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dans notre doctrine; il faut encore s'occuper des faits juridiques, puisque c'est par eux que le droit se produit et subit toutes les modifications dont il est susceptible.

Malgré l'infinie variété de ces faits, il est possible de les ramener à un certain nombre de catégories paraissant réclamer l'application de règles spéciales. Le type servant le plus naturellement de base à ces distinctions, se trouve dans la volonté des parties intéressées et dans la manière dont elle agit en chaque cas.

Cette volonté doit, plus ou moins nécessairement, être placée sous le contrôle et sous l'action de la loi. Elle peut être restreinte dans ses effets, par des considérations d'ordre public, ou soumise dans ses manifestations extérieures à certaines formalités servant de preuve ou de garanties.

Elle doit, généralement, pour être engagée d'une manière définitive, avoir satisfait à certaines conditions internes constituant les caractères essentiels de l'acte dont il s'agit, ou écartant l'idée de vices perturbateurs qui pourraient y être intervenus, tels que la violence, le dol et l'erreur. Il est quelquefois suppléé à ses manifestations extérieures, au moyen de présomptions tirées de certains faits. Bien souvent, aussi, les obscurités ou les lacunes qui peuvent s'y présenter, font l'objet de dispositions légales destinées à leur servir d'interprétation ou de développement.

Dans ce vaste domaine des faits juridiques, nous trouvons certains points sur lesquels l'attention de l'ancienne doctrine paraît s'être plus particulièrement diri

gée. Cela se comprend, parce qu'on agissait sous la pression de la pratique et sous l'empire d'une lutte plus ou moins violente. Nous ne voulons certainement pas dire que les autres points aient été complètement négligés; mais on s'en est occupé moins fréquemment et moins directement, soit parce qu'ils semblent faciles à résoudre, soit parce qu'ils étaient dans la dépendance de circonstances spéciales, soit parce qu'ils se présentaient sous des formes plus abstraites. On peut le dire, dans tous les cas, les faits juridiques sont un des sujets sur lesquels l'ancienne doctrine laisse le plus à faire. Il y a, certainement, en cette matière, bien des lacunes à combler, bien des bases à développer.

Voici, maintenant, les sujets sur lesquels l'attention s'est tout particulièrement dirigée sous l'ancienne doctrine.

Les formes extérieures dont les actes doivent être revêtus, pour être pris en considération par les tribunaux, devaient nécessairement préoccuper les esprits. Les exigences de la pratique conduisaient à soumettre ces formes à la loi du lieu de la passation de chacun de ces actes, parce que c'était la seule à laquelle il était généralement possible de se conformer.

C'est probablement là qu'il faut chercher la première origine de la vieille règle: Locus regit actum. Cette règle dut s'imposer de très bonne heure, elle s'appuyait sur des considérations aussi impératives que celles dont le statut personnel était résulté.

Etait-il possible d'admettre qu'un acte, régulier sui

vant la loi sur le territoire de laquelle il était intervenu, pût être frappé d'impuissance dans une autre localité? La réalisation du droit n'aurait-elle pas dépendu de chances purement aléatoires, ou même quelquefois de manœuvres entachées de dol?

La doctrine qui s'est formée sous la pression de telles exigences pratiques, était désignée par la qualification contestable et contestée de statut mixte, soit comme se rapportant à la personne et aux choses tout à la fois, soit comme s'imposant également aux domiciliés et aux non domiciliés. La force probante des titres en était l'objet principal et le plus fréquent1. En fait, cette doctrine ne rentrait ni dans l'un ni dans l'autre des deux statuts principaux tels qu'ils étaient formulés par l'ancien droit. Elle n'affectait ni l'état ni la capacité des personnes; elle ne s'appliquait pas toujours à des choses matérielles et les effets qui en étaient la conséquence s'étendaient au delà du territoire.

Bien des questions peuvent s'agiter au sujet de cette règle doit-on la prendre dans un sens négatif, aussi bien que dans un sens positif; en d'autres termes, faudra-t-il, toujours et nécessairement, repousser comme insuffisants les actes pour lesquels on n'a pas observé les formalités voulues par la loi du lieu de la passation? dans quels cas et dans quelle mesure cette règle peutelle s'étendre à ce que nous avons appelé conditions internes? peut-on faire complètement abstraction de la

1 Boullenois, Personnalité etc., t. I, p. 415, 422, 456, 492.

loi de la situation des choses? quelle importance doivent avoir, pour l'interprétation des actes, la loi du lieu où ils sont intervenus et celle du lieu où ils doivent ressortir leurs effets? C'est là un vaste sujet qui a conservé son importance et sur lequel nous aurons à revenir plus tard, au double point de vue de la pratique et de la théorie spéculative.

Un autre point se rapportant aux faits juridiques et sur lequel l'attention s'est particulièrement dirigée, sous l'ancien droit, a trait à la communauté et, plus généralement, au régime des biens entre époux. Ce sujet pouvait difficilement être considéré comme une dépendance immédiate et directe du statut personnel, parce qu'il ne se rattache ni à l'état, ni à la capacité. Le faire rentrer dans le statut réel soumis, comme tel, à la loi de la situation des choses, paraissait plus conforme aux tendances de rigoureuse territorialité qui prévalaient sous le régime féodal. Mais quelque logique qu'il pût être, ce système devait soulever bien des répugnances, parce qu'il ne satisfaisait pas aux exigences d'un tel rapport de droit. On ne pouvait admettre que les époux eussent entendu se soumettre à toutes les chances résultant de la variété des coutumes. Leurs biens semblaient devoir être soumis à des règles fixes, générales et permanentes, pour satisfaire aux exigences du mariage qui, provoquant des besoins persistants, réclamait des ressources de même nature.

Cette condition pouvait se réaliser et se réalisait, en effet, au moyen d'un contrat dont les clauses devaient

être respectées en tous temps et en tous lieux. N'était-il pas naturel de supposer qu'en l'absence de toute convention, les époux avaient entendu se soumettre, tacitement, à la loi qui semblait appelée à régir leur vie commune; c'est-à-dire à celle de leur domicile matrimonial, lieu dans lequel ils paraissaient vouloir s'établir? Un tel régime supposé avoir été choisi d'un commun accord, devait être respecté de la même manière que s'il eût fait l'objet d'un contrat exprès. Telle fut la célèbre doctrine que Charles Dumoulin parvint à faire admettre, malgré les vives résistances qu'il éprouva de la part des partisans d'une stricte territorialité du droit, spécialement de la part de d'Argentré. Ce fut, certainement, une grande victoire pour le temps, la doctrine qu'elle a fait triompher conserve encore son importance et soulève diverses questions que nous retrouverons plus tard, dans l'étude des détails. On peut se demander si c'est bien là un statut, dans quelle catégorie il faut le placer, et si la vraie solution du problème se trouve bien dans un contrat supposé soumis à de nombreuses incertitudes quant aux bases sur lesquelles il repose.

31. Toute cette ancienne théorie des statuts pouvait difficilement s'appuyer sur des principes de droit rigoureux, s'imposant impérativement, comme loi commune et générale, aux diverses souverainetés appelées à en faire l'application. De pareilles bases étaient, plus ou moins, incompatibles avec les idées que l'on se formait alors de la souveraineté, droit absolu, n'admettant aucun mélange d'obligation et n'ayant d'autre règle que le

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