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D'abord on put croire que les escadres ne seraient pas insultées; les premiers bâtiments purent passer sous les batteries et s'en aller prendre leurs positions. Mais une frégate anglaise s'étant avancée pour faire éloigner les brûlots turcs du mouillage occupé par les alliés, un coup de fusil parti d'un de ces brûlots, tua l'aspirant qui allait sur une embarcation communiquer avec eux; et puis, un canot ayant été envoyé en parlementaire au vaisseau amiral turc, le maître pilote anglais fut tué d'un coup de fusil parti de ce vaisseau; en même temps, une frégate turque tirait le canon sur une frégate française; celle-ci riposta par une pleine bordée; ce fut le signal d'une explosion générale. En un moment, la baie de Navarrin fut comme un incendie. Les Turcs resserrés dans une enceinte étroite, et rangés sur leurs trois lignes en fer à cheval, semblaient s'être disposés pour assurer leur propre destruction. Ils se défendirent néanmoins à outrance; mais l'acharnement hâtait leur ruine. Bientôt leurs vaisseaux déchirés et broyés par des coups sûrs furent atteints par la flamme. Euxmêmes ne les pouvant défendre les faisaient sauter, et c'était un spectacle à la fois imposant et horrible de voir ces bâtiments en feu s'engoufrer dans les flots avec leurs banderolles déployées comme pour attester qu'ils n'étaient pas vaincus. La flotte disparut de la sorte; en trois heures et demie plus de cinquante bâtiments avaient été brûlés, et plus de sept n ille hommes avaient péri; la puissance maritime de la Turquie était à jamais détruite. Ce fut le salut de la Grèce ; ce fut le commencement d'une destinée nouvelle pour l'Orient.

Toutefois il parut alors, et il a paru depuis à plusieurs peu conforme à la tradition de la politique d'Europe, de désarmer de la sorte la puissance ottomane, qu'on avait coutume de considérer comme nécessaire à l'équilibre des Etats; mais ce qui était une faute au point de vue de la diplomatie, allait devenir, dans l'ordre de la providence, le point de départ d'une révolution que le monde a vu depuis se dérouler par des accidents pleins de mystère. La bataille de Lépante avait arrêté l'Islamisme dans sa marche

sur l'Europe; la bataille de Navarrin commença sa retraite vers l'Asie depuis lors, il n'a fait que se débattre contre la ruine.

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Cependant les événements lointains, malgré leur éclat, n'étaient pas une distraction des agitations intérieures. La politique gardait ses passions, et ce fut alors une chose inexplicable de voir le ministère aller au-devant des partis, et leur jeter l'occasion la plus désirée par eux de s'engager dans les luttes.

La chambre des députés semblait vouée à la politique des ministres; mais c'était une maxime constitutionnelle de ne pas laisser épuiser la durée des pouvoirs de chaque législature, et M. de Villèle crut habile de témoigner de sa force en prononçant la dissolution de la Chambre, et en convoquant les colléges pour des élections nouvelles. Une création de soixante-seize nouveaux pairs de France indiqua l'ordre d'idées qu'il espérait faire prévaloir dans le choix des députés, et, le même jour, la censure des journaux était levée par une ordonnance; c'était une disposition de la loi que les élections devaient se faire dans la pleine liberté des partis.

Cette liberté fut une guerre acharnée. Alors reparurent les attaques, les dénigrements, les mensonges, tous les genres de personnalité et d'injure. Et c'est dans la ferveur de cette opposition sans retenue et sans pudeur que s'ouvrirent les élections.

Dès les premiers jours, le Gouvernement put voir que ses espérances étaient trompées ; à Paris le triomphe de l'opposition donna lieu à des manifestations populaires qui eurent tout le caractère d'une sédition révolutionnaire. Le quartier St-Denis fut troublé par des émeutes menaçantes; des barricades furent dressées; c'était l'apprentissage des révoltes armées. Des troupes furent lancées sur les séditieux; les barricades furent emportées; la guerre des rues avait succédé à la guerre des journaux; Paris fut en proie aux alarmes, mais l'armée n'hésitait pas dans son devoir, et la sédition finit par être vaincue.

Alors reparut la guerre politique. On attaqua l'armée;

on l'accusa d'avoir exagéré le péril et ensanglanté la défense. Les journaux publièrent les plaintes des citoyens que les soldats avaient maltraités, et l'on vit enfin la cour royale de Paris évoquer cette affaire, non pour la poursuite judiciaire de ceux qui avaient troublé la cité par les émeutes armées, mais pour celle des magistrats qui avaient veillé à la défense de l'ordre, et appelé l'armée au maintien des lois.

Le directeur de la police, M. Franchet, et le préfet de police, M. Delavau, furent mis en cause ; à la fin, la cour prononça « qu'il n'existait au procès aucun indice d'une participation du premier, aux faits qui avaient donné lieu à la poursuite; » et quant au second, « la cour déclarait qu'elle ne pouvait apprécier les mesures qu'il avait prises, qu'autant qu'elles auraient été prescrites dans une intention criminelle, ce que rien n'indiquait. » C'était une étrange façon d'absoudre la défense légitime des lois; mais une nouveauté plus étonnante avait été de voir dans l'instruction de cette affaire l'interrogatoire des officiers qui avaient obéi aux consignes militaires. Ainsi conduisait-on les plus courageux et les plus fidèles à douter du devoir; la justice ne s'apercevait pas qu'elle se faisait complice des révoltes.

CHAPITRE VIII.

Les partis visent à un renversement de la maison de Bourbon. L'opposition est maîtresse dans les chambres.

veau. Écrits séditieux; appel à l'usurpation.

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Ministère nou

Question des

écoles ecclésiastiques. Commission. Ouverture des chambres. -Nomination d'un conseil de la guerre. - Noms nouveaux dans les affaires. Deux ordonnances sur les écoles ecclésiastiques. Explosion. Mémoire des évêques contre les ordonnances. Autres événements; Guerre de la Russie contre la Turquie. — Dom Miguel, roi de Portugal. Expédition française en Grèce. Situation de la France; suite des luttes ecclésiastiques. — La presse continue ses attaques. Vagues pressentiments. Le nom du prince de Polignac paraît dans la politique. - Ouverture des chambres. Discours du roi. Sombres pensées des royalistes. - RoyerCollard président de la chambre. - Projets de lois. Loi municipale. -Événements du dehors. Mort du Pape Léon XII. Rejet de la loi municipale. Indices funestes d'anarchie.

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Dignité du roi ; il veut venger l'affront fait au consul d'Alger; affront nouveau. - Fin de la session. - Le nom de Polignac reparaît. Changement de ministère; le prince de Polignac premier ministre.—Impression sur le public. Actes divers d'opposition. Associations pour le refus de l'impôt. Voyages et ovations de La Fayette.-Hiver rigoureux; misère publique; efforts ingénieux de charité. - Ouverture des chambres. - Discours du roi; réponse des chambres; délibérations; refus de concours.Réponse du roi à la chambre des députés. - Clameurs des journaux; contagion de frénésie. Translation des restes de saint Vincent de Paul. Redoublement de calomnies contre le roi. Rapport au roi du comte de Chabrol, ministre des finances; document mémorable. Autre jugement sur la situation de la France; note du prince de Polignac. Révolution de Palais à Madrid.

1828. Dès ce moment, l'histoire se sent avancer vers des événements qui menacent d'être une révolution.

Les partis visent au renversement de la maison qui occupe le trône, funeste témérité qui peut ouvrir des

abîmes sous les pas de la nation; et comme, après de telles entreprises, les coupables cherchent d'ordinaire à s'absoudre, les uns de leurs attentats, les autres de leurs lâchetés, quelques-uns de leurs inepties, il importe que la vérité soit manifeste, afin qu'il n'y ait point de méprise dans les jugements, et que la postérité sache à qui doivent revenir les condamnations et les louanges.

Ainsi s'expliquent d'avance les particularités que nous allons avoir à recueillir, sans trop nous écarter toutefois de la rapidité accoutumée de nos récits.

Les partis avaient supputé leurs forces après les élections; la majorité passait à la gauche de la chambre; l'opposition royaliste n'avait point grossi ses rangs; le ministère était désarmé; le gouvernement devenait impossible.

Il était arrivé à M. de Villèle ce qui arrive dans le régime constitutionnel à tout homme d'État qui, ayant la conscience de son habileté, pense se suffire par elle contre la puissance des partis. Il avait eu peu de souci des oppositions; il les avait offensées, soit par l'affectation du dédain, soit par l'éclat des grâces. Il avait surtout irrité l'opposition royaliste, qui, retenue en des limites par la déférence, eût pu en un jour de péril lui venir en aide; à force de taquinerie et d'insulte même, il avait fini par en faire une opposition de personnalité et de rancune. Les fautes des partis ne s'excusent pas les unes par les autres, mais elles s'expliquent; M. de Villèle avait poussé à bout l'opposition de droite, en la traitant comme une défection; elle se vengea en le livrant désarmé à l'opposition de gauche; et l'opposition de gauche, c'était le renversement, non du ministère, mais du trône.

Cependant il fallut songer à constituer un ministère en regard de la majorité redoutable qui s'annonçait. Ce fut la sollicitude des premiers jours de l'année nouvelle. On s'appliqua à disputer à la gauche la partie de la chambre qui l'avoisinait, et qui se croyait de force à concilier avec ses idées de liberté l'intégrité de la monarchie.

Dans les rangs de l'opposition royaliste, il se trouvait des politiques qui offraient précisément un accord analogue de

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