enfin l'intervention

(1) Il existe divers recueils des lois barbares. Nous nous contenterons de signaler ceux de CANCIANI, Barbarorum leges antiquæ. Venet., 1781-1792, 5 vol.—WALTER, Corpus juris germanici antiqui. Berlin, 1824, 3 vol. grand in-8°. En y joignant la remarquable édition de la Loi salique, ou Recueil contenant les anciennes rédactions de cette loi et le texte connu sous le nom de Lex emendata, avec des notes et des dissertations, par M. PARDESSUS. Paris, 1843, in-4o.

Quant aux Capitulaires, on peut en voir l'édition donnée par P. de CHINIAC, d'après BALUZE, Paris, 1677, 2 vol. in-fol. ; et celle de Walter, dans la collection citée ci-dessus.

(2) Comme dans la loi des Bourguignons : pour le vol d'un épervier, se faire manger par cet épervier six onces de chair posées sur le sein (super testones); et pour le vol d'un chien de chasse, baiser ce chien, devant tout le peuple, sous la queue. (Additamentum 1, tit. 11 et 10).

de l'Église s'y manifeste dans plusieurs points, soit en certaines
épreuves que les textes nous montrent accomplies avec le concours
et les prières du prêtre, soit dans les trêves imposées aux guerres
privées, soit dans les asiles, soit dans quelques premiers indices
de juridiction ecclésiastique.

:

79. Toutes ces lois barbares ayant un caractère commun s'étu-
dient et se comprennent mieux l'une par l'autre ; toutefois, celles
qui doivent le plus attirer notre attention à nous sont les trois
lois des Francs Saliens, des Bourguignons et des Francs Ripuaires,
comme plus intimement liées à nos origines nationales; la loi des
Anglo-Saxons, pour l'organisation des juridictions, et celle des
Visigoths, pour la participation que le clergé a prise à sa rédaction
et pour son influence dans la partie méridionale de notre territoire.
80. Les Capitulaires, dont la majeure partie appartient à Char-
lemagne, traitent le plus souvent de matières ecclésiastiques ou
des intérêts politiques du moment cependant la pénalité y est
mêlée partout.

81. A la suite des capitulaires se trouvent réunies par les édi-

teurs diverses collections de formules contemporaines, dont plu-

sieurs offrent un grand intérêt pour l'histoire du droit pénal à cette

époque; on y voit, mises en action, diverses pratiques de ce droit,

dans des chartes ou modèles relatifs à des cas de composition, de

purgation par conjuratores ou par la croix, d'accusation, de cita-

tion, de jugement; on y reconnaît des traces visibles de la manière

dont les juridictions étaient composées, de l'importance attachée à

l'aveu de l'accusé, de l'intervention des prêtres pour faire compo-

ser les parties ou pour accomplir le rituel des ordalies (1).

Formules de Lindenbrog: nos 81, 82, 117 à 126 et 160.

Formules des exorcismes et excommunications, sorte de rituel ecclésiastique

pour les diverses ordalies et pour quelques autres cas.

(2) L'engagement de foi et loyauté était réciproque dans le contrat de fief:

et le donataire, y compris leurs successeurs respectifs, ce seul contrat, dans lequel se résume en dernière analyse la constitution d'un fief (feudum, de fiies, foi, fidélité) (1), et qui parait peu de chose en soi si on l'examine superficiellement, a pourtant changé la face de l'Europe. Il a modifié profondément l'ordre politique, la société, la famille, la propriété avec tout le droit qui les régit, et les institutions pénales s'en sont ressenties considérablement. Comment d'aussi graves conséquences ont-elles été produites par un tel contrat, qui n'était après tout que le développement d'une coutume personnelle depuis longtemps pratiquée par les Germains? Comment, à la suite de l'occupation définitive et de la distribution d'un sol conquis, est-il sorti de cette coutume personnelle une institution territoriale permanente, et finalement un régime particulier, le régime féodal? Il serait trop long, et il n'entre pas dans notre sujet de le dire ici.

83. Qu'on remarque dans ce contrat ce qui est relatif à la transmission de biens et ce qui est relatif aux engagements personnels: deux parties distinctes, quoique essentiellement unies, empreintes d'originalité toutes deux. Par l'une la constitution de la propriété, par l'autre l'organisation des personnes ont été renouvelées.

84. La propriété s'est décomposée en deux parts le domaine utile concédé au bénéficiaire, et le domaine direct réservé au donateur; décomposition nouvelle dans laquelle les jurisconsultes ont bien pu chercher des analogies avec la division de droit romain, en usufruit et en nue propriété, mais qui s'en distingue profondément. Par suite de leur origine, l'un de ces domaines, le domaine utile, s'est trouvé exister à titre de bienfait reçu et de subordination; l'autre, le domaine direct, à titre de bienfait accordé et de supériorité; cette idée d'infériorité et de supériorité a été étendue même à l'immeuble concédé, par opposition au bien dont il avait été détaché et qui était resté dans les mains du donateur de telle sorte que non-seulement les droits de domaine, mais les immeubles eux-mêmes, terres, châteaux et maisons, se sont subordonnés les uns aux autres.

85. Il en a été de même des personnes. Le donateur de fief

Doit l'homme joindre ses deux mains en nom d'humilité, et mettre ès deux mains de son seigneur en signe que tout luy voue et promet foy. Et le seigneur ainsi le reçoit, et aussi luy promet à garder foy et loyauté. (Somme rural de Bouteiller, liv. 1, tit. 82, § 2, p. 478). -Tout autant que li hons (l'homme) doit à son seigneur de foi et de loiaté par le reson de son homage, tout autant li sires en doit à son home, dit Beaumanoir, bien antérieur à Bouteiller. (Ch. 61, § 28, t. II, p. 385).

(1) De la dérivation et ethymologie du mot barbare latin feudum, je laisse disputer les docteurs feudistes; mais le mot fief. qui est ancien originaire françois, n'en procède Il se trouve en tous les vieux livres escrit fié, sans f: ... les anciens François ont usé de ce mot fié, fier et fiance, pour fidel ou feal, et fidélité ou féauté. » (Annotations de Charondas le Caron sur le titre précité de Bouteiller, p. 481).

prenant pour lui et pour ses successeurs le nom de seigneur, et le bénéficiaire pour lui et pour ses successeurs le nom de vassal, les personnes engagées dans le contrat féodal se sont divisées en seigneurs et en vassaux. La promesse réciproque de foi et de loyauté était une promesse de foi et de loyauté dans la protection de la part du seigneur, de foi et de loyauté dans l'assistance de la part du vassal (1). Celui-ci se déclarait l'homme de son seigneur, d'où est venu à cette déclaration le nom d'hommage (2); il se trouvait engagé, lui et ses successeurs, dans un lien de services personnels d'une durée indéfinie. De telle sorte que la chaîne et la subordination féodales ont embrassé à la fois les immeubles, les droits de domaine et les personnes de génération en génération.

86. Le réseau s'est étendu encore à mesure que le vassal a luimême concédé en fief une partie de l'immeuble qu'il avait reçu, prenant à son tour le rôle de seigneur envers son vassal; qu'il y a eu ainsi des fiefs, et des arrière-fiefs tenus par seconde, par tierce, par quarte main, et que le premier concessionnaire ou seigneur suzerain a compté sous lui des vassaux, des vavassaux et ainsi de suite en descendant la filière des inféodations successives.

87. On a donné en fief non-seulement des immeubles, mais des droits immobiliers de toute sorte, rentes, dimes, péages, ou redevances quelconques : d'où, suivant les expressions de Bouteiller, des fiefs incorporels et non tangibles (3). Parmi ceux-ci on peut noter celui qui se nommait fief en l'air, lorsque le seigneur ayant inféodé tout son domaine sans en retenir aucune partie, ne se trouvait plus avoir que son droit abstrait de seigneurie féodale.

Même des droits qui, suivant leur nature, ne devraient appartenir qu'à la puissance publique, des offices, certains tributs, le produit des amendes, des confiscations, jusqu'à l'autorité de com

(1) Beaumanoir explique parfaitement cette différence, ch. 61, § 31, t. II,

p. 386.

(2) Le mot d'hommage, appellé hominium par Helmodius, Radevicus et autres anciens, tesmoigne ceste antiquité; d'autant qu'il est entendu par l'hommage que le vassal devient homme, c'est-à-dire sujet. » (Somme rural de BouTEILLER, liv. 1, tit. 82, Annotations de Charondas le Caron, p. 481).

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Sire, je viens à vostre hommage et en vostre foy, et deviens vostre homme de bouche et de mains, et vous jure et promets foy et loyauté envers tous » et contre tous, et de garder vostre droict à mon pouvoir, et faire bonne justice , à vostre semonce ou à la semonce de vostre Baillifs à mon sens et celer le secret de vostre cœur. Et ce faict, le seigneur le doit recevoir et respondre en telle manière « Et ainsi je vous recoy comme mon homme de fief, sauf mon droict et l'autruy. » (1ỗ., liv. 1, tit. 82, § 2, La manière de faire hommage, p. 473.)

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Aussi, dit Charondas le Caron dans ses Annotations (p. 481), le fief se peut bien definir, selon le droict François : L'héritage tenu d'un seigneur, à la charge et condition de la foy et hommage.

(3) Si comme aucunes fois on vend sur son fief aucune rente ou pension annuelle, et ce appelle on fief incorporel et non tangible. (Somme rural, liv. 1, tit. 82, § 4, p. 479.)

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