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QUARANTE-HUITIEME ENTRETIEN.

LES GOMMANDEMENTS DE L'ÉGLISE.

L'ÉGLISE A LE POUVOIR DE PORTER DES LOIS.

LE D. Si je me souviens de l'ordre que vous avez indiqué, c'est des préceptes de l'Eglise que vous allez parler, à la suite du Décalogue. Avant d'entrer dans ce sujet, permettez-moi de vous faire observer que beaucoup de gens dans le monde contestent à l'Eglise le pouvoir d'imposer des commandements. Les chrétiens doivent admettre son infaillibilité pour les décisions sur la foi, les mœurs, les accepter, et s'y soumettre avec docilité on ne peut lui appartenir qu'à cette condition. Mais pour des lois proprement dites, ils ne reconnaissent qu'à Dieu, et au divin médiateur, le pouvoir d'en établir. Aussi se croiraient-ils coupables en violant les préceptes du Décalogue, tandis qu'ils ne voient que l'omission d'un con

seil de perfection dans ce que vous appelez une transgression des commandements de l'Eglise. Voyez, Monsieur, si cette manière de juger et de se conduire est conforme aux enseignements des théologiens.

LE TH. Non assurément, non plus qu'aux principes de la vérité, comme vous allez bientôt en être convaincu. Que prétend -on d'abord, en affirmant que Dieu et son divin fils peuvent seuls porter des lois proprement dites? Cela signifie-t-il que le monde est une théocratie universelle, où le Créateur et son Christ imposent leurs préceptes immédiatement, soit par une proclamation générale, soit par une communication faite à chaque individu? Or, vous ne trouverez nulle part ce gouvernement divin ainsi constitué avec une direction visible, constante, immédiate. Ce sera donc dans la conscience de chacun qu'il faudra chercher le code unique de ses devoirs, la seule règle de sa conduite ? Principes anarchiques anti-sociaux, qui jetteraient partout le désordre et la confusion. Qu'on ne dise pas que Dieu a écrit dans les livres saints, comme il a gravé dans les âmes, toutes les lois nécessaires à l'ordre social. Cette assertion est inexacte dans le sens et l'étendue qu'on lui donne ; car le Seigneur n'a point eu la volonté de tracer des règles de gouvernement, d'administration pour les sociétés qui composent le monde, de sorte qu'il ne fallût plus jamais ni magistrats, ni législateurs. Nous voyons au contraire qu'il a établi les puissances sur la

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terre pour gouverner les hommes, et qu'il impose à tous l'obligation de leur être soumis. Mais que seraient ces puissances sans la faculté de porter des lois? Comprenez-vous leur action sur la société ? Comprenez-vous qu'elles puissent même subsister au milieu des hommes si mobiles, si égoïstes et si jaloux de leur indépendance ? Or, ces considérations seront applicables aussi à l'Eglise catholique, immense société dont les membres doivent être unis par la même foi, les mêmes sacrements les mêmes pratiques religieuses. Puisque son divin fondateur ne la gouverne pas d'une manière visible, il lui faudra essentiellement des chefs, des magistrats pour juger les différends, régler la discipline, la faire respecter, et maintenir ainsi la paix et l'harmonie. Dès lors, il devient nécessaire qu'elle soit investie du droit d'imposer des règles et des lois vraiment obligatoires; elle ne peut, ce semble, exister qu'à cette condition. Si donc vous êtes forcé de reconnaître pour la société civile la nécessité d'une puissance législative, les mêmes motifs doivent vous la faire juger indispensable pour le gouvernement de l'Eglise catholique.

LE D. Ne vous semble-t-il pas que l'Eglise peut facilement atteindre le but que vous signalez, avec cette infaillibilité que nous reconnaissons en elle pour juger les différends en matière de foi et de morale ?

LE TH. C'est sans doute un privilége bien précieux que cette infaillibilité dans les décisions de

la foi; mais elle ne conférerait pas à l'Eglise une puissance législative. Vous la réduiriez à un conseil suprême interprétant la loi divine, sans pouvoir véritable, sans direction active. La sagesse de son divin fondateur ne nous permet pas de penser qu'il l'ait ainsi laissée sans moyen d'influence, sans autorité réelle sur ses membres, sans la faculté d'imposer des lois et de les sanctionner. On pourrait dire de l'Eglise comme de tout état: Où il n'y a personne pour gouverner, le peuple doit périr (1). Au reste, cherchons la volonté de JésusChrist dans l'Ecriture sainte et la tradition: ce sera la voie la plus directe pour arriver à la solution de notre difficulté.

Je vous envoie, disait le Sauveur à ses apôtres, comme mon père m'a envoyé (2). Ce que vous lierez sur la terre sera lié au ciel (3). Qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise (4). Voilà le pouvoir que le Christ accorde à son Eglise. Il ne se borne pas à un simple enseignement; il renferme aussi le droit de gouverner, de lier par des défenses, de commander avec autorité, dans tout ce qui sera nécessaire ou utile à cette société, dont les apôtres et leurs successeurs sont constitués supérieurs. Voulez-vous savoir coniment ces chefs de l'Eglise, établis par Jésus-Christ, ont en

(1) Prov. 15.
(2) Joan. 20.
(3) Matth. 18.

(4) Luc. 10.

tendu ces paroles de leur divin maître? Voyez-les à Jerusalem exerçant une puissance incontestablement législative Il a semblé bon au Saint-Esprit, et à nous, de ne vous point imposer d'autres charges que celles-ci, qui sont nécessaires: De vous abstenir de ce qui aura été sacrifié aux idoles, du sang et des chairs étouffées... Défenses que saint Paul ordonnait de garder comme les préceptes des apôtres (1). Je vous loue, disait ce même apôtre aux Corinthiens, de ce que vous vous souvenez de moi, et que vous êtes fidèles à observer mes préceptes. Voulezvous que je vienne vers vous avec la verge (2), que nous pouvons appeler de direction avec le prophète (3). N'est-il pas écrit dans les Actes que le Saint-Esprit a établi des évêques pour gouverner l'Eglise de Dieu (4)? C'est encore dans l'exercice de ce droit qu'a été faite la loi qui interdit l'épiscopat aux bigames, rapportée par saint Paul dans son épître à Timothée.

A dater de ces temps apostoliques, l'Eglise s'est toujours crue en possession du pouvoir législatif qu'elle a constamment exercé, et sur ses ministres, et sur les fidèles, en inffligeant des peines sévères à ceux qui les violeraient. Pour lui contester ce droit, il faudrait donc en venir jusqu'à dire qu'elle l'a méconnu, usurpé, en depassant les limites des

(1) Act. 15. 28.

(2) 1a. Cor. 4.

(3) Ps. 44.

(4) Act. 20.

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