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libertés de la ville. Il eut même soin de faire connaître aux puissances étrangères, comme l'atteste une déclaration du roi de France Charles VIII (1), que la ville de Genève ne dépendait en aucune manière des ducs de Savoie. C'était un homme d'un caractère fier, courageux, passionné pour la guerre, quoiqu'il y fût malheureux. Il aimait un peu trop les femmes; il était libéral, vindicatif contre ceux qui l'avaient offensé sans raison, mais il pardonnait facilement quand il avait quelque tort. Sa mort, qui arriva à Turin, en 1 482, donna lieu à de grandes contestations entre le peuple, le chapitre et le pape, pour la nomination de son successeur à l'évêché de Genève. Le peuple avait choisi François de Savoie, archevêque d'Aux, frère du défunt; le chapitre, Urbain de Chivron ; mais Sixte IV, qui ne voulait ni l'un ni l'autre, nomma son neveu le cardinal Dominique de la Rovère. Ce dernier, pensant qu'il lui serait difficile de conserver l'évêché, malgré le peuple et les chanoines, l'échangea contre celui de Turin avec Jean de Compois. Mais Chivron n'était pas d'humeur à céder à Compois. Ils plaidèrent ensemble à Rome, et Chivron perdit sa cause. Il en fut très-irrité et céda ses droits à François de Savoie qui, étant parvenu à faire accorder ses deux compétiteurs, demeura seul en possession de l'évêché de Genève, qu'il administra pendant quatre ans, et mourut à Turin, le 3 octobre 1490.

Il y eut encore des troubles dans la ville à l'occasion du successeur de François de Savoie. Le chapitre, d'accord avec le peuple, avait élu Charles de Seyssel; mais le pape n'approuva pas l'élection, et nomma Antoine Champion, chancelier du duc. Avec l'aide de Philippe de Savoie, seigneur de Bresse, Champion vint prendre, de gré ou de force, possession de

(1) Spon, t. III, p. 33.

LITTERE REGIS FRANCIE, etc.

l'évêché de Genève. Les partisans de Seyssel firent de la résistance, il y eut une rencontre des deux partis au pont de Chancy; il y eut même du sang versé ; mais enfin Champion gagna la bataille, et resta seul maître de l'évêché qu'il administra pendant quatre ans jusqu'à sa mort qui arriva en 1495. On élut pour son successeur Philippe de Savoie, fils du seigneur de Bresse. Le nouvel évêque n'avait que sept ans. Le pape Alexandre VI confirma son élection, et lui donna pour administrateur Amé de Monfalcon, évêque de Lausanne. Philippe devint avec l'âge, comme son oncle Jean Louis, plus propre aux armes qu'à l'Église. Pendant la vie de son père et de son frère Philibert qui furent tous les deux ducs de Savoie, il portait l'habit ecclésiastique; mais après leur mort, il s'empressa de le quitter, n'ayant pas la même réserve envers le duc Charles son frère, avec lequel il était familier. Mais, s'il quitta l'habit d'évêque, il en garda le revenu. L'on disait ordinairement de lui et de son frère Charles, que l'un aurait dû être duc, et l'autre évêque.

Or ce Philippe de Savoie, qui n'avait guère d'un évêque que le titre et le revenu, finit par se lasser d'une profession qui jurait trop avec ses goûts; il échangea la crosse et la mitre contre la cape et l'épée, et résilia son évêché en faveur de Charles de Seyssel qui l'avait occupé dix-sept ans auparavant, et qui en avait été dépossédé, comme nous l'avons vu, par Antoine Champion. Après avoir été fait comte de Génevois par son frère il alla en France au service de François Ier. Il devint duc de Nemours, épousa, en 1528, Charlotte de Longueville, et mourut à Marseille (1). Pendant sa longue minorité épiscopale,

(1) Philippe de Savoie acquit en France, comme guerrier, une réputation brillante. Qui n'a pas vu M. de Nemours dans ses belles années, dit Brantôme, n'a rien vu, et qui l'a vu peut le baptiser partout la fleur de la chevalerie

comme on pourrait l'appeler, les ducs de Savoie habitèrent souvent Genève où ils étaient tout-puissants. Ils n'osèrent pourtant pas toucher ouvertement à la juridiction temporelle de l'évêque, ni aux franchises et libertés de la ville. Le duc Philibert montra même dans une occasion qu'il respectait ces immunités. C'était en 1522. Les syndics tenaient en prison au château de L'Isle, un malfaiteur appelé Cotton, convaincu par des preuves et informations suffisantes, d'un crime qui méritait la mort. Comme, d'après la coutume, on ne pouvait condamner à mort un accusé, s'il ne confessait son crime, on le mit à la question; mais quelque tourment qu'il souffrit, Cotton s'obstina à ne faire aucun aveu. A la fin, un Piémontais dit aux magistrats que dans son pays on donnait une question nommée la serviette, qui consistait à enfoncer une serviette avec de l'eau dans le gosier du malfaiteur jusqu'à l'estomac, puis à la retirer tout d'un coup. Les syndics furent assez simples pour essayer ce nouveau genre de torture; mais à leur grande surprise, le criminel ne put l'endurer et mourut subitement. Cet événement fit du bruit dans le conseil et dans la ville, et les bons citoyens craignirent qu'il ne donnât occasion à leurs ennemis de les inquiéter. Leur crainte n'était que trop fondée. En effet, plusieurs personnes de la cour du duc de Savoie, qui voyaient d'un oeil envieux l'indépendance de Genève, représentèrent à ce prince, comme un crime, la malheureuse imprudence des syndics, l'incitant à les en punir, et cherchant à lui persuader que, s'ils n'étaient pas assez coupables pour mériter une peine corporelle, ils devaient, pour le moins, perdre leur juridiction qu'il pouvait s'approprier. Le duc remit l'affaire à son conseil fiscal. La ville députa à Chambéry pour défendre ses droits les deux syndics Bonna et Pierre Lévrier, et le vicaire de l'évêque, de son côté, l'official Amblard Goyet, qui représentèrent au prince qu'il n'appartenait ni à lui ni à son conseil de connaître de cette affaire. Le duc

répondit qu'il fallait la soumettre à des arbitres, et il choisit quelques-uns de ses conseillers qui jurèrent, avec les autres arbitres nommés par les députés génevois, de porter un jugement sans prévention de haine ou d'inclination, en tout conforme à la justice et à la vérité. Les titres de côté et d'autre furent soigneusement produits et examinés, et le droit fut adjugé à ceux de Genève, les arbitres ayant déclaré d'un commun accord au duc qu'il n'avait ni juridiction ni autorité sur la ville.

Le duc Philibert ayant entendu le jugement des arbitres, prononça les paroles suivantes : « On m'avait donné à enten» dre autrement; mais, puisqu'il est ainsi que vous m'avez dit, >> je fais vœu à Dieu et à saint Pierre de n'en faire plus de » querelles; et touchant cette cause particulière, je reconnais » et avoue que le jugement en appartient à l'évêque mon » frère, et non pas à moi : ainsi je le remets tout à lui, quand >> il sera venu en åge pour en juger. » C'est ainsi que Philibert reconnut solennellement les priviléges des Génevois. Malheureusement pour eux, il ne régna pas longtemps; car, le 40 septembre de l'an 1504, il mourut à la fleur de son âge. Ils le regrettèrent d'autant plus que Charles III, son frère et son successeur, fut loin de respecter comme lui les libertés et les franchises de leur ville.

CHAPITRE III. (1504 ▲ 1519).

Le duc Charles III et l'évêque Jean de Savoie s'entendent pour opprimer Genève.

· Pécolat se coupe la langue. La patriotes génevois. thelier. Première alliance de Fribourg.

Bonnivard et BerLes Eidgnots et les Mamelus.

Le duc Charles demeura quatre ans sans venir à Genève, quoiqu'il feignît souvent de s'y préparer; ce qui fut pour la ville une cause de dépenses considérables. Ses officiers y commettaient mille infractions aux priviléges et aux franchises des citoyens; tous les jours, on lui en portait des plaintes, mais il n'en tenait aucun compte.

Il avait eu quelques démêlés avec les habitants du Valais, et il demanda du secours aux Génevois qui lui envoyèrent deux cents hommes sous le commandement du capitaine Burdignin; mais il leur demanda en outre six pièces d'artillerie qu'ils lui refusèrent, en lui remontrant que c'était tout ce qu'ils en avaient, et que ces six canons étaient nécessaires à la défense de la ville. Rollet Nicolas, qui était du petit conseil et partisan du duc Charles, lui fit connaître que ceux qui avaient opiné pour ce refus étaient Pierre Tacon, Lévrier, de Fonte et quelques autres. Il n'en fallut pas davantage pour que ce prince jurât de les perdre; et comme les trois premiers, pour se mettre à l'abri de son ressentiment et pouvoir vivre à Ge

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