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deux partis, s'enjuriant, se chansonnant et se donnant des surnoms. C'est ainsi que les partisans du duc appelaient Eidgnots, de l'allemand eidgnossen (confédérés, alliés par serment), ceux qui avaient accepté la combourgeoisie de Fribourg, surnom qu'ils ne prenaient pas à injure, mais à honneur, et qui étaient celui que s'étaient donné les Suisses, qui se prêtèrent un mutuel secours contre la tyrannie des nobles de leur pays. Les enfants de la ville allaient criant dans les rues :Vivent les Eidgnots ! Le signe des partisans de l'alliance était une croix marquée sur leur pourpoint. Ils appelaient ceux du parti ducal Mamelus, du nom des soldats esclaves du soudan d'Egypte, qui avaient abjuré le christianisme et renoncé à la liberté pour soutenir les tyrans. Telle fut l'origine des deux factions qui troublèrent si longtemps Genève.

Les princes de Savoie envoyèrent des députés à Fribourg, pour empêcher qu'on donnât suite au projet d'alliance avec Genève. On répondit à leurs députés que les Génevois se disaient francs et libres; que les Fribourgeois ne devaient traiter avec eux qu'à la condition de ne faire aucun tort à l'évêque de Genève, quoique, n'ayant aucune alliance avec lui, ils eussent le droit d'agirà son égard comme ils l'entendraient; que sur ce qui regardait le duc, leur allié, ils comptaient bien lui réserver ses droits dans le traité qui ne serait pas conclu, s'il leur montrait que la ville lui était sujette.

Les députés des princes n'ayant pas obtenu à Fribourg toute la satisfaction que souhaitaient leurs maîtres, vinrent à Genève pour tâcher, par caresses ou par menaces, de détourner les citoyens de ce projet d'alliance; mais voyant qu'ils perdaient leur peine, ils quittèrent la partie.

Cependant Berthelier, dont le procès était suspendu, avait plusieurs fois demandé aux syndics une sentence définitive; et les seigneurs de Fribourg leur avaient envoyé, de leur côté, députations sur députations pour solliciter en faveur de leur

combourgeois la réparation qui lui était due. Les syndics voulant éviter, autant que possible, qu'on pût leur reprocher d'avoir procédé au jugement de Berthelier, malgré les défenses de l'évêque, en demandèrent l'autorisation au conseil général, qui fut assemblé à cet effet, le 19 janvier 4519. Berthelier s'y présenta et demanda instamment qu'on lui rendit enfin justice. L'assemblée ayant accueilli sa demande, le conseil ordinaire, en conséquence de l'ordre du conseil général, fit citer le vidomne et le procureur fiscal à comparaître devant lui, le vingt-quatrième du mois, pour présenter leurs moyens d'accusation contre Berthelier. Ni l'un ni l'autre n'ayant comparu, quoique la citation portât « commination de procéder tant en absence qu'en présence, » le conseil après mûr examen, prononça une sentence définitive d'absolution, que le premier syndic, Claude Monthyon, lut publiquement du haut de son tribunal. « Attendu que, dirent les >> magistrats dans la sentence, touchant le crime de lèse» majesté, ayant examiné les informations sur lesquelles >> Berthelier était accusé, ils n'avaient trouvé aucune preuve » suffisante, ils l'absolvaient et le reconnaissaient innocent » de ce crime; mais touchant les excès qu'il avait commis, » comme batteries et émeutes, ils le condamnaient à une >> amende pécuniaire, suivant la teneur des statuts.»>

C'est ainsi que, par jugement des syndics et conseil de la ville, l'innocence de Berthelier fut publiquement reconnue. Les princes de Savoie ne respectèrent point la vérité de la chose jugée, et nous verrons bientôt la terrible vengeance qu'ils tirèrent de l'homme qu'ils regardaient comme le plus dangereux de leurs ennemis.

CHAPITRE IV. (1519 A 1523.)

Traité d'alliance entre Genève et Fribourg. Charles III entre dans Genève avec une armée de 10,000 hommes. Oppression des habitants. Supplice de Persécution des patriotes. Mort de l'évêque Jean de Savoie.

Berthelier.

Comme dans l'assemblée du conseil général, tenue le 22 décembre 1518, rien n'avait été conclu touchant le projet d'alliance entre Fribourg et Genève, Besançon Hugues continua d'agir auprès de ses concitoyens, et redoubla d'efforts pour amener à son opinion ceux qui étaient le plus opposés à cette alliance. L'abbé de Bonmont et Bonnivard l'aidèrent puissamment dans son œuvre de propagande. Lorsque le succès lui parut assuré à Genève, il retourna, sous le prétexte d'affaires particulières, à Fribourg, et fit si bien auprès des bourgeois de ce canton, qu'il en rapporta une lettre signée. de l'Avoyer et du conseil. L'assemblée générale pour l'élection des syndics étant convoquée le dimanche 6 février (1549), Hugues ne laissa pas échapper une aussi bonne occasion de montrer cette lettre à tout le peuple. Elle contenait trois choses «1° que, si toute la communauté de Genève voulait contracter une alliance avec les seigneurs de Fribourg, ces seigneurs aussi la voulaient bien contracter avec la communauté de Genève; 2° qu'ils voulaient la faire, sans préjudicier,

d'un côté, aux droits de l'évêque et prince de Genève, et de l'autre, aux libertés et franchises des citoyens, qu'ils s'engageaient, au contraire, à maintenir de tout leur pouvoir ; 3° enfin que l'une des parties contractantes ne serait point tenue de payer de tribut à l'autre.» (1) Cette proposition plut si fort à toute l'assemblée, que la majorité fut d'avis de l'accepter sur le champ par acclamation. Toutefois, les citoyens, amis du bon ordre, ayant représenté qu'une affaire aussi importante ne devait pas être décidée tumultuairement, mais qu'il fallait que chacun donnât séparément son suffrage, à l'oreille du secrétaire, sur le refus ou l'acceptation de l'alliance, en même temps qu'on procéderait à l'élection des syndics, cet avis prévalut, et l'alliance fut acceptée d'une voix à peu près unanime, comme l'avaient proposé les seigneurs de Fribourg. Le conseil ordinaire fut chargé en même temps de leur répondre qu'on acceptait volontiers leur proposition.

Quelques jours auparavant, le 30 janvier, Gabriel de Laudes et le sieur de Baleyson, envoyés du duc de Savoie, avaient cherché, devant le conseil général, à détourner les citoyens de l'alliance de Fribourg, par toutes sortes d'insinuations et d'assurances, que leur maître n'avait rien de plus à cœur que de maintenir les franchises et les libertés de Genève; mais leurs menées n'ayant pas réussi, grande fut leur irritation. Ils réunirent les Mamelus et les animèrent tellement contre les Eidgnots, qu'un certain nombre des plus apparents osèrent se présenter au conseil général pour protester contre l'alliance. Mais il y eut si peu d'opposants, que les envoyés de Savoie, désespérant de faire triompher leur cause, s'en

(1) Ce dernier article avait pour objet la liberté du commerce entre les deux villes. Fribourg avait à Genève un entrepôt de ses denrées; elle était donc plus directement intéressée à cette liberté que sa nouvelle alliée.

allèrent de Genève. Le duc toutefois n'abandonna pas la partie. Il fit offrir des avantages considérables aux promoteurs de l'alliance, entr'autres, à Bonnivard et à Berthelier, s'ils voulaient y renoncer; mais ils furent inébranlables. Ses émissaires ne réussirent pas mieux auprès des seigneurs de Fribourg, en les sollicitant de rétracter la parole qu'ils avaient donnée. L'insuccès des tentatives du duc de Savoie fut cause qu'il se plaignit aux autres Cantons, accusant les Fribourgeois de contrevenir aux alliances qu'il avait avec la Confédération suisse, en donnant la bourgeoisie aux habitants d'une ville enclavée dans ses états, non-seulement sans la participation, mais même contre la volonté de l'évêque que les Génevois reconnaissaient pour leur prince.

Ces plaintes firent quelque impression sur les Bernois, qui envoyèrent prier la seigneurie de Fribourg de se départir de l'alliance avec Genève. Elle répondit qu'elle ne s'en départirait jamais, à moins que cette ville n'y consentit. Les deux Cantons convinrent alors d'envoyer chacun un député à Genève. Ces deux députés y arrivèrent, le 1er mars (1519), et se présentèrent au conseil général qui leur donna audience. Fabri, l'envoyé de Fribourg, dit à l'assemblée, que, si la communauté de Genève voulait renoncer à l'alliance, ses supérieurs y renonceraient aussi ; mais que si elle ne le voulait pas, les seigneurs de Fribourg tiendraient leur parole, et défendraient la ville en cas de besoin.

D'Erlach parla ensuite au nom des seigneurs de Berne. Après avoir informé l'assemblée des oppositions du duc de Savoie à l'alliance de Fribourg, il déclara que la ville de Genéve étant sujette de ce prince, les seigneurs de Berne, ses supérieurs, ne pourraient, d'après leurs engagements, se dispenser de le soutenir; qu'il exhortait donc les citoyens à rompre de bonne grâce une alliance qu'ils n'avaient pas le droit de faire.

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