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écrivant sous l'influence d'un caractère plus timide, éprouvait de vives sympathies pour ce même principe; mais il ne le suivait que de loin, dans la crainte de se mettre en désaccord avec le droit positif 1.

Le premier se place résolûment sous l'influence de considérations théoriques. Il est, dit-il, plus naturel que, dans le doute, les choses cèdent aux personnes comme plus nobles, que de faire céder les personnes aux choses; ainsi dans l'ambiguïté du statut, il vaut mieux l'interpréter en faveur de la personne. On ne peut d'ailleurs disconvenir que les lois dont l'exécution est simple et facile ne soient préférables aux autres. Or, telle est la nature de celles qui règlent les biens par la qualité de la personne plutôt que par celle des biens.

« Ces réflexions sont judicieuses et dignes du magistrat qui les propose, répond Boullenois; mais, 10 ce système combat absolument la décision de nos meilleurs jurisconsultes; 2o il pourrait être admis si la personne et les biens étaient renfermés sous l'étendue d'une même loi; mais comme les personnes ont leurs biens répandus sous différentes coutumes, que la coutume de la situation ne saurait commander à la personne et que celle du domicile ne peut pas toujours, et de droit commun, commander aux biens, il faut nécessairement conserver les droits des unes et des autres. Or, dès qu'il y a un mélange de la personne et des biens, et que la nature du statut ne se développe pas suffisamment, il n'y a

1 T. I, p. 107.

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rien de plus naturel que de les régler par la loi de la situation qui, de droit, commande aux biens, si nous ne sommes pas pressés par quelque autre raison supé

rieure. »

Nous ne craignons pas de le dire cette timidité de Boullenois nous semble précieuse à constater, parce qu'elle fait pénétrer à fond dans l'état où la doctrine se trouvait de son temps. Ce devait être, en effet, une position pénible que celle des jurisconsultes en pareilles époques. Le droit supérieur et vrai leur apparaissait clairement, mais ils ne pouvaient l'atteindre qu'en s'écartant des règles que leur imposait la doctrine consacrée ; s'adresser au pouvoir législatif était peu praticable, tout particulièrement en ces matières.

Les jurisconsultes de chaque époque pouvaient bien se considérer comme les égaux de ceux dont la doctrine avait été admise; mais ceux-ci avaient pour eux la possession d'état. Bien des droits pouvaient s'être formés sous l'empire des anciennes idées et des anciennes règles; il fallait du courage, et une grande confiance en soi, pour agir, directement, sur la pratique dans un sens contraire aux doctrines consacrées.

Nous l'avons déjà vu le développement de l'action législative et diplomatique fait aux praticiens de nos jours une position bien différente.

33. Ce que nous avons dit au sujet de la doctrine des statuts, nous semble suffire en vue du but que nous nous sommes proposé d'atteindre; nous ne pousserons pas cet examen plus loin dans ce moment, sauf à reve

nir, plus tard, sur les détails qu'il pourrait être nécessaire d'étudier.

Cette doctrine est généralement considérée comme insuffisante: elle est partie de bases trop étroites; et, ne se développant que sous la pression des plus puissantes exigences de la pratique, elle n'a poussé assez loin ni l'analyse, ni l'esprit systématique. Nous ne saurions, toutefois, refuser notre estime et notre respect aux vaillants champions qui l'ont formée, malgré les puissants obstacles extérieurs contre lesquels il leur fallait lutter.

Ils nous ont transmis une grande et profonde idée, celle d'une compétence naturelle en matière de lois. Etudier et développer librement cette idée, telle est la tâche qu'ils nous ont léguée. Cette tâche se présente sous deux aspects: celui du droit positif qu'il faut suivre et respecter, tout en exposant librement les imperfections qui s'y trouvent, et celui des études spéculatives nécessaires en vue des réformes à proposer pour l'avenir. Le premier de ces aspects doit faire l'objet de cette partie de notre travail. Le second nous occupera plus tard, si les circonstances le permettent.

CHAPITRE IV.

Coup d'œil sur les établissements extra-continentaux de la France.

34. Introduction et division du sujet. 35. Algérie. 36. Indes orientales. 37. Cochinchine. - 38. Consulats, capitulations, traités d'établissement ou de protection. Echelles du Levant et de la Barbarie. 40. Organisation judiciaire et tribunaux mixtes en Egypte.

34.

39.

On ne donnerait qu'une idée bien insuffisante de la vie internationale de la France, si l'on ne disait pas quelques mots au sujet des établissements qu'elle a formés hors des limites de son territoire continental en Europe.

Cette existence lointaine intéresse à divers points de vue en même temps qu'elle est, en quelque sorte, une prolongation de la vie interne, elle ouvre de plus larges horizons, par la rencontre de principes sociaux qui se disputent l'avenir et soulèvent des questions d'un intérêt universel.

Cet aspect de l'histoire se présente dans des conditions différentes, selon que les établissements dont il s'agit naissent et se développent sous l'influence d'une seule et même souveraineté, ou sous l'action complexe de la diplomatie. On désigne généralement la première catégorie par le mot de colonies et la seconde par ceux de capitu

lations ou traités d'établissement et de protection, actes par lesquels certaines garanties et certains privilèges sont accordés, sur un territoire, aux ressortissants d'Etats étrangers.

La définition que nous avons donnée des colonies pourrait sembler les exclure du droit international; elles s'en rapprochent cependant par les exigences spéciales auxquelles le droit interne doit y satisfaire.

L'Etat qui implante sa civilisation dans un milieu social fort différent du sien, contracte, par cela même, des obligations d'un genre tout particulier, s'il ne veut pas, en expulsant les indigènes, enfreindre le droit et provoquer des luttes plus ou moins étendues. Il doit organiser et régir le territoire dont il s'est emparé, de manière à ce que les populations diverses appelées à s'y trouver mélangées puissent y vivre en bonne harmonie et, autant que possible, dans un état de liberté et d'égalité. Ces habitants doivent être respectés dans les intérêts, dans les mœurs et les convictions qu'ils tiennent de leurs origines respectives. Il serait difficile de ne pas en faire des catégories; mais ces catégories ne doivent pas dégénérer en castes; elles doivent être le moins définitives et le moins fermées qu'il est possible; il faut qu'elles puissent se répartir, se grouper et même se fondre, suivant les résultats que le temps et la lutte ne manqueront pas d'opérer. C'est une position qui n'est pas sans analogie avec celle que l'invasion du Ve siècle produisit en mélangeant sur le même sol les hordes germaniques et les populations gallo-romaines. Elle soulève, croyons-nous, de plus

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