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un officier, en s'approchant de Madame : « je vous suivrai partout, et je garderai mon serment. » Ce fut le signal d'une sorte de frénésie; la soldatesque se mit à pousser des cris menaçants parmi les cris de Vive l'Empereur ! « Vos jours sont en danger! » dirent à Madame les gens de sa suite; elle leur répondit d'un regard superbe, et demeura ferme à sa place. Et à l'aspect de cette femme calme, impassible, sereine, la tempête s'apaisa; et la honte abaissa les fronts de ces furieux : Madame alors retourna à la garde nationale.

Ici ce furent d'autres scènes; toute la population de Bordeaux était sous les armes ; officiers et soldats voulaient combattre ; la vue de Madame exaltait leur amour; ils criaient Vive le Roi ! et Madame s'efforçait vainement de calmer ces transports. Enfin elle obtint le silence. « Je viens, dit-elle, vous demander un dernier sacrifice; promettez-moi d'obéir dans tout ce que je vous commanderai. - Nous le jurons! crièrent à la fois tous les rangs. Eh! bien, ajouta-t-elle, d'après ce que je viens de voir, on ne peut pas compter sur le secours de la garnison. Il est inutile de chercher à se défendre ; vous avez assez fait pour l'honneur, conservez au roi des sujets fidèles pour un temps plus heureux. Je prends tout sur moi; je vous ordonne de ne plus combattre. « Non! non ! » s'écrièrent aussitôt toutes les voix. Et cette bourgeoisie bordelaise était sincère dans ces explosions de courage; on pleurait, on se précipitait au-devant de la princesse, on lui prenait les mains, on baisait sa robe, on voulait mourir pour elle. Mais cet attendrissement ne trompait pas sa mâle et forte raison; elle avait vu que la lutte était impossible, et enfin elle s'arracha à cet amour, admirable dans cette épreuve comme dans toutes celles par où la Providence mystérieuse semblait avoir voulu faire passer sa vie. Elle alla s'embarquer à Pouillac, le 2 avril, sur un bâtiment anglais, et se dirigea vers les côtes d'Espagne; un autre bâtiment voguait en même temps vers l'Angleterre, portant quelques amis fidèles, le duc et la duchesse de Levis, M. Linch et le général Donnadieu.

Le général Clauzel avait suivi de la rive opposée du fleuve ces mouvements contraires; le grand caractère de la duchesse d'Angoulême lui imposait; il n'entra dans la ville qu'après le départ de la princesse. Tout était glacé ; la stupeur publique faisait contraste avec l'enthousiasme militaire; ces nouvelles portèrent le même désespoir dans tout le Midi.

Cependant le duc d'Angoulême avait rapidement organisé un noyau de vaillants et de fidèles. Huit bataillons de volontaires, parmi lesquels se signalait un corps d'élèves de l'école de Montpellier, formaient l'avant-garde d'une petite armée que le prince voulait porter sur Lyon [30 mars]. Cette avant-garde fut attaquée près de Montelimard par le général Debelle, qui fut repoussé par elle et rejeté sur la Drôme. Le prince arriva le lendemain à Montelimard avec le 10 régiment, attaqua le pont de la Drôme, l'enleva, et le lendemain occupa Valence et Romans. On eût dit une lueur de fortune; mais, dès le 4, on signalait l'approche d'une armée organisée à Lyon par Napoléon, et, le 5, cette armée était sur l'Isère. En même temps, les régiments qui occupaient Nîmes et Montpellier se déclaraient pour l'Empire, et le général Gilly courait avec eux rompre les communications du prince. Ce qui lui restait de fidèles se vit en présence de forces inégales au pont Saint-Esprit, dont Gilly était maître. La route d'Avignon et de Marseille était libre encore; mais s'y jeter sembla périlleux aux conseillers du prince, à cause de la défection des troupes 1, et tous le sollicitèrent de céder à la force, pour ne point exposer les volontaires aux fureurs d'une victoire assurée. Le général proposa une capitulation qui fut acceptée; les volontaires devaient rentrer dans leurs foyers, et le prince se retirer en Espagne. Mais sur ces entrefaites [9 avril], survenait le général Grouchy avec des ordres de Napoléon; la capitulation fut annulée, et le prince fut arrêté.

Sa détention dura six jours, et fut entourée de précau

' Le 10° régiment et le 1o régiment étranger restèrent seuls fidèles à leur drapeau.

tions menaçantes. On craignit même une résolution fatale, et c'est alors que le prince écrivit à Louis XVIII une noble lettre : « Me voici résigné à tout, disait-il, et je suis bien occupé de ceux qui me sont chers. Je demande et j'exige même que le roi ne cède sur rien pour me délivrer. Je ne crains ni la mort ni la prison, et tout ce que Dieu m'enverra sera bien reçu. » Jamais le prince n'avait été plus serein. Il en est ainsi de cette race, qui, après avoir été grande dans la bonne fortune, a fini par l'être plus encore dans l'adversité.

Néanmoins, tout se borna à des menaces, et l'ordre vint de laisser partir le duc d'Angoulême, qui s'embarqua à Cette avec ses aides de camp, et se retira à Barcelonne. Ses volontaires. en s'éloignant, avaient été en butte aux colères déjà allumées dans le peuple; plusieurs allèrent se réunir sur la frontière, et leur drapeau ne cessa point de flotter sur les montagnes du Roussillon.

TOM. .

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CHAPITRE III.

La France obéissante. L'Europe s'allume. — Murat fait irruption sur les États du Pape. — Traité de Vienne; un million d'hommes sous les armes. Napoléon déchaîne la Révolution.

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Les fédérés. - Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire. Organisation des corps francs. Louis XVIII à Gand; il parle à la Nation.Rapport de Châteaubriand au roi. Rapport de Carnot au roi. Double effet sur les opinions. Insurrection dans la Vendée. Napoléon au champ de mai; scènes théâtrales. — Votes populaires d'adhésion à l'acte additionnel. —Nouveau langage de NaGuerre universelle. poléon. Scènes atroces à Naples contre les Français. Mort de Berthier. Ouverture de la session; discours de Napoléon; changement de système. Acte final du congrès de Vienne. - Forces de Napoléon contre l'Europe. Il marche à la rencontre des armées coalisées. · Le général Bourmont quitte sa division. — Premières attaques et premiers succès. Bataille de Waterloo. Récits de la bataille. Lutte gigantesque. Catastrophe et désastre. - Napoléon voit l'abîme. Il court à Paris. Emotions contraires. Scènes politiques à la chambre des représentants. Motion de Lafayette. Le mot d'abdication est prononcé. Colère de Napoléon. - Il abdique.-Nouvelles scènes de tribune. Commission exécutive de gouvernement. Événements dans la Vendée. Pacification. Députation aux souverains; la Révolution acceptera tout excepté les Bourbons.-Le roi parle aux Français.-Napoléon part pour Rochefort; il n'y a plus d'armée. Déclaration de l'assemblée des représentants. - Derniers efforts de résistance militaire. L'assemblée écrit une Constitution. La chambre des séances est fermée. Le roi rentre à Paris. Fin des Cent-Jours.

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Toute la France était donc obéissante, et alors on vit le Conseil d'État, qui venait d'être précipitamment organisé, porter une déclaration par laquelle il relevait Napoléon de sa déchéance, annulait son abdication et réhabilitait ses droits à l'Empire. Il n'allait rester contre la soumission générale que la protestation redoutable de la Vendée et de la Bretagne, c'est-à-dire un essai nouveau

de guerre civile, défense extrême et d'ordinaire inutile de la liberté.

Mais déjà l'Europe s'allumait. Murat, que les événements de 1814 avaient laissé sur le trône de Naples, mais qui se sentait menacé, soit par les dispositions du congrès de Vienne, soit par les vues particulières du cabinet de Louis XVIII, avait d'avance fait des apprêts de guerre et d'indépendance; il avait annoncé le dessein d'envoyer une armée contre la France, et il avait demandé à l'Autriche le passage par la moyenne et la haute Italie. Telles étaient ses préméditations d'aventure, lorsque l'apparition de Napoléon, qu'il avait délaissé dans ses désastres, vint exalter sa colère. Dès le 28 mars, il faisait irruption dans les États du Pape, s'emparait de Terracine, entrait à Bologne, surprenait les Autrichiens par une attaque imprévue, et datait de Rimini une proclamation par laquelle il appelait l'Italie à la liberté. Ainsi devançait-il les desseins de l'Europe par une provocation qui était une violation du droit public de tous les peuples: la guerre ainsi faite ressemblait à une entreprise de révolution désordonnée.

Murat, à la tête de cinquante mille Napolitains, pensa dominer tous les événements. Il eut d'abord quelques succès. Le Pape s'enfuit devant ses troupes, maîtresses de Rome. Modène tomba en son pouvoir; mais bientôt les Autrichiens arrêtèrent ses entreprises par des combats réglés, et la fortune étrange de ce roi d'un jour ne tarda . pas à s'achever par des catastrophes.

Le congrès de Vienne suivait la marche indiquée par sa première déclaration. Un traité passé le 25 mars entre l'Autriche, la Grande-Bretagne, la Prusse et la Russie, confirma les principes posés à Chaumont le 1" mars 1814. Il avait pour objet de préserver de toute atteinte l'ordre de choses rétabli en Europe par le traité du 30 mai, ainsi que les stipulations arrêtées au congrès de Vienne, en vue de compléter les dispositions de ce dernier traité, et particulièrement de les garantir contre les desseins de Napoléon Bonaparte. A cet effet, les parties contractantes s'engageaient à diriger, dans le sens de la déclaration du 13 mars, tous

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