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famille légitime, a voulu mettre un frein aux libéralités que les père et mère font souvent à leurs enfants naturels. Maintenant, de quelle manière se fait cette imputation? Doit-on, pour calculer la part héréditaire de l'enfant naturel, prendre pour base les biens du défunt la libéralité déduite, ou les biens du défunt la libéralité comprise ? Le résultat est différent, car plus la masse des biens est considérable, plus la part revenant à l'enfant naturel l'est elle-même. Il faut, je crois, comprendre la libéralité dans la masse héréditaire, pour calculer ce qui doit revenir à l'enfant naturel. En effet, lorsqu'il est en concours avec des enfants légitimes, il a droit au tiers de ce qu'il aurait eu s'il avait été lui-même légitime. Or, s'il eût été légitime, il eût d'abord rapporté les biens donnés, et le calcul eût été fait sur la masse ainsi constituée. La manière d'opérer devra donc être la même lorsqu'il s'agit d'un enfant naturel.

L'art. 760 in fine semble confondre les règles de l'imputation avec celles du rapport. Il existe cependant de grandes différences entre l'une et l'autre de ces deux opérations. Les choses sujettes à imputation sont, il est vrai, les mêmes que celles sujettes à rapport, mais le défunt ne peut dispenser l'enfant naturel de l'imputation (art. 966), tandis qu'il peut dispenser du rapport tout autre donataire. En outre, les donations faites au conjoint ou aux enfants du successible ne sont pas sujettes au rapport (art. 845 et 849); et, au contraire, elles seraient sujettes à imputation, car, aux termes de l'article 911, les libéralités faites aux ascendants, conjoints ou descendants d'un incapable en général, et d'un enfant naturel en particulier, sont réputées faites à l'incapable luimême.

Cas où l'enfant naturel ne peut RIEN prétendre dans la succession de ses père et mère. Le Code, voulant écarter toutes discussions d'intérêt entre la famille légitime et les enfants naturels, décide (art. 761) que ces enfants ne pourront rien prétendre dans la succession de leurs père et mère

naturels, lorsqu'ils auront reçu de leur vivant la moitié de la part qu'ils devaient recueillir dans leur succession, avec déclaration expresse du donateur que son intention est de réduire le donataire à la part qui lui est remise. Maintenant, est-ce là un moyen offert par la loi aux père et mère naturels d'exclure leurs enfants naturels de la succession, ou ces enfants ont-ils la faculté de répudier la donation qui contiendrait une clause d'exclusion? Ce dernier sens paraît être celui du Code. Effectivement, l'art. 761 suppose une donation reçue par l'enfant, et non une donation imposée par le père. Conséquemment, les enfants naturels pourront à leur choix, ou accepter la donation en perdant tout droit à l'hérédité, ou la rejeter en conservant leurs espérances de succession intactes 1. A vrai dire, les enfants naturels trouveront le plus souvent, dans une donation immédiate égale à la moitié de leur part héréditaire, l'équivalent de cette part elle-même; car ils pourront, du vivant de leurs père et mère, jeter les fondements d'une industrie ou d'un commerce qui fera leur fortune, et fréquemment ils accepteront une telle donation, quoique faite avec clause d'exclusion.

Au surplus, tout est en suspens jusqu'à la mort des père et mère naturels ; car, à cette époque seulement, il sera possible de savoir si la donation égale ou non la moitié de la part héréditaire revenant à l'enfant naturel.

Lorsque, en fait, la donation se trouve inférieure à cette moitié, l'enfant naturel peut intervenir au partage de la succession et réclamer un supplément. Mais quel supplément? En bonne logique, ce devrait être le supplément de sa part ab intestat tout entière, puisque l'enfant ne peut plus être écarté du partage. Le Code en a cependant décidé autrement, et il n'accorde à l'enfant que le supplément de la moitié de cette part, probablement parce que la jouissance anticipée de la donation lui a paru être une compensation suffisante.

1 Sic, Demante, t. III, n. 30 bis, I.- Demolombe, Succ., t. II, n. 105. Contrà Massé et Vergé, t. II, § 369, p. 278, note 2.

Cass., 31 août 1847.

En réalité, le législateur n'a pas atteint son but, car l'enfant peut toujours assister aux opérations d'inventaire, d'estimation, etc., qui suivent le décès de ses père et mère naturels, pour s'assurer qu'il a reçu la moitié de sa part héréditaire, de sorte qu'il se trouvera toujours ainsi en contact avec la famille légitime.

La donation reçue par l'enfant cesse d'avoir son effet exclusif lorsque la famille légitime du donateur ne lui a pas survécu, et, à moins de clause ou de testament contraires, cet enfant recueille alors toute l'hérédité, à l'encontre des autres successeurs irréguliers; ces derniers ne peuvent profiter d'une disposition uniquement introduite en faveur des héritiers légitimes.

Des droits des enfants ADULTERINS ou INCESTUEUX. Nous avons déjà dit que les enfants adultérins ou incestueux n'ont droit qu'à des aliments; en conséquence, toutes les libéralités qu'ils auraient reçues au delà de leur pension alimentaire

sont réductibles.

Nous ne reviendrons pas sur la manière dont peut se prouver la filiation adultérine ou incestueuse. Il nous suffit de renvoyer aux explications que nous avons déjà données sur ce point important dans notre tome Ier.

Il suffit

Le calcul des aliments se fait en prenant pour termes de comparaison, d'une part la consistance des biens à partager, et de l'autre les besoins de l'enfant adultérin ou incestueux. que l'un des deux termes fasse défaut pour que tout droitaux aliments disparaisse. Ainsi l'enfant ne peut rien réclamer, soit lorsqu'il a une fortune personnelle, soit lorsque ses père et mère lui ont déjà assuré des aliments, soit enfin lorsqu'ils lui ont fait apprendre un art mécanique (art. 764). Il est évident que la même décision doit être donnée dans le cas où l'enfant, au lieu d'avoir appris un art mécanique, a reçu une éducation libérale qui lui procure des moyens de subsistance.

DEUXIÈME ORDRE de successions irrégulières.

Il com

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prend les père et mère naturels de l'enfant mort sans postérité légitime, ou même naturelle, car, entre ascendants et descendants naturels, l'on doit conserver l'ordre de succession établi entre ascendants et descendants légitimes, et faire passer ceux-ci avant ceux-là. Lorsque les père et mère naturels ont tous les deux reconnu leur enfant commun, chacun prend la moitié de la succession. Dans le cas contraire, celui qui a reconnu l'enfant la prend tout entière.

Les père et mère naturels peuvent-ils succéder aux enfants de leur enfant naturel? Non; car l'art. 765 leur permet seulement de succéder à l'enfant naturel, et l'on ne peut établir par analogie des droits de succession. Conséquemment, le conjoint survivant et l'État primeront le grand-père et la grand'mère naturels 1.

Enfin, dans le cas où les père et mère succèdent ensemble à l'enfant naturel, celui des deux qui a fait une donation au de cujus pourrait-il, comme l'ascendant légitime, reprendre les biens par lui donnés qui se trouvent encore en nature dans la succession (art. 747)? Sur ce point encore le Code est muet; dès lors, il faut appliquer le principe que l'on ne recherche pas l'origine des biens pour en régler la dévolution, et, par suite, l'on ne doit pas admettre ici la succession anomale de l'ascendant donateur. On objecte à tort que les enfants légitimes du père naturel succèdent aux biens que l'auteur commun avait donnés à l'enfant naturel, et qui se retrouvent en nature dans sa succession (art. 766); car l'ouverture de ce droit particulier est subordonnée au prédécès des père et mère naturels 2.

Quant à la succession anomale des frères et sœurs légitimes du de cujus, nous renvoyons aux règles que nous avons exposées sur la succession anomale de l'ascendant donateur (art. 747). Faisons seulement observer que l'art. 766 ne l'ac

1 Caen, 9 juin, 1847. Cass., 5 mars 1849. 2 Aubry et Rau, t. V, § 608, p. 122.

et suiv.

Demolombe, Succ., t. I, n. 495

corde qu'aux frères et sœurs légitimes issus du même père et de la même mère que le de cujus, qu'il ne l'étend pas aux descendants des frères et sœurs légitimes, et enfin que le surplus des biens est dévolu par préférence aux frères et sœurs naturels, ou même, car les successions ne s'établissent point par analogie, au conjoint survivant et à l'État. La préférence des frères et sœurs naturels du défunt a sa raison d'être dans une communauté de malheur; celle de l'État a la sienne dans les risques qu'il court d'avoir à supporter l'entretien et l'éducation de l'enfant naturel dans le cas où il serait abandonné; enfin, ni les frères et sœurs naturels, ni le conjoint survivant du défunt ne sont appelés à la succession de ses frères et sœurs légitimes, et cette exclusion commandait une exclusion réciproque. Voilà pourquoi les frères et sœurs légitimes de l'enfant naturel ne sont jamais ses héritiers pour les biens qui ne proviennent pas de l'auteur

commun.

Signalons, en passant, un droit de succession accordé, par un décret du 8 novembre 1808, aux hospices sur les objets mobiliers apportés dans l'établissement par les malades dont l'entretien était gratuit.

DEUXIÈME SECTION

DES DROITS DU CONJOINT SURVIVANT ET DE L'ÉTAT.

ART. 767. Lorsque le défunt ne laisse ni parents au degré successible, ni enfants naturels, les biens de sa succession appartiennent au conjoint non divorcé qui lui survit.

768. A défaut de conjoint survivant, la succession est acquise à l'État. 769. Le conjoint survivant et l'administration des domaines qui prétendent droit à la succession sont tenus de faire apposer les scellés et de faire faire inventaire dans les formes prescrites pour l'acceptation des successions sous bénéfice d'inventaire.

770. Ils doivent demander l'envoi en possession au tribunal de première instance dans le ressort duquel la succession est ouverte. Le tribunal ne peut statuer sur la demande qu'après trois publica

1 Cass., 1er juin 1853.

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