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que je l'adore, alors que ce n'est point ma volonté ; pas plus que les cardinaux n'adorent le souverain pontife après son élection, en se prosternant devant lui, bien que cette cérémonie s'appelle encore l'adoration. J'ai cependant quelques difficultés à vous proposer sur les honneurs rendus à l'humanité de Jésus-Christ, et aussi sur le culte des saints et de leurs images. Veuillez donc me dire comment on justifie l'adoration de la nature humaine du Sauveur.

LE TH. Je vous prie de consulter vos souvenirs sur ce que nous avons dit de l'union hypostatique du Fils de Dieu avec la nature humaine. Il en résulte qu'il n'y a en Jésus-Christ qu'une personne, celle du Verbe. Il est vrai aussi que cette union, une fois contractée, n'a jamais été dissoute, et qu'elle subsistera toujours. Si elle venait à cesser, il est clair que l'humanité séparée de la personne du Verbe ne pourrait, en aucune manière, être l'objet du culte d'adoration. Votre difficulté ne porte pas, je pense, sur cette hypothèse, elle a pour objet la nature humaine unie au Verbe divin. Vous ne comprenez pas comment dans cette union elle est honorée du culte de latrie. Cela vient de ce que vous ne considérez pas assez qu'étant devenue nature du Verbe, on ne doit pas la séparer dans le culte rendu à cette personne divine. Ecoutez comment saint Athanase s'exprime à ce sujet : « Nous n'adorons pas une créature, mais le maître de la créature, le Verbe incarné. Par elle-même, la chair est à la vérité

créature, mais elle est devenue corps de Dieu. Qui donc portera la folie jusqu'au point de dire au Seigneur Quittez ce corps afin que je vous adore (Epist. ad Adelph.). » Il dit encore dans son livre de l'incarnation: « En adorant le corps du Seigneur, nous n'adorons pas là créature; mais l'adoration est rendue à celui à qui est le corps. >> Un célèbre concile tenu à Rome sous Martin Ier, en 649, a porté cette définition explicite. «< Si quelqu'un n'adore pas en'une seule adoration le Verbe incarné avec sa chair, qu'il soit anathême; car telle est la tradition de l'Eglise dès le commence

ment. >>

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Nous remarquons aussi dans les livres saints ce dogme de la foi, et d'abord dans la lettre de saint Paul aux Philippiens, où, après avoir parlé des humiliations, de l'obéissance et de la mort de Jésus-Christ, l'apótre ajoute : C'est pourquoi, Dieu l'a élevé et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus, tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers (2). Il écrivait aussi aux Hébreux: Lorsqu'il introduit de nouveau son premier né dans le monde, il dit: Que tous les anges de Dieu l'adorent (1). Il est évident que ces passages se rapportent à JésusChrist, et non pas seulement au Fils de Dieu, au Verbe seul séparé de la nature humaine. Nous ne devons donc pas faire nous-mêmes cette séparation. Vous avez vu, dans l'entretien sur l'incarnation, que la vierge Marie est véritablement mère de Dieu eating, de celui, par conséquent, qui a

droit à un culte de latrie. Or, en lui donnant le nom sublime de mère de Dieu, on ne sépare pas du Verbe la chair engendrée par Marie. Il en est de même pour l'adoration, on ne considère pas l'humanité séparée du Verbe, ni le Verbe divin séparé de l'humanité; mais c'est une et commune adoration rendue à la fois au Verbe, à l'humanité qui lui est unie hypostatiquement, enfin à Jésus-Christ.

Au moins, direz-vous peut-être, ce ne sera qu'un culte relatif, rendu à l'humanité et rapporté au Verbe? Quelques théologiens l'ont ainsi expliqué. Toutefois, ce sentiment ne paraît pas assez conforme à l'enseignement catholique, qui porte 'une seule et même adoration, rendue à la fois au Verbe fait chair, à Jésus-Christ, et non pas une simple adoration relative. Il y a d'ailleurs quelque danger de Nestorianisme dans cette manière d'expliquer l'adoration de l'humanité unie à la personne du Verbe. Car Nestorius admettait aussi une adoration de latrie, mais seulement relative, en disant : « A cause de celui qui est caché, j'adore celui qui paraît. » Pour nous, disons plutôt avec les docteurs catholiques : « Si quelqu'un n'adore pas d'une seule adoration le Verbe incarné avec sa chair,qu'il soit anathême,» telle est la tradition de l'Eglise dès le commencement.

LE D. Avant d'examiner le culte des saints en lui-même, je vous prie de me dire s'ils jouissent actuellement au ciel de la vision béatifique; puis sur quoi on se fonde pour affirmer que tels

et tels sont véritablement morts dans la sainteté ?

LE TH. L'occasion de répondre avec étendue à votre première question se présentera bientôt, ici, je veux me borner à vous indiquer sur quelles autorités nous affirmons que les saints jouissent de la vision béatifique. « Nous croyons, déclare » le concile général de Lyon, que les âmes de ceux » qui, après avoir reçu le saint baptême, ne se » sont rendues coupables d'aucune faute; que >> celles aussi qui ayant contracté quelque tache, » en ont été purifiées, ou ayant encore le corps, » ou après qu'elles en ont été séparées, nous >> croyons que ces âmes sont incessamment reçues » dans le ciel. » « Nous définissons, porte le con»cile de Florence, que les âmes de ceux qui, » après le baptême, n'ont contracté aucune tache >> de péché; que les âmes de ceux aussi qui, après » avoir péché, ont été purifiés, sont aussitôt re» çues dans le ciel, et qu'elles y voient Dieu in>> tuitivement en son unité et sa trinité tel qu'il >> est. » Le concile de Trente a aussi déclaré :

Que les saints qui règnent au ciel avec JésusChrist offrent à Dieu des prières pour les hommes (S. 25). » Vous avez la » Vous avez la, dans la lettre aux Philippiens, en quels termes énergiques saint Paul exprime le désir d'être avec Jésus-Christ par la dissolution de son corps. « Ce qui est, sans comparaison, le meilleur (pour moi), ajoute-t-il; et d'un autre côté, il est plus utile pour votre bien que je demeure encore en cette vie (1). Ces désirs,

ces espérances ne sont qu'une illusion, et ces paroles deviennent inintelligibles si les saints ne doivent pas entrer aussitôt après la mort en possession du bonheur céleste.

J'arrive à votre seconde difficulté. Sur quoi se fonde-t-on, demandez-vous, pour affirmer que tels hommes sont vraiment morts dans l'état de sainteté? Laissez-moi d'abord vous exposer ce qui se pratique dans l'Eglise catholique pour acquérir la connaissance de ce fait important, vous jugerez si ces moyens et toutes ces précautions sont de nature à vous rassurer, et à vous satisfaire. Depuis la fin du XIIe siècle, les souverains pontifes se sont réservé le droit de prononcer sur la sainteté des serviteurs de Dieu, avec défense de les honorer sans leur autorisation; et avant de l'accorder, ils ordonnent à des congrégations spéciales de se livrer à l'examen le plus sérieux, aux recherches les plus détaillées, les plus exactes sur la vie, les actions et les miracles du personnage dont on poursuit la béatification; après ces graves et nombreuses investigations, s'il est constaté que le serviteur de Dieu a pratiqué les vertus chrétiennes à un degré héroïque, et que depuis sa mort il s'est opéré des miracles par son intercession, le souverain pontife déclare qu'il y a lieu de penser que son âme jouit du bonheur éternel, et il permet aux fidèles, ordinairement à la famille du bienheureux, à sa province, etc., de lui rendre un culte religieux. Cette déclaration du Pape est appelée béatification.

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