Page images
PDF
EPUB

de finir son accommodement avec la reine de Hongrie sur le fondement et en conformité du traité de Breslau, et que l'envoyé de Russie à Vienne' eût concouru de son entremise pour l'échange des actes réciproques de cet accommodement. Et lorsqu'elle se trouva livrée à elle-même et privée, par le départ de M. de La Chétardie, des représentations et conseils les seuls capables de l'éclairer sur les fausses démarches que ses ministres continuoient de lui faire faire, elle parut si bien sentir les périls dont elle étoit menacée, faute d'avoir auprès d'elle quelqu'un en qui elle pût prendre toute confiance sur la conduite à tenir comme souveraine de toute la Russie, dans le cours que prenoient les affaires générales de l'Europe, qu'elle ne tarda pas à faire demander au Roi par le prince de Cantémir, son ambassadeur auprès de Sa Majesté, de permettre à M. le marquis de La Chétardie de retourner sans délai reprendre ses fonctions auprès d'elle.

Le Roi a fait aussitôt écrire à M. le marquis de La Chétardie pour lui marquer de se déterminer lui-même sur la demande de la Czarine, suivant qu'il jugeroit que son retour auprès de cette princesse pourroit convenir aux intérêts de Sa Majesté; et le marquis de La Chétardie, convaincu qu'il ne pourra y servir utilement Sa Majesté tant que les sieurs Bestucheff seront à la tête des affaires, n'a pas dissimulé à cette princesse, par une correspondance secrète qu'il s'est ménagée à la cour de Russie, que son retour auprès d'elle dépendroit de l'exécution de la promesse qu'elle lui avoit faite à son départ de ne pas tarder à congédier des ministres qui, loin de se conformer aux intentions de leur maîtresse, ne travaillent qu'à l'entraîner malgré elle dans des engagements contraires à ses propres intérêts.

C'est dans ces circonstances que l'on apprend que, sur la réquisition qui vient d'être faite à la Czarine par le sieur Wich2, ministre du roi de la Grande-Bretagne, tant au nom de ce prince, comme médiateur de ce traité, qu'au nom des parties contractantes, d'y accéder conformément à l'invitation qui lui en a été faite par un de ses articles, les sieurs Bestucheff l'ont engagée à répondre par écrit, dans les termes les plus propres à marquer

1. C'était alors Louis Lanczynski. Voyez ci-dessus, p. 261.

2. Voyez des extraits de sa correspondance dans la Cour de Russie il y a cent ans.

une volonté déterminée d'agir dans la plus parfaite union avec l'Angleterre et la cour de Vienne, tant en accédant audit traité qu'en agissant avec ces deux puissances dans le plus parfait concert, sous prétexte du maintien de la liberté et tranquillité de l'Europe, motif ordinaire de ces puissances dans les résolutions et mesures qu'elles jugent devoir prendre contre la France. Il est vrai que la Czarine, en offrant son accession au traité de paix de Breslau, n'a exprimé dans sa réponse ni le temps auquel l'acte en seroit donné de sa part, ni les conditions qu'elle entendroit y stipuler; et ces deux objets qui paroissent encore indécis peuvent laisser quelque espérance de pouvoir faire agir avec succès M. le marquis de La Chétardie auprès d'elle pour la détourner de donner effectivement son accession. Mais on ne voit pas qu'il puisse employer dans cette vue d'autres motifs que ceux qu'il a précédemment exposés à la Czarine, en observant, de plus, de ne faire entrer dans les nouvelles représentations qu'il pourra lui faire sur ce sujet rien dont le roi de Prusse puisse se plaindre.

Entre les raisons qu'il a prudemment employées contre le traité de Breslau, il n'a pas hésité à le représenter comme marqué au coin de l'infidélité la plus noire de la part du roi de Prusse, et il s'est appliqué à faire appréhender à la Czarine que ce commencement d'accroissement de la puissance de ce prince ne le mît en état de tenter de nouvelles conquêtes sur ses voisins et, spécialement, de s'approprier la Curlande et la Prusse polonoise, comme aussi de se faire en Pologne un grand parti pour y diminuer l'influence de la Russie. Mais il est de la prudence au marquis de La Chétardie d'éviter de toucher des points aussi délicats, dans un temps où le Roi a toutes sortes de raisons d'observer d'extrêmes ménagements pour le roi de Prusse : en sorte que ce prince ne puisse avoir le moindre sujet de prendre des défiances des intentions de Sa Majesté à son égard et de penser de s'unir aux ennemis de Sa Majesté. Et, comme ce même prince pourroit se plaindre si, de la part de Sa Majesté, on paroissoit s'opposer à l'accession de la Czarine au traité de Breslau par quelque considération que ce pût être; d'autant qu'il regarderoit cette opposition comme contraire à l'intérêt qu'il a de consolider la cession qu'il a obtenue de la Silésie et du comté de Glatz par ce traité,

il paroît qu'il seroit de l'habileté du marquis de La Chétardie de s'en expliquer de manière que ses représentations pour détourner la Czarine de cette accession ne tombassent pas sur cet objet particulier de la Silésie.

Le marquis de La Chétardie pourroit faire observer à la Czarine qu'il sera de sa prudence de ne point précipiter ses résolutions à cet égard, et de se contenter de se montrer disposée à concourir à la garantie des conditions auxquelles la paix de l'Allemagne pourra être rétablie, en conséquence du traité de Breslau et autres qui interviendront pour cet objet : d'autant que par cette précaution la Czarine, en éludant ainsi d'entrer dans les vues où les cours de Londres et de Vienne voudroient l'entraîner au préjudice de ses propres intérêts et des assurances et promesses qu'elle a données au Roi de se bien garder de prendre, en aucun temps, des engagements contre la France, se ménageroit par là les moyens d'être bien avec tout le monde et de pouvoir, lors du rétablissement de la paix générale, être également recherchée par toutes les parties.

[blocks in formation]

M. d'Usson d'Alion, qui allait remplacer le marquis de La Chétardie, était neveu de Jean-Louis d'Usson, marquis de Bonnac, qui fut ambassadeur du Roi à Constantinople, de 1713 à 1725. En 1724, son oncle l'envoyait à Moscou et le chargeait de traiter avec Campredon de la médiation dans le conflit turco-russe. M. d'Alion revint à Constantinople, en qualité de commissaire pour les limites de Russie et Turquie du côté de la Perse, et y resta même après le départ de son oncle et l'arrivée du vicomte d'Andrezel. « Le caractère inquiet de ce jeune homme, dit Saint-Priest, donna bien du tracas à M. d'Andrezel et contribua peut-être à abréger ses jours. » Un peu avant la mort de cet ambassadeur (26 mars 1727), M. d'Alion « avait cabalé... pour être choisi par la nation de Constantinople, comme chargé des affaires du Roi »; mais Gaspard de Fontenu avait été désigné pour ce poste, et M. d'Alion dut s'éloigner. On lui sut probablement mauvais gré à Versailles de cette ambition turbulente; on le laissa quelque temps sans emploi; il songea même à prendre du service en Russie, et en 1739, il écrivit au cardinal de Fleury la lettre suivante :

Monseigneur,

Pétersbourg, le 17 janvier 1739 2.

J'eus l'honneur d'écrire de la province, à Votre Éminence, le 28 octobre 1737, pour lui représenter que la situation de mes affaires me mettoit

1. Voyez ci-dessus, p. 255, note 2.

2. A. E. Russie, t. XXXI, fol. 21.

« PreviousContinue »