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du XVIIIe siècle autorisât le maintien des rapports diplomatiques entre deux puissances qui n'étaient en guerre qu'indirectement, le cabinet de Versailles ne se méprit point sur la portée de cet acte.

D'Alion fut rappelé en décembre 1747; le 10 janvier 1748, Bestoujef refusa de le faire admettre à l'audience de l'Impératrice: d'Alion remit donc les papiers à M. de Saint-Sauveur, consul à Pétersbourg, et la France n'eut plus en Russie ni ambassadeur ni ministre plénipotentiaire.

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M. de Saint-Sauveur, consul de France, aimable et de relations faciles, avait été chargé, même avant le départ et à l'insu de M. d'Alion, de sonder Bestoujef. On espérait qu'il pourrait tirer quelque parti de l'amitié que le chancelier semblait avoir pour lui.

M. de Saint-Sauveur ne reçut pas d'Instruction, mais deux lettres de Brulart de Sillery, marquis de Puysieulx, nommé, en janvier 1747, ministre des affaires étrangères, et une lettre du comte de Maurepas, ministre de la marine, qui l'avait recommandé à son collègue des affaires étrangères.

LE MARQUIS DE PUYSIEULX A M. DE SAINT-SAUVEUR, CONSUL DE FRANCE
A PÉTERSBOURG

Fontainebleau, 14 novembre 17471.

Je sais, Monsieur, que vous n'êtes pas désagréable à M. le comte de Bestucheff. Cette raison et les témoignages de M. le comte de Maurepas m'ont déterminé à vous charger des affaires du Roi à la cour où vous êtes, jusqu'à ce que Sa Majesté juge à propos de remplacer M. Dalion. Vous vous

1. A. E. Russie, t. L, fol. 405.

RECUEIL DES INSTRUCT. DIPLOMAT.

VIII. · 31

acquitterez sans ostentation et secrètement des ordres que M. le comte de Maurepas vous donnera. Vous n'écrirez qu'à lui et vous éviterez surtout de paroître chargé d'aucune affaire. Vous tiendrez constamment cette conduite et particulièrement pendant le temps que le sieur Dalion sera à Pétersbourg.

Les accès que vous avez déjà auprès de M. le comte de Bestucheff vous faciliteront les moyens de l'approcher sans éclat, et c'est précisément ce que nous voulons. Je ne doute pas que vous ne vous rendiez digne de la confiance de M. le comte de Maurepas et de la mienne. S'il est nécessaire que je vous donne dans la suite une lettre pour vous accréditer auprès de M. le comte de Bestucheff, cela ne fera aucune difficulté.

LE COMTE DE MAUREPAS A M. DE SAINT-SAUVEUr, consul de FRANCE A PÉTERSBOURG

Fontainebleau, 14 novembre 17471.

Les sentiments d'estime et de considération que M. le comte de Bestucheff vous a témoignés en différentes occasions, Monsieur, me donnant lieu de croire qu'il aura plus de confiance en vous qu'en M. Dalion et qu'il s'ouvrira même plus volontiers avec vous sur tout ce qui peut avoir rapport à la cour de France et contribuer à maintenir la bonne intelligence qui règne depuis si longtemps entre les deux couronnes, je me suis chargé de concert avec M. le marquis de Puyzieulx de vous autoriser par cette dépêche particulière, qui pourra vous tenir lieu de lettre de créance auprès de M. le chancelier de Russie, à l'effet d'entrer en conférence et de vous expliquer avec ce ministre sur les avis, qui se sont répandus de tous côtés, de la prochaine marche d'un corps de 30 000 Russes pour entrer à la solde et au service des ennemis du Roi.

Sa Majesté ne peut croire, après les espérances qui lui ont été données par M. Gross2, que l'Impératrice se soit déterminée à unir ses troupes avec celles de ses ennemis, surtout dans des circonstances où toute l'Europe est informée de la sincérité de ses démarches pour parvenir à une pacification générale, autant qu'elles peuvent compatir à l'honneur de sa couronne et à ce qu'elle doit à ses alliés.

Vous ferez donc chose agréable au Roi de tâcher de découvrir si ces avis ont quelque fondement et de vous expliquer sur cela avec M. de Bestucheff, de façon que Sa Majesté puisse être exactement assurée des véritables intentions de ce ministre et savoir à quoi s'en tenir avec la cour de Russie sur un objet aussi important.

Je crois inutile de vous observer qu'une marque aussi honorable pour vous de la confiance de Sa Majesté exige que vous vous conduisiez avec toute la prudence et la dextérité possibles; que vous fassiez tous vos efforts pour détourner le succès de la négociation depuis si longtemps entamée par les ministres des cours de Londres, de Vienne et de la Haye pour obtenir de l'Impératrice de Russie le secours de ces 30 000 hommes; et que vous évi

1. A. E. Russie, t. L, fol. 404.

2. Voyez ci-dessus, pp. 475-476.

tiez que M. Dalion puisse avoir aucune connaissance de la mission particulière dont le Roi a bien voulu vous charger.

Vous aurez soin de me rendre compte exactement du résultat de l'entrevue que vous aurez eue en conséquence avec M. de Bestucheff et de me faire part de tout ce que vous estimerez d'ailleurs pouvoir concourir à la réussite de l'objet que je vous ai expliqué ci-dessus et contribuer à cimenter l'union et l'amitié que le Roi a toujours désiré de conserver avec l'Impératrice.

LE MARQUIS DE PUYSIEULX A M. DE SAINT-SAUVEUR. 25 DÉCEMBRE 17471.

VERSAILLES,

Je suis persuadé, Monsieur, que vous vous serez conformé ponctuellement à ce que je vous ai écrit le 14 du mois dernier. Dans cette confiance, je compte que, quand même quelque raison que je ne puis prévoir auroit engagé M. Dalion à suspendre durant quelque temps son départ pour Pétersbourg pour repasser en France, vous n'aurez pas manqué d'informer M. le comte de Maurepas de ce qui se sera passé à cette cour que vous aurez jugé pouvoir intéresser le service du Roi; et, comme j'ai cessé depuis quelques semaines d'écrire à M. Dalion, je crois qu'il peut être à propos que je vous expose ce qui, dans les circonstances présentes, mérite le plus votre attention.

Je ne doute point que vous n'ayez été extrêmement attentif à démêler le vrai d'avec ce qui n'en a que l'apparence sur un point aussi important que le projet annoncé de toutes parts de la marche d'un corps de 30 000 Russes pour se porter soit sur le Rhin, soit dans les Pays-Bas, au secours des alliés. On veut nous faire entendre que le départ de ces troupes, pour traverser la Pologne, la Silésie autrichienne, la Moravie et la Bohême, est très prochain, et cependant nous ne voyons point que l'engagement formel en ait été pris par un traité signé de la part de l'Impératrice de Russie. Au milieu des divers avis que nos ennemis affectent de répandre au sujet de ce corps de troupes comme devant être à

1. A. E. Russie, t. L, fol. 469.

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