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Le but et la nature de cet acte diplomatique méritent d'être expliqués; c'est sur le memorandum du 14 novembre qu'ont roulé les négociations ultérieures jusqu'à la conclusion de la paix définitive. Nous verrons aussi plus tard que le traité de garantie du 15 avril 1856, lequel à bon droit attire à un si haut degré l'attention de l'Europe, se trouve formellement stipulé et arrêté dans ledit memorandum.

On se rappelle que, lorsqu'il s'était agi de déterminer l'application de la troisième garantie pendant les conférences de Vienne, la France et l'Angleterre en avaient consigné les principales dispositions dans un libellé signé à Londres, le 30 mars 1855. Le cabinet français, prêtant la main à une reprise des négociations avec la Russie, voulait éviter à tout prix que les nouvelles négociations n'aboutissent à des résultats aussi stériles que ceux de la conférence de Vienne. D'autant plus que le ministère anglais, en présence des gigantesques préparatifs qu'il avait ordonnés pour continuer la guerre et de la responsabilité qu'il avait assumée par là vis-à-vis du parlement, ne pouvait que très-difficilement se familiariser avec des propositions de paix, quelles qu'elles fussent.

Pour vaincre la répugnance du cabinet britannique, il fallait constater par des engagements solennels que l'Autriche ne prenait l'initiative des nouvelles négociations dans aucun autre but que celui d'intimer à la Russie sa ferme résolution de signer l'alliance offensive avec la France et l'Angleterre, si la cour de Pétersbourg

ne profitait pas de la suspension des hostilités pendant la saison d'hiver pour rendre la paix à l'Europe.

C'est ici le lieu de faire observer que quand M. Drouyn de Lhuys et lord John Russell se chargèrent de recommander à l'adoption de leurs gouver nements respectifs les propositions autrichiennes du mois d'avril 1855, le comte Buol avait pris, au nom de l'empereur François-Joseph, l'engagement positif du moment où la cour de Pétersbourg aurait rejeté ces propositions, l'Autriche signerait immédiatement la convention militaire avec les puissances occidentales pour entrer, au jour nommé, en campagne contre la Russie. C'était formuler on ne peut plus nettement le casus belli.

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Le cabinet impérial autrichien ne pouvait après coup s'attribuer ni directement ni indirectement le rôle de médiateur entre les puissances belligérantes. Il devait apporter son adhésion formelle et son concours actif au système des alliés, en s'engageant à rompre sur-le-champ ses relations diplomatiques avec la cour de Pétersbourg si, dans un délai de trois semaines, à dater de leur remise aux mains du comte de Nesselrode, la Russie n'avait sans réserve accepté les propositions de paix formulées par l'Autriche, de concert avec la France et l'Angleterre. Tel était le but du memorandum proposé le 14 novembre dernier par le comte Buol et le baron de Bourqueney. Le memorandum renfermait donc les résultats acquis à l'entente pratique de l'Autriche et des puissances occidentales sur toutes les questions de

principe relatives au règlement de la paix. Le texte de l'ultimatum présenté à l'acceptation de la Russie par le comte Valentin Esterhazy au commencement de l'année courante, est emprunté littéralement au memorandum du 14 novembre. C'est ce qui explique pourquoi le cabinet de Vienne ne pouvait y admettre aucune modification ou altération, obligé qu'il était, soit de produire l'acceptation pure et simple de la Russie, soit de cesser à l'instant tout rapport officiel avec celle-ci, dans le but de délibérer sans retard avec la France et la Grande-Bretagne sur les moyens efficaces d'obtenir l'objet de leur alliance.

En d'autres termes, suivant la détermination à laquelle s'arrêterait la cour de Pétersbourg, le memorandum du 14 novembre 1855 assurait aux puissances occidentales une paix honorable ou le concours d'un puissant allié, afin de poursuivre avec une énergie redoublée la guerre contre la Russie.

Il paraîtra peut-être étrange que des engagements d'une si haute portée aient été consignés dans un simple memorandum, dont le caractère confidentiel s'approprie peu à des obligations bilatérales.

Ne perdons pas de vue que le ministère anglais ne pouvait, à la veille de la réouverture du parlement, offrir le singulier contraste de travailler d'une main au rétablissement de la paix, pendant que, de l'autre, il poussait avec toute la vigueur imaginable les préparatifs de la prochaine campagne dans la mer Baltique. Bien que lord Clarendon eût autorisé le représentant de la Grande

Bretagne à Vienne à suivre pas à pas les négociations entamées entre le comte Buol et le baron de Bourqueney, le cabinet britannique témoigna le désir de rester en dehors de la négociation officielle proprement dite, afin de mieux sauvegarder sa propre responsabilité en face du parlement, pour le cas possible où les efforts réunis de l'Autriche et de la France ne seraient point couronnés de succès. Sous l'empire de ces circonstances, il devenait utile et prudent de conserver à la négociation, autant que possible, un caractère secret et confidentiel, lequel enlevait au surplus à la diplomatie russe la possibilité de pénétrer et de déjouer l'entente des alliés du 2 décembre.

De même que le libellé du 30 mars 1855 n'était intervenu qu'entre la France et l'Angleterre, le memorandum du 14 novembre 1855, par les motifs que nous venons d'indiquer, ne fut parafé que par l'Autriche et la France, sans pour cela devenir moins la pierre angulaire du nouvel édifice de la paix.

V.

CONSÉQUENCES PRATIQUES DU SYSTÈME DE NEUTRALITÉ APPLIQUÉ

A LA MER NOIRE.

NICOLAÏEFF.

FORTS RUSSES SUR LA CÔTE ORIENTALE DE LA MER NOIRE.

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