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A l'inftant où ils vont entrer, le 'Maire en informe M. de Barbantanne qui d'abord regarde cet avis comme une fable, & qui renferme le Régiment Suiffe dans fon quartier. Il fe rend à la Municipalité, où dans l'intervalle on venoit d'apprendre que les Marseillois touchoient à la Ville. On lui délivre l'ordre de s'oppofer à leur invafion, & de fermer les portes: il fait prendre les armes au Régiment d'Ernft, qui, en arrivant fans délai au pofte qu'on lui fixe trouve les aifiégeans dans les rues, ainsi leurs canons. Comment expliquer l'ignorance, ou l'imprévoyance des Municipaux, dont les ordres coïncident jufte avec l'inf tant où ils deviennent inutiles?

que

Quoiqu'il en foit, les Marfeillois & leur artillerie occupent la Ville, avant qu'on ait exécuté aucune mefure d'oppofition. M. de Barbantanne court à la Commune,revient au Régiment, & le trouve pofté très près de la colonne Marfeilloife. Un détachement de Suiffes étoit allé chercher les drapeaux; arrêté dans fa route, la Municipalité obtient qu'on le laiffera paffer. Elle délibère, délibère, décide de faire retirer les Suifies, furfeoit à cette décifion, & délibère encore.

Pendant ces déplorables variations, les 'drapeaux arrivent au Régiment qui refte en colonne immobile, attendant la Municipalité. Auffi-tôt les Marfeillois font marcher une pièce de canon, la placent à envi

ron 60 pas de la colonne Suiffe, & difpofent le refte de leur artillerie de manière à prendre le Régiment en flanc, en cas qu'il débouche par la rue. «Voilà une mesure hoftile, dit alors M. de Wateville (1) à M. de Barbantanne ordonnez-leur de retirer leurs canons, où nous allons marcher deffus. » Ce moment décifif, le Commandant d'Aix le perd à parlementer avec les rebelles; il expédie fon Aide-de-Camp aux Municipaux, reçoit l'ordre d'abandonner le champ libre & la Ville aux Violateurs du territoire & de la Loi, fait exécuter cet ordre fur-lechamp, & renvoye le Régiment d'Ernst dans fes Cafernes.

C'étoit le dévouer à un danger inévitable, au maffacre ou au déshonneur, fi un pareil Corps pouvoit être déshonnoré par la peur de quelques Bourgeois en écharpe, facrifiant les Loix, l'ordre public, & un Corps de braves Alliés, à une troupe de forcenés, révoltés contre la Conftitution.

Cetre Municipalité, néanmoins, ainsi que M. de Barbantanne, fe complimentent fur la dextérité & le fuccès avec lesquels ils ont prévenu l'effufion du fang. Certes, c'est en effet, le premier devoir de tout Admi

(1) M. de Wateville, Major du Régiment, le commandoit en l'absence de M. d'Olivier, Lieutenant-Colonel, malade depuis quelque temps, Ms.

niftrateur, de tout Militaire, de tout Citoyen d'épargner le fang, même celui des coupables, tant qu'il refte d'autres moyens de réprimer leurs attentats : c'eft lorfqu'on y a réuffi qu'on mérite des éloges & des couronnes, mais le Public ne voit que de la honte dans la prétendue modération qui affure l'impunité du crime, qui en achète le triomphe par une fauffe humanité, & qui laiffe fubvertir les Loix, la sûreté, la liberté, le respect des Traités & du Droit des Gens, par la crainte d'en enfanglanter la défenfe. Il faudroit donc, d'après cette doctrine, abandonner la Société à toutes les violences, à toutes les énormités, au renversement de tous les droits, fous prétexte de refpecter la vie des coupables! Que des Factieux profeffent cette doctrine & la mettent en pratique; on ne doit pas s'en étonner; mais qu'elle foit celle de Magiftrats chargés du maintien des Loix, c'eft-là un des bienfaits de notre régénération; tels font les rapports fous lefquels la liberté exifte en France; ils font le tombeau de toute liberté, de tout ordre focial.

Dans leur lettre à l'Affemblée, les Municipaux d'Aix témoignent leur tendreffe craintive fur les fuites qu'auroit eu un engagement, pour le régiment d'Ernft. Cette follicitude, appuyée de démonftrations militaires vraiment comiques, fous

la plume de quelques Municipaux, a fort peu touché les Suiffes, qui n'avoient chargé, ni ne chargeront jamais ces Meffieurs du foin de leur gloire & de leur sûreté.

Reprenons la fuite des évènemens. Pendant que la Municipalité connoit le régiment d'Ernft dans fes cafernes, le Directoire du Département menacé par les Conquérans Marfeillois, requerroit un bataillon Suiffe pour défendre fes délibérations. Le bataillon fe met en marche; il approche de l'Hôtel-de-Ville; fur le point d'y arriver, il eft arrêté par les Municipaux qui lui ordonnent de rétrograder: M. de Barbantanne préfère d'obéir à la Municipalité plutôt qu'au Département, & ramène de nouveau dans leur quartier, les Suiffes, fi indignement ballottés.

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Qu'on obferve en tout ceci l'étrange anarchie de ces Pouvoirs Adminiftratifs. oppofés dans leurs réfolutions, donnant & révoquant des ordres contraires, à l'heure du danger, dans l'une de ces conjonctures où le falut public eft attaché à l'utile emploi de chaque quart-d'heure, où tout eft perdur fi l'on hésite; qu'on obferve ce Commandant paffant fa journée à courir d'une Régence à l'autre, à pérorer fans pouvoir agir, ordonnant, contre-mandant, promenant fon oifeufe activité entre des décifions contradictoires, & pendant ces allées & venues, ces chocs, ces délibérations fans

fin, les Rebelles s'emparant de la Ville entière, affignant leur logement, fe fortifiant à chaque heure de nouveaux flots de complices, faifant fuir le Directoire, & se préparant commodément & fans obftacle à l'expédition du lendemain. Voilà fur quel régime repofe en France le maintien des Loix, voilà ce qui conftitue la force publique; c'eft ainfi que la liberté, la vie, la propriété des Citoyens font garanties par un ordre de chofes, devant lequel doivent difparoître tout ce que les fiècles & les Nations éclairées avoient imaginé de fauvegardes aux droits de l'homme focial.

Pendant que la Municipalité fe félicitoit 'du calme des belles opérations du jour,. la nuit prépara celles du lendemain. Les Marfeillois firent battre la générale; à la pointe du jour, leurs cohortes furent raf-." femblées; & fans la moindre oppofition de perfonne, fans que ni le Commandant enfermé au quartier des Suiffes, ni la Municipalité fatisfaite de fa précédente fermeté, intervinffent en aucune manière, ils formèrent le fiége des cafernes. Ce bâtiment étant dominé par un Couvent & par des Mai fons, on garnit ces hauteurs d'une troupe de gens armés, & de canons braqués contre les murailles du quartier. Une feule iffue permettoit d'en fortir; d'autres pièces de canons furent placées devant cette porte. unique, pour exterminer le régiment, en

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