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sorts de la police; mais, suivant l'usage constant des politiques modernes, M. de Mirabeau ne prend dans chaque pays que ce qui lui convient, manière avec laquelle on est toujours certain de composer idéalement une administration exempte de défauts. C'est de même avec son imagination qu'il a tracé le caractère d'un républicain: ce chapitre est assez curieux pour qu'on nous permette de le citer: nous le pouvons d'autant plus sûrement qu'on ne s'avisera d'en faire l'application à personne.

Caractère du républicain.

« Une fierté invincible, un courage indomptable, une liberté de principes et de pensées qui ne se soumette qu'à la raison seule et qui repousse tout autre empire, une indépendance qui ne cède ni aux plaisirs, ni aux peines de l'opinion, telle est l'ame d'un républicain. Il doit jurer à la nature, à la patrie, à lui-même de rester sans avenir dans un présent fâcheux plutôt que de ramper un moment, de fouler aux pieds tout ce qui contrarierait ses principes et ses passions, de repousser toute protection déguisée en amitié, de n'appar-tenir qu'à celui qui lui appartiendra; secours pour secours, zèle pour zèle, zèle, amitié pour amitié, liberté, vertu par dessus tout; de montrer toujours' son sentiment par les mots ou par les faits; de' regarder comme illusion quant à lui tout ce qui est hors de lui, tout ce qui est opinion étrangère, tout ce qui n'est pas une pensée de son esprit, ou un sentiment de son cœur ; de ne s'estimer que par la fermeté à maintenir ses droits et le respect pour ceux d'autrui; en un mot d'être lui, de n'être que lui, de ne s'estimer que par lui. »

En 1785 le progrès des lumières était déjà si grand qu'on trouvait admirable ce caractère formé de vertus et de vices incompatibles, et dans lequel

l'orgueil domine à si haut point que deux républicains de ce genre ne pourraient vivre ensemble une heure sans se jurer une haine éternelle. La déclaration de tout peuple qui veut la liberté, et le chapitre sur les devoirs d'un roi, sont plus extraordinaires encore; nous y renvoyons les lecteurs curieux de connaître à quelles conditions on obtenait une grande renommée dans le siècle qui vient de finir.

En peu de mots, il est facile de résumer l'esprit de Mirabeau de même que Crispin, devenu médecin, répète toujours prenez des pillules, M. de Mirabeau répète sans cesse : prenez de la liberté ; liberté des hommes, liberté des choses, liberté de penser, liberté de dire, liberté de faire, liberté d'imprimer, liberté de commerce, liberté d'enseigner, liberté dans les mœurs, liberté dans le mariage, liberté partout et à tous, excepté au pouvoir exécutif qu'il faut enchainer, et non avec des chaînes frivoles. A la liberté joignez la tolérance, tolérance entière, tolérance pour tous les cultes, excepté pour la religion chrétienne; contre elle il est philosophiquement permis d'être intolérant: tel est le fonds de l'ouvrage que nous annonçons; il est certain qu'on y sent beaucoup l'influence du dix-huitième siècle.

Les éditeurs ont cherché l'Esprit de Mirabeau dans quarante volumes de cet écrivain, et ils l'ont composé à leur fantaisie, c'est-à-dire tel qu'il pouvoit plaire en l'an V de la république : donnez aujourd'hui les mêmes quarante volumes à dé nouveaux éditeurs, et ils composeront sans peine un esprit de Mirabeau très-conforme aux principes qui règnent en l'an XII. Ce n'est pas dans les écrits de M. de Mirabeau qu'il faut chercher sa pensée, puisqu'il a presque toujours pensé pour gagner de l'argent, ce qui le mettoit dans la néces

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sité d'adopter les idées dominantes: comme membre de l'assemblée constituante il eut rarement occasion de parler avec franchise; il vouloit subjuguer des esprits passionnés, et c'étoit pour lui une nécessité d'adopter leur langage. La mort l'a frappé trop tôt; et la plus grande preuve que l'on puisse donner de son génie, c'est que généralement on est persuadé qu'il aurait essayé de ramener l'ordre, quoiqu'aucun de ses discours ne prouve positivement qu'il ait eu ce desir. Le cardinal de Retz disait qu'un grand homme pouvait commencer sa carrière par des folies, jamais par des puérilités : cette pensée est applicable à M. de Mirabeau qui, tourmenté par les événemens et par les passions les plus violentes, fut toujours au-dessous de la place que sa naissance lui avait marquée dans la société, sans jamais se laisser avilir; un grand caractère le mit constamment au dessus de ses vices et de ses erreurs. Aussi, dans ses ouvrages, rencontre-t-on beaucoup d'extravagances, de déclamations; on y chercherait en vain des niaiseries, et c'est par-là qu'il se distingue de tous les penseurs dont il avait adopté les principes; mais il est bien au-dessous d'eux pour le style. S'il avait fait sa paix avec la cour, comme cela paraît hors de doute, et qu'il fût entré dans le ministère, il aurait sans peine renoncé aux abstractions politiques, et réuni à lui les meilleurs esprits de son parti: cette réunion aurait-elle suffi pour balancer l'ascendant de la révolution? il est permis d'en douter; le mal venait de trop loin, et on peut croire que la doctrine démocratique dont M. de Mirabeau s'était fait long-temps l'apôtre, se serait trouvée aussi forte contre lui que contre tous ceux qui ont voulu l'arrêter dans son cours. Cette doctrine est tellement répandue dans les livres du dix-huitième siècle qu'elle résiste pour ainsi dire à la plus sanglante de

toutes les expériences; on la défend encore en principe alors même qu'on en blâme les conséquences; aussi est-il permis d'affirmer que moins nous raisonnons aujourd'hui, et mieux nous valons. Les préjugés philosophiques restent si puissans, que l'écrivain qui juge avec sévérité les ouvrages dans lesquels on mêle à dessein l'action du gouvernement avec le despotisme, et sa puissance nécessaire avec la tyrannie, est obligé de protester qu'il n'est point un ennemi de la liberté possible. Confondre la monarchie et les institutions qui en dérivent avec l'esclavage, est aussi ridicule que de prétendre qu'il n'y a point de liberté sans licence, et de république sans démagogie: en politique les hommes instruits, d'accord avec l'expérience de tous les siècles, ne repoussent que les extrêmes et les contradictions; aussi sommes-nous persuadés que si M. de Mirabeau pouvait lire l'ouvrage qu'on appelle son Esprit, il protesterait que ce n'est là que son esprit de révolution, qu'il en avait un autre beaucoup moins passionné, et qu'il ne lui a manqué que du temps pour le faire connaître.

FIÉVÉE.

Loisirs littéraires de J. J. Regnault-Warin. Un vol. in-12. Prix: 2 fr. 50 cent., et 3 fr. par la poste. A Paris, chez Frechet, libraire, rue du Roule, n°. 291; et ches le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint Germain-l'Auxerrois, n°. 42.

AVEC une imagination assez forte et assez brillante, M. Regnault-Warin ne fera jamais un bon ouvrage, et il s'exposera toute sa vie à en faire de mauvais. Il lui manque, pour savoir écrire, d'oser dire les choses natu

rellement: c'est un de ces hommes qui mettent le bonjour en énigme, et qui cherchent une manière de s'exprimer tellement relevée que vous ne puissiez les entendre. Et dum vitat humum, nubes et inania captat.

(HOR.)

Il y a des gens, dit Pascal, pour qui il n'y a point de Paris, mais une capitale du plus bel empire de l'univers. Voilà le goût de M. Regnault-Warin. Il n'oserait dire qu'une femme a une jolie bouche et de belles dents, mais elle a une coupe de carmin et trente-deux perles. Eh! mon ami, dit La Bruyère, si vous voulez me faire entendre qu'il pleut, dites tout bonnement il pleut; au moins je yous comprendrai. J'aurais été tenté vingt fois de dire la même chose à l'auteur des Loisirs littéraires. Son style ressemble à celui du Philosophe de Molière, lorsqu'il retourne la phrase de M. Jourdain: Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour; mais il ne sent pas, comme lui, que la manière de M. Jourdain est la meilleure, parce qu'elle est la plus claire. Par exemple, il n'y a rien de si clair que cette pensée Une liberté sans bornes est dangereuse. Quel prodigieux talent ne faut-il pas pour trouver le moyen de l'abscurcir en l'exprimant ? M. RegnaultWarin en est venu à bout. C'est un véritable tour de force.

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Les chocs, dit-il, et la chaleur que nos cœurs, tout de a chair, reçoivent et se communiquent dans les agitations » de la vie, ne développaient-ils pas assez énergiquement pla perversité de nos penchans, sans les lancer sur la

pente large et rapide de la liberté indéfinie ? »"Une telle phrase me paraît un saut périlleux. Je ne crois pas lire un auteur; je crois contempler un danseur de corde.

Il aurait été trop commun de dire, en parlant de Fontenelle, qu'il n'était point partisan des anciens. Voici qui est plus beau Sa plume secouait sur la robe virginale de

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