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mier et le plus cruel châtiment. Caïn s'écrie après le meurtre de son frère: Mon iniquité est trop grande pour pouvoir en obtenir le pardon (Gen. 4). Toutefois le Seigneur a jugé utile d'ajouter à la loi naturelle le précepte positif que nous venons de rapporter. Avant même de le faire entrer dans la loi judaïque, il l'avait donné à Noé et à ses enfants, aussitôt après le déluge. Quiconque, est-il écrit dans la Genèse, aura répandu le sang de l'homme, sera puni par l'effusion de son propre sang; car l'homme a été créé à l'image de Dieu (9). JésusChrist parle aussi de cette défense dans le discours de la montagne, comme pour la confirmer de son autorité, d'où il résulte qu'on viole en même temps les droits de Dieu et ceux du prochain, toutes les fois qu'on commet un homicide volontaire et injuste, ou qu'on y participe par complicité. Ce qui doit s'étendre aussi par proportion à tout dommage qu'on pourra causer au prochain dans les biens du corps, en le maltraitant, en lui occasionnant des blessures, des maladies, ou en lui faisant subir des mutilations. La question, envisagée sous ce rapport, n'offre pas de difficulté au moraliste. Partout on blâme, on condamne comme un crime l'homicide qui provient des passions que nous avons signalées.

Mais en est-il de même du duel, du suicide? On ne saurait l'affirmer sans être démenti par les faits, qui sont l'exacté démonstration des idées. Autrefois ce dernier crime, qui apparaissait de loin en loin dans la société française, inspirait à

tous un sentiment d'effroi et d'horreur. Le peuple surtout, dans sa simplicité religieuse, ne pouvait comprendre comment on se portait à cette violation si coupable des lois divines, dont les suites terribles épouvantaient sa conscience et sa foi. Aussi on ne voyait guère le suicide que parmi les hommes de la classe élevée, qui cherchaient dans la moit un refuge contre l'ignominie, après une vie déshonorée par la dissipation, le jeu et la débauche.

Quel déplorable changement s'est opéré dans nos mœurs! Aujourd'hui le suicide a ses doctrines, ses théories devenues populaires. On en discute froidement les motifs, les avantages, les moyens de le réaliser avec moins de souffrance, avec plus d'éclat ou de vanité. Tous les jours nous avons la douleur de voir, dans les colonnes des journaux, plusieurs applications de ces principes criminels. Ici ce sont deux jeunes hommes qui s'asphyxient en se donnant la main pour entrer ensemble dans l'éternité, comme dans une salle de festin. Là, c'est un vieillard octogénaire, qui appelle des amis nombreux à sa table pour célébrer l'anniversaire de sa naissance, et vers la fin du repas, il se donne la mort, en faisant à ses convives le dernier adieu avec le sourire sur les lèvres et l'expression d'une vanité satisfaite par une fin si tragique, un coup de couteau au cœur! Les personnes du sexe ont aussi contracté une horri ble familiarité avec le suicide, et elles y ont recours avec des circonstances tout analogues à leur caractère et à leurs habitudes. C'est le terme de

ce qu'elles appellent les chagrins, les ennuis, les dégoûts de la vie. L'une se pare comme dans un jour de fête, et tâche de s'assurer, en mourant, une attitude dramatique. L'autre demande à son complice encore un dernier coup de poignard, en le conjurant de faire en sorte que le sang n'inonde pas le parquet, crainte de l'endommager.

Divers moyens servent encore à consommer le suicide. Souvent on se donne la mort par des ar→ mes à feu ; d'autres se pendent; certains se brisent contre le pavé, et un grand nombre se jettent dans la rivière; aussi hien, dit-on, elle coule pour tout le monde. On y trouve parfois, en effet, mêlés aux immondices d'une cité, les cadavres hideux de femmes élégantes, de jeunes hommes de famille, d'artistes célèbres, de magistrats, et même d'académiciens. Des hommes d'état font aussi ce déplorable aveu, dans la prévision d'un insuccès politique « Mais que serions-nous devenu en cas de revers? nous nous serions jeté dans la Seine (4). »

Mais quels peuvent donc être les motifs de ces déterminations homicides? Pour les assigner, il faudrait scruter le cœur humain, ce profond abîme où toutes les passions, l'orgueil, l'ambition, la volupté, la jalousie, la haine, la vengeance, sont renfermées comme dans le sein d'un volcan. Si certaines de ces passions violentes ne sont pas comprimées, souvent elles portent dans la société

(4) On doit convenir que ces paroles de l'illustre auteur du congrès de Véronne, t. 2, p. 188, n'ont pas été inspirées par le génie du christianisme.

la perturbation et le crime; et si elles viennent à être fortement contrariées, elles se soulèvent, s'irritent, jettent l'âme dans une fureur délirante, rendent la vie intolérable, et l'on s'en délivre comme d'un tourment. Souvent aussi la perte d'un objet qu'on chérissait plonge dans un état de tristesse et de langueur, dont on se laisse dominer, et voilà que l'existence devient un fardeau qu'on ne peut porter. On voit encore des malheureux hâter la fin d'une vie de souffrances, qu'ils n'ont pas le courage d'endurer. Mais la cause principale de ce désordre moral, c'est l'absence des croyances religieuses, l'éloignement des pratiques du christianisme. Faible par sa nature, sous le joug des passions tyranniques, l'homme ne trouvera de secours que dans la religion, seule capable de modérer ses penchants, de soutenir son âme dans les afflictions et le malheur. On n'infère pas de là, nous en convenons, que tous les impies doivent terminer leur vie par le suicide; il est vrai néanmoins que l'homme qui se rend coupable de ce crime l'aurait évité par la fidélité aux pratiques religieuses, c'est par trop évident; mais s'il avait eu dans son âme les convictions d'une vie future, de l'existence d'un juge sévère et des châtiments réservés aux prévaricateurs de ses lois. Otez, détruisez ces croyances, il ne reste plus de force contre la violence des passions, ni de protection dans les peines de la vie. On invoquera la mort, on se la procurera pour se délivrer de l'existence, alors qu'elle ne paraîtra

plus qu'un poids accablant, et qu'une longue douleur,

La religion réprouve et condamne le suicide comme un crime qui viole les droits de Dieu, maître souverain de la vie et de la mort, selon ces paroles de la Sagesse et du Deuteronome: C'est vous, Seigneur, qui avez puissance de vie et de mort, vous à qui il appartient de faire mourir et de conserver la vie (16. 32). L'homme qui se donne la mort est encore criminel envers la société à laquelle il appartient; il se doit à elle comme un membre au corps, et s'il ne peut lui rendre des services éminents, qu'il la serve du moins par la pratique de l'obéissance, de la charité, de la patience, de la probité : on est toujours utile par l'accomplissement de ces devoirs. Vous connaisPhilosophe d'un sez ces paroles de Rousseau : jour, ignores-tu que tu ne saurais faire un pas sur la terre sans y trouver quelque devoir à remplir et que tout homme est utile à l'humanité, par cela seul qu'il existe ? Chaque fois que tu es tenté de sortir de la vie, dis en toi-même : Que je fasse encore une bonne action avant de mourir; puis va chercher quelque indigent à secourir, quelque infortuné à consoler. Si cette considération te retient aujourd'hui, elle te retiendra demain, après demain, toute la vie (1). » D'ailleurs ce funeste exemple ne peut-il pas contribuer à priver la société de plusieurs de ses enfants, à plonger de

(1) Héloïse... Lettre 22o, 3o partie.

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