Page images
PDF
EPUB

que ce principe soit respecté sur leurs territoires; mais les intérêts dont il s'agit le plus directement n'en sont pas moins, avant tout, des intérêts privés.

C'est dans l'intérêt de leurs ressortissants et en vertu des obligations qui leur incombent à cet égard, en vue d'une bonne justice, que les souverainetés s'y trouvent impliquées. C'est à de simples particuliers que la demande s'adresse; c'est le plus souvent par voie judiciaire et non par voie diplomatique qu'on procède.

Il s'agit, pour les souverainetés, de l'accomplissement d'un devoir commun, plus que de celui d'un acte de puissance indépendante. Les questions d'amour-propre ou d'honneur national se trouvent d'ailleurs plus facilement évitées, par la circonstance qu'il s'agit principalement d'un intérêt mixte ou neutre, laissant de côté des susceptibilités malheureusement entretenues par les anciennes traditions.

Il y a là, bien certainement, un avantage du droit international privé sur le droit international public. Ce dernier met, fort souvent, les souverainetés directement en présence comme puissances. C'est de leurs droits réciproques plus que de ceux de leurs ressortissants qu'il s'y agit principalement ; ce sont elles qui sont directement en cause; les demandes s'adressent à elles-mêmes; c'est par voie diplomatique et non par voie judiciaire qu'on procède; les passions s'y trouvent plus facilement surexcitées et les causes de rupture ou de représailles y sont plus fréquentes.

Nous n'hésitons pas à voir une seconde cause de

supériorité pour le droit international privé dans la circonstance qu'il repose sur une base plus clairement démontrée et plus facile à développer. Cette compétence recherchée comme base résulte des exigences d'une bonne justice, et celles-ci naissent elles-mêmes de rapports sociaux qui, bien souvent, sont élémentaires et faciles à reconnaître.

On se trouve dans un tout autre milieu quand il s'agit de droit international public: on y cherche bien souvent en vain, nous semble-t-il, quelque point d'appui solide pouvant se prêter à des développements scientifiques. C'est par un adoucissement général des mœurs plus que par des procédés rigoureusement doctrinaux, que les progrès s'y opèrent 1.

Il résulte de ce qui précède que le champ du droit international privé doit, autant que possible, être étendu plutôt que resserré dans ses rapports avec le droit international public, puisqu'il offre plus de sécurité et plus de solidité. Ceci nous conduit à rechercher quel peut en être le domaine naturel.

On doit, semble-t-il, y faire rentrer, sans hésitation, ce qui se rapporte au droit civil et commercial; mais des doutes peuvent s'élever au sujet du droit pénal: ce sujet n'est-il pas trop profondément empreint d'ordre public, pour qu'il soit possible de le classer dans une telle catégorie ?

1 Revue des deux Mondes, No du 15 janvier 1882, article de M. Desjardin.

Il faudra, bien certainement, tenir compte de cette circonstance, dans les dispositions internes de la doctrine; mais celle-ci n'en est pas moins dépourvue des caractères essentiels au droit international public. C'est contre des individus que ce genre d'actions s'exerce; c'est généralement par voie judiciaire et non par voie diplomatique qu'on agit, sauf en ce qui a trait aux commissions rogatoires, qui appartiennent à la procédure plus qu'au fond du droit.

11. Nous ne saurions terminer cet exposé succinct des bases spéculatives de notre doctrine, sans ajouter quelques mots sur un sujet dont nous aurons beaucoup à nous occuper plus tard.

Dans le développement interne de la vie juridique et sociale d'un même Etat, on désigne par les mots dispositions d'ordre public, certaines règles que la loi place au-dessus de toute atteinte provenant de la volonté individuelle. Ce sont des règles pour lesquelles d'impérieuses exigences sociales réclament un respect absolu. Bien qu'elles puissent ordonner d'agir aussi bien que de s'en abstenir, c'est sous un aspect négatif et restrictif, qu'elles se présentent le plus naturellement à l'esprit, parce que le trait le plus caractéristique de leur nature semble être d'imposer des bornes à la liberté individuelle qui se manifeste par l'action plus que par le repos. La loi n'en fait pas moins de l'ordre public en exigeant l'action de la volonté individuelle.

Il se passe quelque chose de plus ou moins analogue dans la vie internationale; il s'y présente, pour cha

que Etat, des règles qui lui apparaissent comme tellement impératives qu'il doit en exiger l'observation absolue. Encore ici, l'on trouve les deux aspects mentionnés plus haut, et c'est le côté négatif qui semble frapper le plus naturellement l'esprit, parce que son action paraît plus particulièrement se révéler en imposant des limites à l'extension extraterritoriale des lois étrangères, dans les cas où cette extension serait admise en circonstances ordinaires.

L'on trouve aussi, dans la vie internationale, des règles tellement absolues, que chaque souveraineté doit se considérer comme tenue non seulement d'en réclamer directement le respect sur son territoire, mais encore d'écarter toute influence étrangère qui pourrait agir dans un sens contraire.

Cette conception n'est pas inexacte d'une manière absolue; mais, elle n'en est pas moins trop étroite et, par cela même, plus ou moins dangereuse. Ce n'est pas seulement comme motif de restreindre l'application des règles ordinaires que l'ordre public agit dans notre doctrine, il la domine dès la base jusqu'au sommet: il la marque tout entière de son empreinte.

C'est par des considérations d'ordre public, appuyées sur de puissantes nécessités sociales, que l'état et la capacité des personnes doivent, en principe, rester soumis en tout pays à la loi du domicile ou à celle de la patrie, suivant le système auquel on s'arrête. De semblables considérations font admettre que la validité des actes instrumentaires, quant aux formes extérieures, doit, généra

lement, être appréciée suivant la loi du lieu où ces actes sont intervenus.

Le même genre de motifs conduit à repousser l'application de principes généralement consacrés en vue des circonstances ordinaires, quand cette application conduirait à prêter main forte à des maximes ou à des faits qui paraissent devoir être repoussés d'une manière absolue, soit parce qu'ils portent atteinte aux droits et aux intérêts que l'Etat doit protéger, soit parce qu'ils sont contraires à quelque principe d'un ordre supérieur, s'ils reposent, par exemple, sur l'esclavage, la mort civile ou telle autre institution condamnée sur le territoire.

L'ordre public se montre bien ici sous son double aspect il doit être consulté soit pour consacrer, soit pour limiter les règles du droit international privé; ce n'est pas se faire une idée suffisante de son importance que de ne le considérer que sous son aspect négatif.

Résumé.

12. Ce que nous avions à dire au sujet des bases du droit international privé peut se ramener à une série de propositions s'énonçant de la manière suivante :

1o Le droit civil commercial et pénal se réalise et se développe sous l'action combinée de souverainetés diverses.

2o Chacune des souverainetés participant à cette œuvre commune, doit y prendre la part que les nécessités

« PreviousContinue »