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n'auriez-vous pas honte d'hésiter un ment? Convenez donc, infifta-t-il encore, que cette friponne de Life eft chez ma bellefour l'objet de vos menus plaifirs. Allez, lui répondis-je, & faites bonne chaffe, fans vous inquiéter de ce qui ne vous touche point; mais n'oubliez pas qu'à notre âge on fe doit réciproquement & loyalement le fecret. J'y compte, à charge de revanche. A ces mots, je me retirai, affez content d'avoir donné le change à ce curieux importun.

Quand je fus feul, je réfléchis au tour captieux & trompeur que j'avais donné à mes paroles; & j'y trouvai non feulement de l'équivoque, mais du menfonge; car j'avais eu la coupable intention de détourner l'idée du rendez-vous fur cette pauvre Life, qui dormait fi innocemment. Cependant comme dans le Monde on traite les jeunes perfonnes de cat état un peu légèrement, d'après les mœurs de Ja Scène comique; je ne me fis pas un fcrupule bien férieux de ce moyen de fauver une femme dont l'honneur m'était confié. Je comptais bien d'ailleurs infifter auprès du jeune homme, pour en exiger le filence.

Mais il n'eut rien de plus preffé, au retour de la chaffe, que d'aller faire une fcène à fa belle-fœur il m'avait vu fortir au point du jour de fon appartement, il en avait vu refermer la porte fur mes pas; il voulait bien croire que Life était l'objet du rendez-vous comme je le lui avais fait entendre; mais j'étais doublement coupable d'avoir féduit cette innoeente, & d'avoir expofé la femme de fon frere aux bruits les plus déshonorans. Vous fentez

qu'il avait beau jeu à fe montrer inexorable fur un procédé mal-honnête, & qui le touchait de fi près. Il exigea de fa belle-four qu'elle me fit, fans bruit, me retirer d'une maifon dans laquelle, dit-il, nous ne pouvions plus être enfemble.

La Prude, fans affectation, prit le moment de la promenade, & ayant ralenti fon pas pour fe trouver feule avec moi: D'Orcilly, me dit-elle, vous tenez mon fort dans vos mains. Mon beau-frere vous a furpris; il m'a tout raconté. Heureufement pour moi vous avez eu l'adrefle de lui perfuader que c'était avec Life que vous étiez d'accord. Mais il n'en eft que plus piqué & plus animé contre vous. Car cette jeune fille, dont il eft amoureux, lui tient rigueur; & il eft indigné de vous croire heureux avec elle. Dans fon dépit, il exagere un tort qu'il aurait bien voulu avoir lui-même il dit que fi tout autre que lui vous avait vu fortant de chez moi à l'aube du jour j'étais une femme perdue; & ce n'était pas Life, c'était fon frere & moi que vous auriez déshonorés. Et puis la maifon de ma fœur profanée ! & puis l'innocence de cette jeune fille indignement féduite!.... Enfin il exige de moi de vous engager à partir, finon, dit-il, ce fera lui qui vous y engagera lui-même. Vous fentez de quelle importance il eft pour moi que ceci fe paffe fans bruit. Vous êtes l'objet & la caufe de ma criminelle imprudence. Sauvez-moi, ję vous en conjure; & avant de vous engager à foutenir une querelle, évitez-la. Je vous ai confié mon honneur, mon repos, ma vie ; & vous feriez le plus cruel des hommes fi vous

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n'en étiez pas le plus prudent & le plus genéreux.

Le fang me bouillait dans les veïnes, de voir un jeune fat prétendre me faire la loi. Cependant le bon droit était de fon côté; & déjà coupable envers fon frere, j'allais encore l'être envers lui en ufant du droit de l'épée. J'aimai mieux lui céder la place. Seulement j'exigeai qu'il gardât le filence fur tout ce qui s'était paffe. Oh! ne craignez rien, me dit-el'e; il n'a déjà demandé lui-même d'avoir pitié de sete enfant, de lui pardonner fa faibleffe, & de ne pas la renvoyer. Il l'aime trop pour lui faire aucun mal; & en lui promettant moi-même dufer d'indulgence envers elle, je lui ferai jurer de garder le fecret.

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Je m'en allai donc le foir même ; & appaisé par mon départ le jeune homme ne fongea plus qu'à juft for Life aux yeux de fa maîtreffe, voulant gager qu'elle n'était pas même confidente de mon audace, & m'accufant d'avoir voulu la furprendre dans le fommeil.

Mais moins perfuadé qu'il ne feignait de l'être, de l'innocence de cette infortunée, il voulut tirer avantage du fecret qu'il croyait avoir à lui garder. Il devint donc plus familier & plus téméraire avec elle, fe jouant des rigueurs qu'elle dui témoignait, voulant tourner en dérifion fa modeftie & fa fageffe, lui difant qu'il favait ce qu'elle avait dans l'ame, qu'elle n'était pas fi févere, fi cruelle envers tout le monde, & qu'il croyait au moins valoir fon favori du point du jour. Enfin, comme la pauvre enfant, interdite de fes infultes, le priat en pleurant de les lui épargner; lui, croyant la

confondre & la vaincre en s'expliquant, il me nomma, fe vanta de m'avoir furpris un matin fortant de chez elle, & de m'avoir fait avouer que je venais d'y paffer la nuit.

Ce fut alors que fe défolant, & prenant le Ciel à témoin de mon mentonge & de fon innocence, elle parut dans fa douleur fi éperdue & fi hors de défenfe, que l'infolent voulut faifir le moment de tout décider. D'abord elle fe défendit avec un courage modeste. Mais il porta l'audace & l'impudence à un tel excès, que la plus douce & la plus timide des femmes connut pour la premiere fois l'égarement de la colere; & en s'échappant de fes bras, fa main lui laiffa fur la joue la filtriffure du mépris.

Furieux & hors de lui-même, il oublia qu'il l'avait offenfée, & fe crut rout permis pour veng.r fon affront. Das la maison il la dénonça comme une petite impudente, difant avoir la preuve de fon libertinage, & racontant à qui voulait l'entendre, l'aventure du corridor.

Il fallut la congédier. Ni fes larmes, ni fes fermens, ni ce caractere fi vrai, fi touchant, fi fenfible qu'avait fon innocence, lorfqu'à genoux, les yeux & les mains vers le Ciel fondant en pleurs, & atteftant le Dicu de vérité, elle le conjurait de prendre fa defenfe; rien ne put prévaloir contre le témoignage du jeune homme, appuyé du mien. Flus d'un, peut être, foupçonna le vrai de l'aventure, aucun n'ofa le dre, & la bonne maîtreffe de la maifon en pleurant la laiffa partir.

La malheureufe en s'en allant délibéra long

temps fi elle ne devait pas venir m'accabler de fes plaintes, me reprocher fon déshonneur, me demander l'éclatant témoignage que je devais à fon innocence. Mais je n'étais pas connu d'elle; & fans pénétrer le myftere, elle me crut capable de ces légèretés dont on accufait mes pareils. Elle n'aurait donc fait, en paraiffant chez moi, qu'autorifer le bruit de notre intelligence, & faire parler d'elle encore avec plus d'affurance & de malignité. Et comment F'aurais-je reçue? N'étais-je pas un de ces jeunes gens qui ne daignent pas croire à la vertu dans l'infortune, ou qui, s'ils y croyaient n'en feraient aucun cas? Enfin, quand même j'aurais voulu me démentir pour elle, ce défaveu, qu'elle aurait mendié, aurait-il été cru fincere? Ne s'en ferait-on pas moqué? Sage encore dans fon défefpoir, elle ne vint donc pas chez moi; mais du moins elle fe donna le foulagement de m'écrire,

On vous accufe, me difait-elle dans fa lettre, d'avoir donné lieu, par vos propos, à un bruit qui me déshonore, & qui m'a fait chaffer de la maifon où j'ai eu le malheur de vous voir. Vous, Monfieur, à qui de ma vie je n'ai parlé, vous avez avoué, dit-on, que nous avions ensemble des rendez-vous la nuit. J'ai une extrême répugnance à vous croire capable de cette calomnie; mais fi vous avez été affez cruel pour vous en faire un jeu, foyez-en puni, en apprenant que vous avez percé le cœur à une pauvre & honnête fille qui ne vous a fait aucun mal. Et elle avait figné: la malheureuse & innocente Life.

Jugez, Monfieur le Comte, de ma fituation,

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