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législative; les propriétaires d'un ordre inférieur trouvent dans l'exercice de moindres prérogatives un contentement d'autant plus vif, qu'il ne leur est point interdit d'aspirer à une plus haute existence. La sécurité assurée à la vie privée, la protection offerte à toutes les industries, remplissent les vœux du peuple. En un mot, ce n'est que dans nos institutions actuelles que l'on trouve le bien; ce n'est que d'elles qu'on attend le mieux. »

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Ce langage n'indiquait pas des desseins arbitraires ; il révélait plutôt une quiétude, disposée à se fier aux lois. Toutefois le ministre signalait, en regard des dispositions générales de la nation, la marche menaçante des partis; il opposait à l'esprit libéral du gouvernement des Bourbons les systèmes despotiques pratiqués par tous les gouvernements révolutionnaires; de sorte que les partis ennemis du roi étaient en réalité des partis ennemis de la liberté. C'est ce qu'établissait le ministre de là quelques. inductions sur la nécessité qui pourrait être imposée de recourir à des moyens extrêmes de défense contre des attentats organisés et tramés en plein soleil. Le ministre, en effet, insinuait que « des circonstances encore imprévues pourraient amener une déviation quelconque de nos institutions; » mais il ajoutait que « cette déviation, futelle légère et ne pouvant être que momentanée, ne serait favorablement accueillie qu'autant qu'il deviendrait évident pour la conscience publique qu'elle assurerait, d'une manière immuable pour l'avenir, les bases sur lesquelles repose le système actuel de notre gouvernement. On ne se soumettrait à leur suspension passagère que dans l'espoir d'en assurer la jouissance à la postérité la plus reculée. »

Après quoi le ministre exposait l'état des relations de la France avec les États d'Europe, et ici la maison de Bourbon avait le droit de se complaire dans l'éclat de ce tableau; jamais la France n'avait été plus honorée, et elle le devait au respect qui entourait au dehors le nom de ses Rois.

Enfin le ministre disait les projets d'amélioration et de réforme; il s'agissait de diminuer la centralisation, d'ouvrir

de nouveaux débouchés aux capitaux inactifs, d'affecter annuellement, sans aucune charge nouvelle, deux cent millions à la réparation des routes, aux places de guerre, aux arsenaux de marine, etc.; de mettre l'instruction publique en harmonie avec les principes de liberté politique et civile admis dans les institutions nouvelles de la France; mais ces plans étaient contrariés, ajoutait-il, par une opposition « qui s'est condamnée elle-même en refusant d'entrer en discussion sur aucun des points qui auraient pu être en litige. C'est à cette opposition seule que le pays doit attribuer le retard apporté à l'exécution des intentions bienveillantes du souverain. Privé de la possibilité de réaliser des améliorations en présence des Chambres, le ministère ne peut que persévérer dans les voies légales dont il ne s'est pas écarté un seul instant, et laisser à la raison publique le soin de prononcer entre une conduite irréprochable et des imputations purement gratuites 1. »

Telles étaient les appréciations confidentielles du prince de Polignac. Rien n'y trahissait des desseins de coups d'État; rien n'y décélait l'irritation et la colère. Il y parlait de la presse, dont la licence avait franchi toutes les bornes, et il déclarait qu'elle ne devait être contenue que par les tribunaux. En un mot, il semblait vouloir ne se défendre que par l'innocence, et il le disait en ces termes : « Le gouvernement ne peut donc que s'efforcer d'éloigner toute cause légitime de mécontentement pour le présent et de crainte pour l'avenir; de faire en un mot que l'agitation excitée et entretenue par la presse et les comités soit sans aucun fondement réel. »

C'était là, on le voit, une politique d'honnêteté; ce n'était pas une politique de salut. Lorsque les passions sont allumées et que les factions disposent des opinions, c'est peu d'éviter les causes légitimes de mécontentement, car tout est dénaturé, et tout sert de griefs, même le bien, même

Le texte entier de ce rapport se trouve dans l'Histoire de France pendant la dernière année de la Restauration. Pièces justificatives. 2. vol.

la sagesse, même le respect des lois; c'était donc une puérilité de chercher à ôter tout fondement à l'agitation; ce qui la rendait formidable, c'est précisément qu'elle tenait àdes causes imaginaires, non à des causes légitimes; et c'est ce que le ministre ne soupçonnait pas; son rapport attestait la probité de ses desseins, mais aussi l'insuffisance de son génie.

Sur ces entrefaites se faisait à Madrid une révolution de palais; qui, en d'autres temps, eut passionné la politique; elle effleura à peine les opinions et toutefois elle devait laisser dans le monde une longue trace. Le roi Ferdinand, sollicité par sa jeune femme, la reine Marie-Christine, prononça l'abolition de la loi salique, introduite en Espagne avec la royauté de Philippe V. C'était une altération profonde de la politique, qui avait fait dire à Louis XIV, en 1712: Il n'y a plus de Pyrénées! Et s'il était vrai que l'hérédité en Espagne se fut auparavant transmise par une autre loi, ce soudain retour à des coutumes que la foi des vieux temps avait ratifiées n'en était pas moins un premier ébranlement de la monarchie dans les temps nouveaux. La maison d'Orléans avait un intérêt direct à s'opposer à cette révolution; son droit éventuel à la couronne d'Espagne s'évanouissait, et le duc d'Orléans sollicita le roi Charles X de protester contre la pragmatique de Ferdinand, en sa qualité de chef de la maison de Bourbon. C'était une grande question d'État; le gouvernement s'en émut à peine, et l'Espagne put s'aventurer à son aise dans la carrière des hasards que lui ouvrait la fantaisie d'une jeune reine et l'incurie d'un roi en unmoment captivé par elle.

Un mot spirituel mérite d'être cité. Le prince de Polignac était sincère en croyant et disant que les lois lui devaient suffire. Mais chacun lui parlait des bruits de coups d'État. Michaud, qui avait l'art de tout réduire en un mot piquant, lui en parla comme tout le monde, et le prince répéta, comme toujours, qu'il ne voulait pas de coups d'État. Cela m'effraie pour vous, lui dit alors Michaud; car, comme vous n'avez pour vous que les politiques qui veulent des coups d'État, si vous n'en voulez pas, vous n'aurez plus personne. »

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CHAPITRE IX.

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Modification ministérielle. Dissolution de la Chambre.-Expédition d'Alger. Magnifique entreprise. Antipathies des partis. — Opposition de l'Angleterre; fierté des ministres français. Départ de l'expédition. Fête au Palais-Royal; désordres et pronostics. Débarquement sur la côte d'Alger. - Premiers succès. Proclamation du roi à la France au sujet des élections. Triomphe de ses armes à Alger. — Prise d'Alger. Conventions. -La France délivre les nations chrétiennes. - Silence des partis. -Fête à Paris. Le prince de Polignac veut avoir son triomphe. Ses desseins de coups d'État. Publication soudaine des ordonnances du 25 juillet. Rapport célèbre des ministres. Ils proposent de défendre la Charte, chaque jour violée. - Bonne foi et méprise de M. de Polignac.-Imprévoyance profonde. — Sécurité aveugle. Explosion publique. Protestations de la presse. Émeute dans les rues. Lutte ouverte et fatale. Trois jours d'anarchie. Le 29 juillet. Départ des ministres. Situation de l'armée. Irruption aux Tuileries. Scènes lamentables.-Meurtres et scandales. Les politiques de la Révolution s'emparent de la victoire. Récits des intrigues. - Une ordonnance de Charles X change le ministère et convoque les Chambres. Sanction de la défaite. Proclamation de La Fayette. — Châteaubriand dans les bras de l'émeute. — Négociations. —Le duc d'Orléans est amené à Paris. — Fin du drame au conseil municipal. Violent manifeste. -Le duc d'Orléans à l'Hôtel-de-Ville. Récits anecdotiques. Proclamation du duc d'Orléans. Frémissement du parti de la République. Scènes menaçantes.

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En France, d'autres événements se hâtaient. Quelle que fut la sincérité des pensées légales du prince de Polignac, l'attaque de plus en plus furieuse des partis faisait pressentir que le Gouvernement serait conduit à des moyens extrêmes de défense. Déjà se répandaient des bruits de coups d'Etats, vagues murmures, grossis par la malignité des opinions, mais bientôt accrédités par un changement qui se fit dans le ministère. Le comte de Chabrol qui ve

nait de parler à la raison publique, répugnait par l'aménité de son caractère à des luttes ouvertes, il donna sa démission. M. Courvoisier, dont les idées constitutionnelles de 1815 s'étaient peu modifiées, ou même s'étaient peutêtre affermies par des habitudes nouvelles de piété, se retira comme lui. M. de Peyronnet, ancien garde des sceaux dans le ministère de M. de Villèle, devint ministre de l'intérieur; M. de Montbel prit les finances, et M. de Chantelauze, premier président de la cour royale de Grenoble, fut garde des sceaux.

L'apparition du nom de M. de Peyronnet semblait un défi jeté à la révolution. On savaitson courage, on avait éprouvé ses résolutions; son éloquence, un peu roide, répondait à l'énergie de son âme. Le parti libéral supposa que son admission aux affaires était le signal d'une guerre qui ne serait faite que par l'arbitraire.

Telle n'était pas cependant la disposition des pensées de M. de Peyronnet: une guerre ouverte plaisait à son génie, mais il la voulait en plein jour, et avec les armes ordinaires des lois.

Quelques royalistes alors s'étonnèrent et s'irritèrent même que le Gouvernement n'allât pas chercher sa force dans l'ensemble des systèmes politiques, dont le nom de M. de Villèle était l'expression. Cela fit dans le parti royaliste des divisions nouvelles, et elles affaiblirent le Gouvernement au moment où il avait besoin de ramasser toutes ses forces. Et c'est au milieu de ces émotions diverses de l'opinion, que le roi prononça la dissolution de la chambre des députés [16 mai] : les colléges furent convoqués pour le 23 juin et pour le 3 juillet.

En même temps s'était préparée l'expédition destinée à punir le dey d'Alger, et le ministre de la guerre, le général Bourmont, avait mis à cette préparation les soins et la prévoyance calme d'un homme qui ne s'émeut point au bruit des partis.

Dès le mois de mai, cent bâtiments de guerre se déployaient dans la rade de Toulon, avec quatre ou cinq cents navires de transport, et sur la plage s'étalait une

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