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être annulé indépendamment de toute complicité du donataire.

S'agit-il d'un acte à titre onéreux; alors le tiers qui a contracté avec le débiteur cherche, en luttant contre la rescision, à éviter une perte, comme les créanciers en luttant pour la rescision: utrique certant de damno vitando. Si donc il est de bonne foi, il n'y a aucun motif de sacrifier ses intérêts à ceux des créanciers, et l'acte doit être maintenu. Mais s'il est de mauvaise foi et qu'il ait été complice de la fraude du débiteur, alors on doit lui préférer les créanciers qui n'ont rien à se reprocher. Cette décision était unanimement adoptée en droit romain et dans l'ancien droit français, et rien ne donne à penser que le Code l'ait changée. Précisonsla par un exemple. Le débiteur a vendu un immeuble dans le but de cacher ou de dissiper l'argent qu'il en retirerait. Si l'acheteur a ignoré cette intention frauduleuse, l'acte sera maintenu; si, au contraire, il l'a connue, la vente sera rescindée, et rien n'est plus juste.

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Des actes SUJETS A RESCISION. En droit romain, les créanciers pouvaient faire rescinder les actes par lesquels leur débiteur s'était appauvri, et non ceux par lesquels il avait manqué de s'enrichir. Ainsi, lorsque le débiteur donnait ou vendait un de ses biens en fraude de ses créanciers, l'acte tombait sous le coup de l'action Paulienne. Mais lorsqu'il refusait une donation ou une succession à lui échue, l'acte était à l'abri de toute critique de la part des créanciers. La raison de cette théorie était que les créanciers avaient dù compter sur les biens sortant du patrimoine de leur débiteur, et qu'au contraire ils n'avaient pas dû compter sur les biens qui manquaient d'y entrer. Le droit français a modifié, ou paraît tout au moins avoir modifié en un point la doctrine du droit romain. Aujourd'hui, en effet, les créanciers peuvent attaquer la renonciation que leur débiteur fait à une succession au préjudice de leurs droits (art. 788), tandis qu'à Rome ils ne le pouvaient point. Faut-il conclure de cette innovation à

pas

un véritable changement de système? Je ne le pense pas; et l'exception du Code me semble plus apparente que réelle. Chez nous, en effet, l'héritier devient de plein droit propriétaire de la succession, et, quand il y renonce, il ne manque pas précisément d'acquérir, il s'appauvrit réellement; tandis que, en droit romain, où l'adition était nécessaire pour acquérir les successions, l'héritier renonçant ne diminuait son patrimoine, mais manquait seulement de l'augmenter. Comme il n'existe chez nous aucune raison d'étendre aux donations offertes au débiteur et par lui refusées la théorie admise par l'article 788 en matière de successions, l'on doit encore appliquer la théorie romaine, à laquelle il n'a pas été expressément dérogé, et dire que les créanciers ne peuvent pas faire rescinder les actes par lesquels leur débiteur a manqué de s'enrichir.

Reste maintenant à savoir si la renonciation du débiteur, soit à une succession (art. 788), soit à un droit d'usufruit (art. 622), soit à la jouissance de biens grevés de substitution (art. 1053), ne peut être attaquée par les créanciers que sous la double condition de la fraude et du préjudice, ou peut l'être sous la seule condition du préjudice. La raison de douter vient de ce que les articles précités supposent le préjudice, sans parler de la fraude. Quelques auteurs, les prenant au pied de la lettre, soutiennent que les créanciers ont seulement à prouver le préjudice pour attaquer ces divers actes de renonciation; mais il est difficile d'admettre un pareil système en présence de l'art. 1464, aux termes duquel les créanciers de la femme qui renonce à la communauté ne peuvent critiquer cette renonciation qu'à la double condition de prouver la fraude et le préjudice. La renonciation à un usufruit ou à une succession est, en tout point, identique à la renonciation à une communauté, et puisque la dernière ne peut être attaquée si elle n'est pas frauduleuse, la première ne doit pareillement pouvoir être attaquée que si elle est frauduleuse. Mais alors pourquoi le Code ne suppose-t-il pas, dans les articles

TOME II.

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précités, la fraude en même temps que le préjudice? La raison en est que les conditions auxquelles devait être plus tard subordonné l'exercice de l'action Paulienne n'étaient pas encore arrêtées, et que les rédacteurs ne voulaient pas préjuger la question de fraude avant d'avoir posé les principes généraux de cette action. Mais puisque ces principes sont aujour d'hui les mêmes qu'en droit romain, et que la fraude doit toujours concourir avec le préjudice, pour que l'action rescisoire soit ouverte au profit des créanciers, il faut étendre cette théorie générale aux cas particuliers ci-dessus, et décider que les renonciations dont il s'agit ne tomberont que devant la double preuve de la fraude et du préjudice.

QUI PEUT intenter L'ACTION PAULIENNE. L'action Paulienne peut être intentée par tous les créanciers antérieurs à l'acte préjudiciable et frauduleux; mais elle ne peut jamais l'être par les créanciers postérieurs 1. En effet, les premiers ont dû, et les seconds n'ont pas dù compter sur les biens dont le débiteur s'est dépouillé; puis comment concevoir qu'un acte ait pu être fait en fraude de personnes qui n'étaient pas encore créancières?

CONTRE QUI peut être intentée L'ACTION PAULIENNE. - L'action Paulienne peut être intentée, comme nous l'avons dit, contre tous les acquéreurs à titre gratuit, sans distinction, et contre les acquéreurs à titre onéreux, qui ont participé à la fraude du débiteur. Les successeurs universels ou à titre universel de ces acquéreurs seraient évidemment, comme eux, passibles de l'action des créanciers. Mais cette action pourrat-elle atteindre les successeurs à titre particulier desdits acquéreurs, par exemple les acheteurs, les coéchangistes, les donataires, etc., qui ont acquis en sous-ordre les biens frauduleusement aliénés? On doit, sans aucun doute, leur appliquer la même distinction qu'aux acquéreurs immédiats. Ainsi, l'action Paulienne les atteindra dans le cas où ils seront,

1 Aubry et Rau, t. III, § 313, p. 16. Cass., 2 mai 1855.

soit des acquéreurs à titre gratuit, soit des acquéreurs à titre onéreux complices de la fraude de leur auteur. Dans le cas contraire, elle ne pourra les atteindre, et l'acte sera maintenu.

DURÉE de l'action Paulienne. L'action Paulienne n'est pas soumise à la prescription de dix ans établie par l'art. 1304, car cet article n'a en vue que la nullité ou la rescision des contrats affectés d'un vice intrinsèque, tel que l'erreur, la violence, le dol ou la lésion, vices dont le débiteur peut tout le premier se prévaloir, et il est étranger aux actes faits par un débiteur en fraude de ses créanciers, actes parfaitement obligatoires pour ce débiteur qui n'a aucun moyen personnel de les attaquer, et nuls, seulement au regard de ses créanciers qui ne doivent pas souffrir de la fraude pratiquée contre leurs légitimes intérêts. L'action Paulienne durera done trente ans, délai ordinaire de la prescription 1.

DES EFFETS de L'ACTION PAULIENNE. -L'action Paulienne a pour effet de réintégrer dans le patrimoine du débiteur des biens qu'il avait aliénés en fraude de ses créanciers. Mais comme toute action doit seulement profiter à ceux qui pouvaient l'intenter, les biens ainsi recouvrés serviront au payement des créanciers antérieurs, mais non à celui des créanciers postérieurs à l'acte frauduleux. Par rapport à ces derniers, les biens ne sont pas censés rentrés dans le patrimoine du débiteur. Conséquemment, si le prix provenant de la vente desdits biens en justice est plus que suffisant pour désintéresser les créanciers antérieurs, l'excédant retournera aux tiers détenteurs.

Quelques auteurs ont contesté ces solutions, en se fondant sur ce que tous les créanciers ont un droit égal au prix provenant de la vente des biens de leur débiteur, à moins qu'il n'y ait entre eux des causes légitimes de préférence (art. 2093). Or, disent-ils, le Code n'a établi aucune cause de préférence au profit des créanciers antérieurs à l'acte frauduleux par rap

1 Marcadé, art. 1167, n° 7. Capmas, no 79.

Cass., 9 janv. 1865.

port aux créanciers postérieurs, et, en conséquence, ils doivent subir le concours de ces derniers. La réponse à cette objection est facile. Les biens recouvrés par l'exercice de l'action Paulienne ne rentrent dans le patrimoine du débiteur que relativement aux créanciers antérieurs à l'acte frauduleux; et, à vrai dire, ce n'est pas un gage commun à tous les créanciers qui est vendu, mais un gage spécial aux créanciers qui avaient pu compter sur les biens aliénés par le débiteur en fraude de leurs droits et recouvrés par l'exercice de l'action Paulienne. Les créanciers postérieurs ne sont donc pas recevables à invoquer des principes qui supposent la vente d'un gage commun à tous les créanciers 1.

L'art. 1167 2o renvoie à des titres spéciaux qui modifient plus ou moins l'exercice de l'action Paulienne. C'est ainsi que, dans les successions, les créanciers, n'ayant pas fait d'opposition, ne peuvent jamais attaquer le partage opéré en dehors de leur présence. Faisons seulement observer que notre article renvoie inutilement au titre du Contrat de mariage, car ce titre est en tout point conforme au droit commun.

§ 1.

CHAPITRE IV

DES DIVERSES ESPÈCES D'OBLIGATIONS.

PREMIÈRE SECTION

DES OBLIGATIONS CONDITIONNELLES.

De la condition en général et de ses diverses espèces.

ART. 1168. L'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas.

1 Sic, Aubry et Rau, t. III, § 313, n. 35 et 36. - Poitiers, 16 janvier 1862. Contrà, Marcadé, art. 1167, no Pont, Priv. et hyp., t. I, p. 11, no 18.

6.

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