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» Nous pourrions d'ailleurs nous en tenir à ce seul point, parcequ'il est décisif et répond à tout c'est que jamais l'ancien gouvernement français n'a révoqué l'arrêt du conseil du 9 septembre 1623, duquel il résulte si clairement que les ordonnances générales du royaume étaient sans autorité dans le Barrois mouvant c'est que jamais il n'a rendu une seule décision contraire à cet arrêt. Car vouloir, avec la demanderesse, qu'en rejetant la requête en cassation de l'arrêt du parlement de Paris du 5 avril 1759, le conseil ait jugé que le Barrois mouvant était assujetti à l'ordonnance des donations du mois de février 1731, c'est aller beaucoup trop loin. Le conseil, en s'abstenant de casser cet arrêt, n'a jugé qu'un seul point: il a jugé que le parlement de Paris avait pu, en déclarant nulle une donation faite dans le Barrois mouvant, n'avoir aucun egard aux ordonnances des ducs de Lorraine qui n'avaient pas été enregistrées en France; mais il n'a pas jugé que le parlement de Paris avait, en prononçant la nullité de cette donation, justement appliqué les dispositions de l'ordonnance de 1731. C'était un objet dont il n'avait pas à s'occuper; ne trouvant aucune loi violée, il lui était indifférent que l'arrêt du 5 avril 1759 cût jugé bien ou mal.

» Mais si l'ancien gouvernement s'est toujours trouvé, soit sur la souveraineté des ducs de Bar en général, soit sur l'effet des ordonnances générales du royaume dans le Barrois mouvant, en opposition diametrale avec les derniers arrêts du parlement de Paris, lequel doit donc aujourd'hui prévaloir auprès de la cour de cassation, ou du système du parlement de Paris, ou de l'esprit qui a constamment animé l'ancien gouvernement? Et peuton sérieusement se flatter que la cour de cassation annullera, comme contraire aux actes émanés de l'ancien gouvernement, un arrêt qui n'en est que le fidèle et rigoureux corollaire; et qu'elle l'annullera précisément, parcequ'il est contraire aux prétentions d'un tribunal qui, par le vice de l'ancienne organisation, osait quelquefois s'élever au-dessus de l'autorité souveraine? Peut-on, de bonne foi, espérer que des arrêts du parlement de Paris que la cour serait obligée de casser, si l'on pouvait encore les déférer à sa censure, lui serviront de motifs pour casser un arrêt qui a préféré, comme il le devait, la volonté du législateur à celle de ses officiers ?

» On juge bien, d'après cela, que nous ne sommes pas effrayés des inductions que tire la demanderesse de l'arrêt du parlement de Paris, du 2 juillet 1749, rendu à l'occasion de l'enregis

trement de la déclaration rendue par Louis XV le 8 octobre 1748, en conséquence de l'édit de Stanislas, du mois de décembre 1747, portant suppression des officiers forestiers du Barrois mouvant, et création des maîtrises particulières des eaux et forêts de Bar et de Bourmont.

» Oui, sans doute, par cet arrêt, le parlement de Paris a nettement décidé, comme il l'avait déjà fait le 6 septembre 1719, que le duc de Bar n'était pas souverain; et partant, comme le 6 septembre 1719, du principe que le duc de Bar ne pouvait jouir dans le Barrois mouvant que des droits de souveraineté formellement énoncés dans le concordat de 1571 et dans la déclaration de 1575, il a jugé que la clause de ces lois qui reconnaissait en lui le pouvoir de faire et donner règlement à ses officiers, justices et juridictions, n'emportait pas pour ce prince le pouvoir de supprimer des tribunaux et de les remplacer par d'autres, mais seulement celui qui appartenait à tout seigneur de révoquer ses officiers et d'en nommer de nouveaux, sans rien changer à la constitution des siéges ou juridictions qu'ils composaient.

» Mais, 1o nous avons fait voir qu'en rendant cet arrêt, le parlement de Paris avait tellement senti qu'il entreprenait sur l'autorité royale, qu'il n'avait osé lui donner aucune publicité, et qu'il l'avait totalement dénaturé dans l'extrait qu'il en avait fait imprimer. La demanderesse a beau dire là-dessus tout ce que peut lui suggérer une imagination féconde en pointillerics; le fait est constant, et il reste, il conserve toute sa force, malgré les vains efforts que l'on emploie pour l'éluder. — Il est, au surplus, trés-indifférent qu'une copie entière de cet arrêt ait été, dans le temps, adressée, par le procureur général du parlement de Paris, au chancelier de France. Tout ce qu'on peut conclure de là, c'est que l'eloquent, le savant, le sage, mais timide chancelier d'Aguesseau, n'a pas cru alors devoir, pour un objet qui, au fond et vu la très prochaine réunion du Barrois à la France, ne présentait plus un grand intérêt, engager le gouvernement dans une nouvelle guerre avec le parlement qui déjà lui suscitait assez d'embarras et d'inquiétudes, tant au sujet de la fameuse bulle Unigenitus qui agitait plus que jamais les esprits, que par sa résistance opiniâtre à l'enregistrement de l'édit des vingtièmes du mois de mai 1749.

» 2o. Quelque hardies, quelque téméraires qu'aient été les modifications apportées par cet arrêt à la déclaration du 8 octobre 1748, il suffit que ces modifications n'aient point été

rendues publiques, il suffit que la déclaration elle-même ait été publiée sans ces modifica tions, pour qu'elle formât, en faveur du duc de Bar, un nouveau monument de sa qualité de souverain monument d'autant plus respectable, d'autant plus décisif, qu'il était l'ouvrage du roi, seul intéressé à contester au duc de Bar cette qualité éminente, et que d'ailleurs il se rattachait directement à la reconnaissance solennelle que Louis XV avait faite de cette même qualité en 1737, par la manière dont il avait laissé prêter à Stanislas, et s'était fait prêter à lui-même, le serment de fidélité par les officiers du Barrois

mouvant.

"La demanderesse le sent elle-même si bien, que, pour éluder l'argument qui résulte contre elle de la déclaration du 8 octobre 1748, elle est réduite à soutenir que l'édit de Stanislas, du mois de décembre 1747, auquel cette déclaration se référait, n'était pas un acte de souveraineté, mais seulement de haute justice. Suivant elle, Stanislas, en supprimant ses officiers forestiers, et en créant à leur place la maîtrise particulière des eaux et forêts de Bar et de Bourmont, n'avait fait qu'user d'un droit commun à tous les seigneurs dans leurs hautes justices.

» Mais elle ne fait pas attention que, par cette mauvaise défaite, elle se met en contra-' diction avec l'arrêt même du parlement de Paris du 2 juillet 1749. Pourquoi, en effet, le parlement de Paris déclare-t-il par cet arrêt, n'enregistrer la déclaration de Louis XV, que sans approbation de tout ce qui, dans ladite déclaration, pourrait être contraire à la souveraineté du roi dans le duché de Bar, et notamment sans qu'en ce qui touche ledit duché, les termes de suppression des offices puissent être tirés à conséquence, ni étre regardés que comme une révocation telle que tout seigneur haut-justicier est admis à faire des offi ciers de sa haute justice, en remboursant la fiance, si aucune y a? Pourquoi ordonne-t-il (contre la teneur expresse de la déclaration de Louis XV, qui reconnaît manifestement comme valable, par la seule autorité de Stanislas, la création des maitrises et officiers d'icelles dans le duché de Bar), pourquoi ordonne-t-il que cette création ne sera exécutée que comme faite de la volonté du roi et par son autorité manifestée par ladite déclaration? C'est indubitablement parcequ'il regarde le droit de supprimer et de créer des tribunaux et des offices, comme un attribut inséparable de la souveraineté ; c'est indubitablement parcequ'il trouve qu'en disposant, comme il l'a fait par sa déclaration, d'après

l'édit de Stanislas, Louis XV a reconnu Stanislas pour souverain du Barrois; c'est surtout parceque ni le concordat de 1571 ni la déclaration de 1575 ne maintenant nommément le duc de Bar dans le droit de supprimer et de créer des juridictions, il lui paraît que ce droit est demeuré tout entier et exclusivement dans la main du roi.

» Dans le fait, pendant tout le temps que les justices seigneuriales ont subsisté, et que la souveraineté du roi a été comptée pour quelque chose, le parlement de Paris a constamment jugé, conformément à la doctrine de Loyseau, Traité des seigneuries, chap. 10, no 70, que les seigneurs pouvaient bien révoquer leurs officiers et en nommer d'autres, mais qu'ils ne pouvaient ni en augmenter ni en diminuer le nombre, ni changer l'organisation de leurs justices."

» Le chapitre de Saint-Marcel de Paris, ayant créé, dans sa justice de Saint-Marcel et du Mont-Saint-Hilaire, un office de lieutenant de bailli, il intervint, le 19 juin 1652, un arrêt qui lui fit défense de donner aucune suite à cette innovation. « On n'a jamais souf»fert (dit à ce sujet M. l'avocat général » Talon) qu'aucun seigneur ait fait pareille

entreprise. La cour sait quelle est la dispo"sition de l'arrêt pour le bailliage de Saint»Germain-des-Prés.... ; de même le sieur duc » de Nemours ayant voulu créer un sergent » dans son duché, et le sieur duc de Mont» morency donner une partie de sa justice à >> un gentilhomme de ses voisins, on s'y est » opposé (1)

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» La Touloubre, dans sa jurisprudence féodale, part. 1, tit. 2, §. 5, rapporte deux arrêts du parlement de Provence, des 4 octobre 1621 et 21 janvier 1645, qui ont égale. ment jugé, le premier, « que l'archevêque » d'Arles, seigneur de Salon, n'avait pas pu » établir deux juges, l'un pour le civil, l'au» tre pour le criminel »; le second, « que le seigneur de Saint-Paul n'avait pas pu nom» mer un sous-lieutenant de juge ».

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le duc de Bar Stanislas avait, par son édit de décembre 1747, créé les maîtrises des eaux et forêts de Bar et de Bourmont. Louis XV l'avait donc encore une fois reconnu pour sou verain, lorsque, par sa déclaration du 8 ocbre 1748, il avait, sans confirmer cette créa tion, et en la regardant comme valable par elle-même, ordonné que les officiers de ces maîtrises jouiraient des priviléges attachés à leurs offices, non-seulement dans le Barrois, mais aussi dans toute la France.

» Ce fut donc encore, de la part de Stanislas, un acte de souveraineté proprement dite, et même du premier ordre, que l'édit du mois de juin 1751, par lequel il supprima toutes les juridictions ordinaires du Barrois mouvant, et leur substitua deux bailliages qu'il créa à Bar et à la Marche.

» Et inutilement cherche-t-on à faire entendre, d'après la déclaration de Louis XV, du 15 juin 1766, que cette opération n'eut son effet, après la mort de Stanislas, qu'en vertu de la confirmation qu'en fit Louis XV lui-même par cette déclaration.

» La déclaration du 15 mai 1766 ne confirme nullement les bailliages créés à Bar et à la Marche par l'édit de Stanislas; elle confirme seulement dans leurs places les pourvus d'offices des bailliages créés par cet édit : et cela est bien différent. En prononçant cette confirmation, Louis XV ne faisait, pour les officiers du Barrois qui avaient été institués par Stanislas, que ce qu'il avait fait, par une déclaration du 23 septembre 1723, pour tous les officiers de France qui avaient été insti tués par Louis XIV; que ce qu'avait fait Louis XIV, par un edit du mois de juillet 1643, pour tous les officiers de France qui avaient été institués par Louis XIII; que ce qu'avait fait Louis XIII, par un édit de 1610, pour tous les officiers de France institués par Henri IV; que ce qu'avait fait Henri IV, par une déclaration du 25 décembre 1589, pour tous les officiers de France qu'avait institues Henri III, etc. Voici notamment ce que portait la déclaration de Louis XV du 23 septembre 1723: « A ces causes......, nous avons » dit, déclaré, ordonné et octroyé, disons, » déclarons, ordonnons et octroyons, vou lons et nous plaît, que tous les officiers de » judicature, police et finance et autres, de » quelque nature qu'ils soient...., demeurent » confirmés, et jouissent à l'avenir des mê» mes fonctions, priviléges et immunités.... » dont ils ont ci-devant bien et dûment joui » et jouissent encore à présent, en la jouis»sance desquels nous les avons ons généralement > maintenus et confirmés, et de nouveau,

» autant que le besoin est ou serait, mainte» nons et confirmous par cesdites présentes

» Et ce qui prouve clairement que le but de la déclaration du 15 juin 1766 n'était pas de faire autre chose en faveur des officiers du Barrois mouvant; ce qui démontre jusqu'à la dernière évidence, que, par cette déclaration, Louis XV n'a fait pour ces officiers que ce qu'il avait fait en 1723 pour tous ceux à qui Louis XIV avait conféré des offices en France, c'est que cette déclaration n'était point particulière aux officiers du Barrois mouvant, et qu'elle comprenait tous ceux, tant du Barrois mouvant, que du Barrois non mouvant et de la Lorraine, dont les offices avaient été créés par l'édit de Stanislas du mois de juin 1751, et à qui Stanislas avait accordé des provisions en exécution de cet édit.

» Mais, dit-on, tout ce qui s'est fait sous le règne de Stanislas, doit être ici regardé comme indifferent. Stanislas n'était que le prête-nom de la France dans le gouvernement de la Lorraine et du Barrois, soit mouvant, soit non mouvant; c'était la France qui, sous le nom de Stanislas, gouvernait réellement ces pays: il lui importait donc peu que les actes de souveraineté qu'elle faisait alors dans le Barrois mouvant, parussent sous le nom de Stanislas, au lieu de paraître sous le nom de Louis XV.

» Le fait n'est pas exact; et la conséquence que l'on en tire, l'est encore moins.

» Il est vrai que quelquefois les ministres du roi Stanislas consultaient ceux de Louis XV, avant de décider certaines affaires. Mais on entendait si peu, de part et d'autre, reconnaitre par-là l'identité des deux souverainetés, que, par arrêts rendus aux conseils de France et de Lorraine les 12 avril et premier juillet 1746, les deux monarques avaient nommé des commissaires pour régler les limites de leurs frontières respectives dans les lieux où elles étaient contestées (1). — Il est vrai encore qu'à l'époque de l'établissement des deux vingtièmes en France, c'est-à-dire en 1749 et 1757, Stanislas avait pris avec Louis XV des arrangemens, d'après lesquels il devait, pour habituer les peuples de la Lorraine et du Barrois au régime français, faire percevoir des impositions de la même nature au profit de la France. Mais il n'est pas vrai qu'il eût pour cela cessé de gouverner par lui même ces peuples; et la manière dont il accueillit les remontrances qui lui furent faites par sa cour souveraine de Nancy, con

(1) Recueil des ordonnances de Lorraine, tome S page 1.

tre l'établissement du second vingtième, le prouve assez clairement. Elevé dans les principes de la starostie, et courroucé d'une résistance qu'il aurait dú louer, dit Rogeville (1), il exila dans des lieux facheux la meilleure partie des officiers de cette cour, et alla même jusqu'à destituer trois conseillers.

La demanderesse voudrait faire croire que les remontrances qui donnèrent lieu à cette mesure de rigueur, avaient été faites au gouvernement français; mais l'histoire atteste qu'elles avaient été faites directement à Stanislas, et que ce fut par Stanislas que ces mesures de rigueur furent prises directement. -A la vérité, le gouvernement français, après avoir entendu les députations qui lui furent ensuite envoyées par la noblesse lorraine et par les tribunaux du pays, invita, comme le dit encore Rogeville, le roi de Pologne de rappeler les magistrats exilés, et de laisser en place les destitués ; mais cette invitation n'est assurément pas une preuve que Stanislas ne fût, dans le gouvernement de la Lorraine et du Barrois, que le ministre et l'agent du gouvernement français.

» 2o. S'il était vrai que tel eût été en effet le rôle de Stanislas, s'il était vrai que les actes de souveraineté qu'il faisait dans le Barrois mouvant, comme dans le Barrois non mouvant et la Lorraine, n'eussent été que l'ouvrage secret du gouvernement français, qu'en faudrait-il conclure? Précisément tout le contraire de ce qu'en conclut la demanderesse: car si Stanislas n'eût pas été réellement souverain du Barrois mouvant, le gouvernement français, maître de gouverner comme il lui eût plu les états de ce prince, n'aurait pas manqué de ne gouverner, sous le nom de ce prince, que le Barrois mouvant et la Lorraine; et tout ce qu'il eût fait à titre de souveraineté dans le Barrois mouvant, il l'eût fait sous le nom de Louis XV: ainsi, c'eût été sous le nom de Louis XV, qu'il eût exigé, en 1737, comme souverain actuel, le serment de fidélité des officiers de cette partie du Barrois; c'eût été sous le nom de Louis XV, qu'il eût, en 1747, supprimé tous les officiers forestiers de cette partie du Barrois, et créé à leur place les maîtrises des eaux et forêts de Bar et de Bourmont; c'eût été sous le nom de Louis XV, qu'il eût, en 1751, supprimé toutes les juridictions ordinaires de cette partie du Barrois, et qu'il leur eût substitué les bail

(1) Histoire du parlement de Nancy, servant de préface à la Jurisprudence des tribunaux de Lorraine, page 43.

liages de Bar et de la Marche. Pourquoi donc tout cela s'est-il fait sous le nom de Stanislas? Par une raison très-simple: parceque Stanislas était reconnu par le gouvernement français, pour souverain du Barrois mouvant, comme du Barrois non mouvant et de la Lorraine; parceque le gouvernement français, qui avait la perspective de la très-prochaine réunion des droits du roi Stanislas dans sa main, mais qui en même temps pouvait et devait prévoir la possibilité d'événemens politiques qui fissent revivre ses droits en faveur des anciens ducs de Bar, n'avait plus alors d'autre intérêt que celui d'être exactement vrai et rigoureusement juste.

» Eh! comment pourrait-on ne pas sentir combien est ici décisive cette conduite du gouvernement français dans les derniers temps qui ont précédé la réunion du Barrois mouvant à la France, lorsqu'on la compare avec celle qu'avait tenue le même gouvernement dans les temps qui avaient le plus immédiatement suivi le traité de 1301? - Quoi! Philippe de Valois, en 1346, avait déclaré en toutes lettres que le duc de Bar était vrai et souverain seigneur du Barrois mouvant. Charles VI, en 1389, avait approuvé la réserve que le duc de Bar s'était faite de la souveraineté sur une ville du Barrois mouvant qu'il venait d'assigner pour douaire à son épouse: et lorsqu'on voit, quatre cents ans après, Louis XV reconnaître encore le duc de Bar pour souverain; lorsqu'on le voit en 1718, dans un traité diplomatique, qualifier de souveraineté la manière dont le duc de Bar possède la prévóté de Gondrecourt, c'est-àdire, une partie intégrante du Barrois; lorsqu'on le voit en 1737, consentir formellement à ce que le duc de Bar prenne possession du Barrois mouvant comme souverain actuel; lorsqu'on le voit, en 1748 et 1766, donner des lois qui présupposent nécessairement la légalité des actes les plus éclatans de souveraineté que le duc de Bar avait faits dans le Barrois mouvant en 1747 et en 1751; on pourrait encore avoir des doutes sur la souverai

neté du duc de Bar dans le Barrois mouvant? Non, non, de pareils doutes ne peuvent pas être sérieux ?-Toutes les fois que, dans une question sur la qualité en laquelle un bien a été possédé pendant plusieurs siècles, on trouve le commencement de la possession d'accord avec la fin, il est impossible que la qualité reste douteuse. - Celui qui possédait comme usager il y quatre cents ans, et qui ne possède encore aujourd'hui que comme usager, est forcément présumé n'avoir jamais eu qu'un droit d'usage. — Celui qui possédait

BAR.

comme propriétaire il y a quatre cents ans,
et qui possède encore aujourd'hui au même
titre, est forcément présumé avoir toujours
été propriétaire. Et par la même raison, ce-
lui qui possédait comme souverain en 1346,
et qui possédait encore comme souverain en
1766, est forcément présumé avoir toujours
possédé par
droit de souveraineté.

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Qu'il y ait eu, dans le long intervalle qui sépare des époques aussi éloignées les unes des autres, quelques interruptions dans la manière de posséder, c'est ce qui importe peu : ces interruptions disparaissent par le rapprochement des deux points extrêmes de la possession. L'accord de la fin de la possession avec son commencement, purifie tout ce qui intermédiairement aurait pu l'obscurcir ou la troubler.

» Et d'ailleurs, quelles interruptions les ducs de Bar ont-ils éprouvées dans leur pos session de la qualité de souverain du Barrois mouvant? Ils n'en ont éprouvé qu'une seule de la part du gouvernement français. On sait que François Ier força le duc Antoine et son fils à reconnaître, par un acte du 15 novembre 1541, qu'ils ne tenaient l'exercice des droits régaliens que de sa tolérance : mais cette interruption fut bientôt effacée, puisque, par le traité de Crespy, du 18 septembre 1544, François Ier s'obligea de rendre au duc François l'original même de l'acte qui l'avait opérée.

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» Quant aux interruptions qu'ils ont éprou vées de la part du parlement de Paris, il est aise de sentir qu'elles ne peuvent être aujourd'hui, comme elles n'ont jamais été, d'aucune conséquence. Le parlement de Paris ne pouvait pas faire la loi au gouvernement français sur la qualité en laquelle il devait traiter avec le duc de Bar: aussi ne la lui fit-il jamais; aussi ses arrêts des 6 septembre 1779 et 2 juillet 1749, les seuls par lesquels il ait véritablement dénié aux ducs de Bar la qualité de souverains, n'empêchèrent-ils jamais que le gouvernement ne reconnût cette qualite dans les ducs de Bar: et d'ailleurs, nous l'avons déjà dit, les ducs de Bar n'étaient point partie dans ces arrêts; ces arrêts ne leur furent jamais notifies: on ne voit pas même que le premier ait jamais été imprimé; l'ordre de l'imprimer ne se trouve ni dans la copie que nous en offre le Journal des audiences, ni dans les registres du parlement où nous l'avons vérifié; et à l'égard de celui de 1749, nous avons fait remarquer qu'il n'en fut imprimé qu'un extrait infidèle, et conçu de manière à ne pas permettre au public de soup

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çonner que la souveraineté des ducs de Bar y fût le moins du monde méconnue.

» Enfin, à toutes les preuves émanées des rois de France, et fortifiées par l'arrêt du parlement de Paris lui-même de 1508, du fait si important dans la cause actuelle, que les ducs de Bar étaient souverains dans le Barrois mouvant, viennent encore se joindre les reconnaissances multipliées qu'en ont données les propres auteurs de la demanderesse, en acceptant, en 1598 et en 1711, les donations qui leur furent faites à ces époques de la terre de Morley, sous la réserve que les ducs donateurs y insérérent, de leur souveraineté.

» Et ce n'est pas sans étonnement que nous voyons la demanderesse soutenir, pour éluder ces reconnaissances, que, dans les donations de 1598 et 1711, le mot souveraineté ne désigne pas la puissance souveraine, mais seulement la seigneurie, la supériorité seigncuriale.-Suivant elle, « il existe des exemples

multipliés d'inféodations, et même d'acen» semens et de baux à rente, dans lesquels » des seigneurs de simples fiefs, des proprié» taires, se réservent la souveraineté, pour » dire la supériorité, la directe, la propriété; »> nous avons même plusieurs contumes qui » qualifient de souveraineté la directe feo» dale ». Cela est bientôt dit; mais où sont ces baux à fief, à cens et à rente? Où sont ces coutumes qui défigurent à un tel point le mot souveraineté? On aurait bien dù nous les indiquer; et l'on ne s'en est certainement abstenu que parcequ'on a trouvé la chose impossible.

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»Dans le fait, il existe bien des actes trèsanciens dans lesquels le roi est désigné par la dénomination de senior ou seigneur, et la royauté par celle de senioratus ou seigneurie. « Ainsi (dit Salvaing, de l'Usage des fiefs, » pag. 91), dans les Capitulaires de Charles»le-Chauve, qui furent envoyés aux Français » et aux peuples d'Aquitaine, il est dit : » Mandat vobis noster senior, quia si uli» quis talis est, cui suus senioratus non pla» cet; où le mot de senior veut dire le roi, » et senioratus la royauté ».— - Mais que l'expression souverain ait été employée comme synonyme de seigneur dans les temps un peu moins reculés où la souveraineté a eté universellement distinguée de la seigneurie, c'est ce qu'on ne verra nulle part. Eh! comment caractériser l'assertion de la demanderesse, lorsqu en remontant au treizième siècle, on voit Beaumanoir tellement convaincu que le mot souverain est exclusivement consacré à la désignation de celui qui exerce la souveraine puissance, que craignant que l'on n'at

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