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l'avez souvent affirmé dans le cours de nos entretiens. Mais ces grâces sont elles conservées aux Juifs et aux gentils, depuis l'avènement du Rédempteur.

LE TH. Il est écrit de tous les hommes, et pour tous les temps: Je ne veux pas la mort de l'impie, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. Donc, nous dit Tertulien, Dieu veut le salut de tous, et par conséquent, il ne peut les laisser sans le moyen de l'opérer. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils parviennent à la connaissance de la vérité... Je vous conjure donc, ô Timothée, que l'on fasse des supplications pour tous les hommes; car cela est bon et agréable à Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés; car il n'y a qu'un Dieu, qu'un Médiateur entre Dieu et les hommes, qui s'est livré lui-même pour la rédemption de tous (1). L'apôtre écrivait encore aux Corinthiens, qu'un seul est mort pour tous (2). « Dieu n'a pas permis, affirme saint Augustin, qu'aucun pût s'excuser, en restant dans l'ombre de la mort (3). » Tel est aussi le sentiment explicite de saint Thomas et des théologiens catholiques.

Les souverains Pontifes ont sévèrement condamné les opinions de certains novateurs qui prétendaient que ni les payens, ni les Juifs, ni les hérétiques, ne retirent aucun avantage de la mort de Jésus-Christ, et que leur volonté reste

(4) 2a. Tim. 2.4.

(2) 11. Cor. 5. (3) In Ps. 18.

désormais sans grâce suffisante. Déjà le concile de Trente avait déclaré que le Sauveur est mort pour tous les hommes, bien que tous ne profitent pas de sa rédemption. Ils ont donc toujours quelque moyen de sanctification et de salut.

Consacrons quelques instants à rechercher de quelle naturc étaient ces secours avant la rédemption; en d'autres termes, examinons si les rapports entre Dieu et l'homme se sont toujours maintenus dans l'ordre surnaturel. Nous n'avons aucune raison de le nier, pour les temps antédiluviens, même dans les plus grands pécheurs. Car l'idolâtrie n'existait pas encore, et les hommes connaissaient les traditions primitives qui annonçaient le Médiateur. Nous pouvons assimiler ces grands coupables, dont nous parlent les livres saints, à ceux qui, de nos jours, conservent encore la foi au milieu de tous les désordres du vice et des passions. Les rapports avec Dieu étaient donc, à cette époque, dans l'ordre surnaturel.

Ils dûrent se maintenir après le déluge, dans les descendants de Noé, jusqu'à la séparation des familles, d'où les différentes nations se sont formées. Ensuite le dépôt sacré de la foi se conserva dans la postérité de Sem. Abraham, Isaac, Jacob, les pères du peuple de Dieu, le transmirent à leur postérité, enrichi des révélations que le Seigneur leur avait accordées, et les Juifs l'ont conservé jusqu'à l'avénement de Jésus-Christ. Après la dispersion, les descendants des autres fils de Noé

gardèrent les principes de la foi jusqu'à une époque difficile à préciser, parce que les commencements de l'idolâtrie nous sont restés inconnus ; et même encore après que ces hommes eurent abandonné, en si grand nombre, la religion du vrai Dieu, quelques-uns, nous pouvons le présumer, restèrent fidèles aux anciennes traditions, surtout dans l'origine du culte idolâtrique, et conservèrent la foi.

Mais que penser des hommes adonnés à l'idolâtrie et au polythéisme? Que dirons-nous des Juifs, qui s'obstinent dans l'attente du Messie et dans les observances mosaïques? Ici est la limite des relations surnaturelles avec Dieu par la perte de la foi. Cependant le Seigneur, toujours miséricordieux, ne les abandonne pas dans leur infidélité; il leur accorde des grâces de l'ordre naturel, afin que les restes de son peuple ne soient pas dans l'impossibilité de se convertir à lui, et que les payens puissent pratiquer le bien qu'ils aperçoivent encore par cette lumière de doctrine céleste, qui n'est jamais éteinte au fond de leur conscience (1).

Si les Juifs et les gentils correspondent à ces secours de la bonté divine, le Seigneur daignera former avec eux des rapports surnaturels, par les grâces que nous appelons le commencement de la foi. Cette vertu théologale leur sera ensuite accordée, et dès-lors leurs actions pourront de

(1) S. Prosp. de Voc. Gent.

venir surnaturelles, de véritables dispositions à la justification, méritoires même pour la vie éternelle, s'ils ont le bonheur de posséder la charité. Voilà, en quelques mots, comment on peut, ce me semble, envisager la nature des secours que Dieu a toujours donnés à l'homme demeuré dans la foi primitive, et à celui qui s'est plongé dans les ténèbres et la dépravation de l'idolâtrie.

CINQUANTE-SIXIÈME ENTRETIEN.

LA GRACE SUFFISANTE ET LA GRACE EFFICACE.

LE D. En vous entendant faire l'énumération des secours spirituels que nous recevons de la bonté divine, j'ai dû admirer avec une profonde reconnaissance cette miséricorde paternelle du Seigneur, qui n'abandonne jamais l'homme, niême le plus criminel, et qui accorde à tous, d'une manière plus ou moins prochaine, des moyens suffisants pour le salut. J'ai cependant besoin de quelques explications relatives à la nature de ce secours divin, pour détruire les préventions puisées autrefois dans des livres qui vous sont bien connus. Vous savez comment Pascal parle de la grâce suffisante, et de quelle manière les hommes de son parti entendaient une autre grâce, que vous appelez efficace. Je vous prie donc de me dire si la première est essentiellement inutile par elle-même, et si la seconde imprime une nécessité à la volonté, de sorte qu'on ne puisse pas lui résister?

LE TH. Je tâcherai de vous fixer avec précision et brièveté sur ces questions, sans entrer

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