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séditieux. Il est bon qu'on sache avec quel sangfroid et quelle méthode on professe encore aujourd'hui ces principes qui ont porté dans le monde la haine de toute autorité religieuse et politique. Il faut qu'on sache que ces philosophes appellent maintenant la révolution un corollaire de leur doctrine, en sorte que pour agiter toute l'Europe, et ôter la vie à plusieurs millions d'hommes, il n'a fallu que presser les conséquences de leurs principes, et mettre de la suite dans ses idées. Flatteuse perspective pour toute nation qui serait tentée de confier le pouvoir à ces terribles logiciens ! Mais maintenant que les chefs des états, mieux inspirés, travaillent à resserrer le lien de l'obéissance, et que les peuples, fatigués d'une servitude licencieuse, implorent la vraie liberté et le repos de l'ordre, osons demander compte de leurs systèmes à ces fanatiques de démocratie qui parlent encore de faire des républiques et de morceler les états pour le bonheur du genre humain. Si l'expérience qu'ils ont faite ne leur suffit pas, elle suffit à l'univers qui s'en souviendra éternellement. C'est aussi un outrage trop sanglant, et une dérision trop amère, d'oser vanter encore à notre nation la philosophie qu'ils lui ont apprise, et la liberté qu'ils lui ont donnér.

Je ne me persuaderai sûrement pas que la classe de l'Institut qui a couronné l'ouvrage de M. Villers, ni que M. Villers lui-même, approuvent les conséquences de cette philosophie. Mais l'homme le plus modéré pose tranquillement, dans la spéculation, un principe dont la pratique va bouleverser le monde entier. Il faut croire, pour l'honneur de l'humanité, que les premiers philosophes qui commentèrent les Droits de l'Homme, ne savaient pas qu'ils déchaînaient des tigres dans la société; mais, après que des torrens de sang en

ont attesté les effets, avec quel jugement M. Villers vient-il s'extasier encore sur la théorie de ces droits! Il est vrai que les philosophes de 1793 ayant donné dans ce qu'il appelle une excentricité vraiment risible (1), M. Villers ne veut pas qu'on prenne leurs principes tout-à-fait à la rigueur, et il parle d'un milieu modéré (comme s'il y avait des milieux extrêmes), qu'il faut tenir entre la démocratie spéculative et la démocratie pratique. Etrange philosophie, qui donne aux hommes des principes qu'ils doivent craindre de pratiquer dans toute leur étendue, et qui prétend leur enseigner des vérités dont l'application serait une erreur! Voilà comme ces docteurs gouvernent les passions humaines. Ils s'applaudissent d'avoir rompu la digue, et ils disent au torrent: Vous êtes libre, mais n'allez pas nous inonder. N'est-ce pas se jouer manifestement de la société et de ses lois, et, sous l'apparence d'un discours mitigé, tendre au renversement de tout ordre? Ainsi, M. Villers, qui est si ferme sur le chapitre des Droits de l'Homme, veut bien que les derniers de l'état se croient égaux aux premiers, mais non pas qu'ils le soient en effet. Il leur accorde la spéculation, et il leur interdit la pratique. C'est là son milieu modéré. Mais qui ne voit que les peuples, prévenus d'un tel principe, ne s'arrêteront point à des distinctions si frivoles, et que, dégoûtés d'une vaine théorie qui ne flatte que Torgueil philosophique, ils passeront à la pratique de cette égalité qui leur promettra des biens plus réels? N'est-ce pas là la marche que les passions ont déjà suivie? Et pourquoi ne la sui

(1) M. Villers, qui est un écrivain prodigieusement sérieux, et-å qui tout paraît effroyable dans la conduite des papes, trouve enfin quelque chose de risible dans les massacres de 93. Cela est heureux! Le beau mot que l'excentricité des Jacobins, pour peindre leur règne de sang! La barbarie du style est égale à celle des icées.

vraient-elles pas encore? Et par quelle inconcevable démence les philosophes prétendraient-ils nous persuader qu'on peut aujourd'hui poser les mêmes principes, sans courir le risque d'en voir échapper les mêmes conséquences?

Mais pour mettre ces vérités dans un plus grand jour, il sera nécessaire de remonter à quelques idées premières que M. Villers n'a pas même entrevues. On ne trouve, dans son ouvrage, aucun de ces principes généraux qu'un auteur habile jette en avant, comme des fondations sur lesquelles s'appuient toutes ses preuves. Il a pris une méthode plus aisée et plus convenable à son talent: c'est de ramasser toutes les déclamations de son Ecole contre les papes, contre l'Eglise, contre les princes catholiques; et pourvu qu'il ait fait sonner bien haut les mots de liberté et de philosophie, qui sont les foudres de son éloquence, il est assuré d'avoir mis en poudre tout l'édifice de la religion romaine. Il se jette dans l'histoire, et dans un amas de compilations superflues, où il se noie faute de savoir quel art doit présider à l'emploi de l'érudition. I ignore que l'histoire n'a de force que lorsqu'elle vient à l'appui des vérités que le raisonnement a établies, mais que tout le monde se défie d'un charlatan qui commence par arranger les faits à sa convenance, qui aliénue les uns, qui grossit les autres, et qui les dénature tous, pour leur faire prouver tout ce qu'il veut.

Arrêtons-nous un moment au chapitre où M. Villers prétend nous donner des instructions générales sur l'essence des réformations. Il a découvert, dans cette essence, et il veut bien nous l'apprendre, dans l'effusion de son ame, que les révolutions sont très-utiles et très-desirables (1), attendu que

(1) Voyez pages 22 et 126, où M. Vfllers nous parle des beaux

ce sont des moyens essentiels de perfectibilité, dont la seule vue suffit pour enflammer les belles ames; mais que les ames paisibles, qui ne sont pas belles, et les esprits modérés, qui ne sont pas philosophes, qu'effraient une marche bondissante et les fureurs des révoltes, ceux-là font de l'histoire une Idylle et de l'univers une Arcadie. M. Villers, qui ne s'amuse point à la pastorale, mais qui aime les mar ches bondissantes, et à qui les fureurs des révoltes ne font pas peur, doit donc, en vertu de cette théorie des belles ames, admirer la révolution de la Réforme, qu'Erasme appeloit la tragédie luthérienne, et encore plus la révolution française, qui en est un corollaire, et qui, d'ailleurs, est bien plus tragique. Voilà le raisonnement sur lequel ce philosophe a bati tout son ouvrage, et je défie d'y trouver une idée qui ne rentre point dans celle-la. M. Villers abuse ici d'une lueur de raison, qui ne lui apparait que pour l'éblouir. Il a lu quelque part que les révolutions servent à l'instruction des hommes; mais il n'a pas compris cette pensée. Elle ne signifie pas, comme il le suppose, que les révolutions soient l'explosion de quelque vérité qu'il faille acheter avec du sang, mais qu'au contraire, étant l'ouvrage des passions, soulevées par une fausse doctrine, elles tournent à l'instruction des peuples, en les corrigeant par les malheurs qu'elles entraînent à leur suite. C'est aussi de cette manière qu'il faut entendre cet état meilleur où la société arrive après les grandes secousses. Tout peuple qui sort de l'ordre, est forcé d'y retourner par son désordre même. Il est malheureux jusqu'à ce qu'il

effets de ces révolutions, qui, déplaçant toutes les propriétés, fruits des institutions sociales, ne laissent à leur place que la grandeur d'ame, les vertus et les talens, fruits de la seule nature. C'est là le solide de la réforme et de la philosophie, c'est ce déplacement des propriétés. Il est bien juste qu'on gagne quelque chose à faire des révo lutions et à les vanter.

y rentre. C'est ainsi que notre nation, lassée des horreurs de l'indépendance, demande à se reposer dans ses anciennes lois, et qu'elle s'est corrigée de la philosophie par la philosophie elle-même. Les révolutions sont donc les châtimens de l'erreur, et non les progrès de la vérité. Bien loin d'être desirables, elles ne peuvent servir qu'à apprendre aux hommes à n'en plus faire.

Mais comment les hommes en tireront-ils cette instruction, si on leur laisse des maîtres tels que M. Villers, qui se font gloire de leur enseigner, avec Zuingle, que le peuple peut renverser l'autorité quand elle lui déplait, et déposer ses magistrats quand il les juge oppresseurs ( pag. 132 ); qui n'approuvent la doctrine de Luther que parce qu'ils y voient le renversement de toute monarchie divine et humaine? Je demande à tout homme sensé si la société peut se maintenir avec de tels principes, et si ce n'est pas se moquer, de prétendre qu'en prêchant une doctrine si favorable aux passions, on apprendra aux hommes à agir sans passion, et à tenir un milieu modéré?

Mais tâchons de porter notre vue plus haut, et considérons dans une plus grande lumière ces principes de la société que M. Villers attaque sans les

connaître.

Il y a deux choses dans l'homme qui intéressent l'ordre social, sa volonté et ses actions: car l'homme peut vouloir le mal, et il le peut commettre; et pour prévenir ce mal dans sa source, il ne suffit pas de punir l'action qui le commet, si l'on ne redresse aussi la volonté qui le produit. Il faut donc tout à-la-fois à la société, et des lois qui éclairent la volonté des hommes, et un pouvoir qui règle leurs actions.

Voilà, M. Villers, un principe certain, et il en faut prouver la fausseté, ou convenir que votre

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