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XXI

M. DE MESLIÈRES

PROJET D'UNE MISSION SECRÈTE

1743

Le Roi ne se refusait pas à renvoyer La Chétardie en Russie, mais on voulait s'assurer si sa mission aurait des chances de succès. A cette fin, on eut un moment l'intention de charger M. de Meslières, alors secrétaire de M. de Lanmary à Stockholm, d'une mission secrète à Pétersbourg. Il devait s'y renseigner, notamment auprès de Brümmer, sur les sentiments réels de la cour de Russie et sur ce qu'on pouvait espérer d'une nouvelle ambassade du marquis. Une Instruction fut donnée à M. de Meslières le 20 juillet 1743; mais, après réflexion, il reçut contre-ordre.

M. Amelot est toujours ministre des affaires étrangères.

INSTRUCTION AU SIEUR DE MESLIÈRES SUR LE MOTIF SECRET DE SON VOYAGE DE STOCKHOLM A PÉTERSBOURG. 20 JUILLET 17431.

Le sieur de Meslières est suffisamment informé de ce qui s'est passé entre le marquis de La Chétardie pendant son séjour à la

1. A. E. Russie, t. XLII, fol. 427.

cour de Russie et MM. de Bestucheff en qui la Czarine a paru donner sa principale confiance pour l'administration des affaires de son État depuis son avènement au trône. Il sait que les choses furent portées au point que le marquis de La Chétardie jugea devoir supplier le Roi de le rappeler de cette cour où il ne pouvoit suivre et traiter les affaires de Sa Majesté, ayant rompu tout commerce avec ces deux ministres. La Czarine a cependant témoigné publiquement du regret de son départ d'auprès d'elle; et, après l'avoir comblé de ses bienfaits en le congédiant, elle a prévenu son arrivée en France par la demande qu'elle a fait faire expressément au Roi de le renvoyer auprès d'elle. Elle ne pouvoit lui donner un témoignage plus authentique de la satisfaction qu'elle avoit de la conduite qu'il avoit tenue pendant son séjour en Russie; et, la demande si précise de son retour à cette cour donnant lieu de juger que la Czarine comptait de prendre des tempéraments qui rendroient son séjour auprès d'elle utile à entretenir et même à augmenter la bonne intelligence des deux couronnes, Sa Majesté, dans cette confiance, fit écrire au marquis de La Chétardie qu'elle lui permettoit de retourner en Russie reprendre ses fonctions. Il reçut, sur la route de Berlin à Francfort, la lettre contenant cette permission de Sa Majesté; et, comme il se trouvoit près des frontières de France où ses affaires personnelles requéroient sa présence et où elles l'ont retenu jusqu'à présent par rapport au voyage qu'il a été obligé de faire dans ses terres, son retour a été suspendu. Revenu de ses terres depuis quelques jours, il se disposait à partir. Mais j'ai été fort surpris, lorsque j'ai parlé de son prochain départ à M. le prince Cantémir, de le trouver aussi froid et aussi indifférent que je l'avois vu empressé ci-devant : ce qui me faisoit soupçonner que la Czarine ne penseroit plus aujourd'hui sur son compte comme autrefois, et en ce cas rien ne seroit plus hors de propos de le renvoyer à Pétersbourg. C'est donc pour s'en éclaircir pleinement que M. de Meslières devra s'expliquer en toute confidence à M. de Brummer et le prier de faire connoître à la Czarine les raisons légitimes et indispensables qui ont retenu jusqu'à présent M. de La Chétardie; qu'ayant aujourd'hui terminé ses affaires qui ont retardé son départ, il est prêt à se mettre en chemin pour retour

ner auprès d'elle; mais que la froideur avec laquelle le prince Cantémir en a reçu la nouvelle, fait craindre à Sa Majesté que la Czarine n'ait changé de sentiment. En ce cas, Sa Majesté seroit bien éloignée de vouloir lui envoyer une personne qui ne lui seroit pas agréable ou qui pourroit même lui causer le moindre embarras. Le Roi, étant informé que M. de La Chétardie étoit ouvertement brouillé avec MM. de Bestucheff, n'auroit même jamais songé à le renvoyer si la Czarine qui en étoit également instruite n'avoit expressément demandé son retour. Mais si elle ne pensoit plus de même aujourd'hui, Sa Majesté se proposeroit d'envoyer M. le comte Desalleurs' qui est présentement à la cour de Dresde et qui s'y est généralement fait estimer et considérer; qu'enfin le Roi remet entièrement à la Czarine de choisir entre ces deux ministres, et qu'il fera passer auprès d'elle incessamment celui qu'elle voudra préférer.

Cette simple exposition des intentions de Sa Majesté est de nature qu'il n'est pas à croire que M. de Brummer refuse de se charger de la faire à la Czarine, et il suffira qu'après qu'il aura reçu la réponse de cette princesse, il la rende au sieur de Meslières en termes qui, ne laissant subsister aucune incertitude sur ce dont il est question, mettent le Roi en état d'envoyer au plus tôt à la cour de Russie un ministre de sa part avec tel caractère qui sera jugé le plus convenable; le sieur de Meslières pouvant cependant faire observer à M. de Brummer que, comme il ne paroît pas que la Czarine exige des autres puissances de revêtir du caractère d'ambassadeur les ministres qu'elles tiennent à la cour de Russie et que le cérémonial d'un ministre de premier ordre est toujours sujet à des difficultés embarrassantes, le simple titre de ministre plénipotentiaire, auquel le marquis de La Chétardie s'étoit réduit vers la fin de son séjour à cette cour, paroîtroit peutêtre préférable à tout autre pour le nouveau ministre que Sa Majesté enverroit à la Czarine, cette qualité étant celle dont presque tous les autres ministres étrangers qui sont de résidence auprès

1. Roland Puchot, comte des Alleurs, fils de Pierre Puchot, qui avait été ambassadeur à Constantinople. Il épousa en Saxe une princesse Lubomirska, ce qui lui procura la protection de la Dauphine de France, princesse de Saxe et mère de Louis XVI. Il fut ensuite ambassadeur à Constantinople, de 1748 à 1754.

d'elle se trouvent revêtus: mais que sur cet article il se conformera encore à ce que la Czarine paroîtra désirer.

Rien ne doit empêcher le sieur de Meslières de revenir à Stockholm après qu'il aura reçu la réponse sur l'objet de sa commission, et il attendra qu'il y soit arrivé pour faire passer en France cette réponse, qu'il conviendra d'envoyer par un courrier.

Fait à Versailles, 20 juillet 1743.

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