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de la personne qui les entendra. On ne peut en faire usage, sans se rendre coupable de mensonge, lorsqu'elles sont purement mentales, c'est-à-dire, quand elles n'offrent ni par elles-mêmes, ni par aucune circonstance le sens de celui qui les emploie, et que par conséquent il est essentiel de leur donner leur signification naturelle; par exemple, si l'on demande : Avez-vous mangé de la viande, et qu'on réponde clairement, non, entendant en soi-même qu'on n'a point mangé de viande crue, ni en carême. Si au contraire les expressions employées ont deux significations, l'une commune, l'autre particulière, celle-ci pourra être découverte assez facilement par certaines circonstances examinées avec attention, et dès lors il n'y a point de mensonge dans l'usage de ces restrictions; ainsi pour me servir d'un second exemple cité par les théologiens; quand on demande à emprunter une somme, et qu'on répond: Je n'ai pas d'argent, en entendant, à prêter; il est facile de comprendre cette restriction. On observe cependant que pour employer ces paroles à double sens, il faut quelque raison assez grave; en user sans motif un peu important, ce serait déroger à cette simplicité recommandée par Jésus-Christ: Contentez-vous de dire: Cela est; ou cela n'est pas. Ces restrictions seront encore moins permises à celui qui par sa position est obligé de manifester la vérité clairement, en répondant selon l'intention du supérieur qui a le droit de l'interroger.

LE D. Faites-vous entrer aussi les détractions dans'ce huitième commandement?

LE TH. Nous allons en parler. Vous savez qu'on entend par détraction, la diffamation injuste du prochain faite en son absence et s'il était présent, elle devrait s'appeler contumélie, Elles diffèrent, en ce que l'une attaque la rẻputation et l'autre l'honneur : si le mal qu'on dit en l'absence du prochain est véritable, mais inconnu, la détraction porte le nom de médisance, et de calomnie lorsque ce mal est faux. On nomme formelle la détraction faite avec l'intention directe de diffamer, et matérielle celle qu'on fait sans dessein de porter atteinte à la rẻputation. Nul doute que la détraction formelle ne soit de sa nature un péché mortel, selon l'enseignement des livres saints où la calomnie et la médisance sont condamnées par les mêmes expressions Les dents des médisants sont semblables à des flèches, et leur langue à des couteaux tran¬ chants (1). Le médisant est l'abomination des hommes; le coup de la langue brise les os (2). Celui qui parle mal de son frère, parle contre la loi (3). Ni les médisants, ni les ravisseurs ne seront point les héritiers du royaume de Dieu (4). Parmi les crimes cités dans le premier chapitre de sa lettre aux

(1) Ps. 56,

(2) Prov. 24. 28.

(3) Jac. 4.

(4) 1. Cor, 6.

Romains, saint Paul comprend la détraction, et il ajoute que ceux qui font ces choses sont dignes de mort.

En comparant la détraction au vol, il est facile de juger qu'elle a plus de gravité, puisqu'elle ràvit au prochain un bien beaucoup plus précieux, sa réputation, trésor que nous devons préférer aux richesses, suivant l'appréciation des livres saints (1). Cependant la détraction pourra devenir une faute simplement vénielle, dans la calomnie, si elle se fait par inadvertance, ou en matière peu importante; et dans la médisance, d'abord par les mêmes circonstances, et puis si le mal qu'on dit est en partie connu, ou qu'on le manifeste sans avoir un motif entièrement suffisant. Cette défense de la détraction s'applique aussi aux diffamations dont les morts peuvent être l'objet, n'ayant pas moins de droit que les vivants à la charité et à la justice. Tout le monde convient qu'il n'y a aucun péché à faire connaître le mal d'autrui, quand il s'agit de notre intérêt propre, par exemple, dans le dessein de demander des conseils utiles; lorsqu'on le fait en faveur d'un coupable afin de le corriger, ou encore dans l'intérêt du bien public, et enfin si cette manifestation a lieu pour éloigner du prochain le dommage qu'il souffre, ou dont il est menacé, par exemple, par l'infidélité de ses domestiques, ou

(1) Prov. 22.

l'inconduite d'un co-associé, qui compromettra son commerce et sa fortune.

Puisque la détraction viole la justice en ravissant au prochain sa réputation, il est évident qu'une réparation devient nécessaire, comme pour le vol. Le mode de l'accomplir sera différent selon la nature de la détraction. Dans la calomnie, on doit avouer simplement la fausseté de ce qu'on a dit, et de telle sorte que l'innocence du prochain soit bien établie; pour la médisance, on ne peut déclarer faux ce qu'on a avancé sur la conduite d'autrui, ce serait un mensonge; mais il faut affaiblir l'impression qu'on a causée, en employant des moyens indirects, en louant le prochain, ou en faisant remarquer à son occasion que dans le monde on hasarde bien des choses inconsidérément et par passion. En un mot, il faudra trouver selon les circonstances une manière

de réaliser cette réparation on sera obligé de l'étendre jusqu'aux biens temporels, si l'on a occasionné quelque dommage de cette espèce par suite de la détraction. Ces devoirs sont aussi applicables à la contumélie, ordinairement plus offensante et plus grave. Les héritiers du médisant ne sont pas obligés à la réparation relative à l'honneur, à la réputation, elle est personnelle; mais ils doivent réparer les dommages réels causés au prochain par la détraction du testateur.

Ces paroles de l'Ecclésiastique : Bouchez vos oreilles avec des épines, et n'écoutez pas les langues méchantes (18), nous font comprendre l'obli

gation directe et absolue de ne point participer à la détraction, ce qui peut arriver d'abord en excitant le détracteur; puis, en l'écoutant avec un plaisir secret, par aversion pour celui dont il médit. Enfin lorsqu'on ne paraît pas improuver cette action par négligence, par crainte, ou par respect humain. Dans le premier cas, on blesse la charité envers la personne qu'on porte à la médisance ou à la calomnie, et en même temps envers celui qui en est l'objet ; et si un dommage lui est causé, à défaut du détracteur, celui qui l'a excité, est solidairement tenu à le réparer. Dans le second cas, on viole la charité, mais non la justice, à moins qu'on n'eût autorité sur le détracteur. Dans la troisième hypothèse, il n'y aura point de faute si l'on ne peut s'opposer efficacement à la détraction par exemple, si l'on avait à redouter la colère, les blasphêmes du médisant, ou si c'était un supérieur. Quoiqu'il en soit, il y a toujours des moyens de ne pas se rendre coupable de cette participation, c'est de s'éloigner quand on le peut sans trop d'inconvénients, ou de se montrer triste, froid, distrait préoccupé, inquiet, ce qui pourra contribuer à faire changer le sujet de la conversation. Mais on ne commettra ordinairement aucune faute en écoutant le mal sur le compte du prochain, si la chose est publique, et qu'il y ait quelque utilité à en parler, comme pour éviter un dommage qu'on préviendra en apprenant ce qui se dit sur telle personne, ou pour lui être utile par de bons conseils.

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