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aussi les suffrages des bons esprits : le style est élégant et clair; quelquefois il a de la force et de la précision; et les réflexions que le traducteur a mises dans les notes sont pleines de raison et de goût. Il ne les a point prodiguées; mais, par cela même, elles produisent plus d'effet. Souvent de longues déclamations de l'auteur allemand sont réfutées par un seul trait aussi simple que vrai : nous en donnerons un exemple. M. Schiller s'efforce de prouver Ja justice des droits que les luthériens s'arrogeaient sur les biens de l'église; plusieurs raisonnemens sont employés pour soutenir cette thèse, et pour montrer que l'intérêt n'eut point de part à la conduite des princes protestans. A cela, le traducteur répond: «Il est permis de croire » qu'on ne s'empara pas des biens ecclésiastiques parce que » l'on changea d'opinion, mais que l'on changea d'opinion parce que l'on voulut s'emparer des biens ecclésiastiques.

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La supériorité de l'auteur allemand sur ses compatriotes, le mérite de son traducteur, devaient exciter en France une sensation peu différente de celle que produit un bon ouvrage toute justice a été rendue, sous ce rapport, à l'Histoire de la Guerre de trente ans. Il est utile aujourd'hui d'en faire un examen plus détaillé et plus sévère. A l'exemple des philosophes modernes qui ont fait l'apologie de la réforme, M. Schiller, tout en soutenant que le protestantisme a contribué aux progrès des lumières, et que la religion catholique les a éteintes ou les a empêché de naître, paraît avoir le plus profond dédain pour les deux religions. Il est beaucoup trop philosophe pour partager entièrement les opinions de Luther: tout ce qui dans cette secle tient encore aux dogmes et aux principes de l'église catholique, lui paraît ridicule; il n'adopte que Ce qui conduit au doute, à l'irréligion et à la licence.

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C'est de cette hauteur philosophique que M. Schiller juge ordinairement les débats des catholiques et des protestans. Avec de tels principes, il est difficile d'être un bon historien. On se joue des hommes et de leurs malheurs ; les meurtres, les dévastations, les excès les plus affreux pa-' raissent l'effet d'une espèce de vertige au milieu de ces horreurs, on s'occupe froidement de résultats; et, de même que le physicien qui étudie les souffrances des animaux pour approfondir la science qu'il cultive, on exerce sur l'humanité cette froide recherche; c'est dans le sang et dans les larmes que l'on calcule tranquillement la prétendue perfectibilité de l'espèce humaine.

Quoique M. Schiller ait profondément étudié les historiens anciens, et qu'il les ait souvent imités, il n'a pu éviter des défauts qui tiennent à ses occupations précédentes et au goût de son pays. Il avait eu de grands succès dans l'art dramatique; on sait ce qu'il faut pour réussir sur les théâtres d'Allemagne : emphase, déclamations, maximes romanesques, délire d'imagination, M. Schiller avait porté au plus haut degré toutes ces qualités germaniques. Il était difficile que, s'exerçant ensuite dans un genre plus sérieux, il ne conservât pas quelques-uns des défauts qui lui avaient valu tant d'applaudissemens. Le ton noble et grave de l'histoire ne se soutient pas toujours dans son ouvrage; on y trouve trop souvent la familiarité des mémoires, les circonstances minutieuses des romans, et des couleurs poétiques qui ne conviennent pas au genre. C'est ce que nous prouverons bientôt dans les citations que nous aurons lieu de faire.

En exagérant les éloges que mérite l'ouvrage de M. Schiller, on a oublié que nous avions dans notre langue une Histoire de la Guerre de trente ans, très-supérieure à celle de l'auteur allemand: un pareil oubli doit être re

levé; et le parallèle que nous allons établir prouvera une vérité contre laquelle les philosophes modernes se sont élevés constamment ; c'est que la France possède des his'toriens qui ne le cèdent ni aux Allemands, ni aux Anglais. Le P. Bougeant, dans son Histoire des guerres et des négociations qui précédèrent le Traité de Westphalie, a non-seulement traité à fond le sujet dont M. Schiller s'est occupé, mais il a encore donné les détails les plus intéressans et les plus circonstanciés sur ce fameux traité qui, pendant long-temps, fut la base principale du droit public de l'Europe. Il serait injuste de faire valoir le mérite de l'historien français, en louant une portion de son ouvrage qui n'entrait pas dans le plan de M. Schiller; nous nous bornerons à comparer les deux ouvrages dans les parties qui ont entr'elles un rapport immédiat : les caractères des principaux personnages, les réflexions visur les événemens décisifs, seront l'objet de ce parallèle, d'autant plus curieux qu'il pourra servir en même temps à jeter quelque lumière sur cette époque célèbre. 1. Le P. Bougeant, comme M. Schiller, remonte aux pre'mières divisions entre les protestans et les catholiques. On voit de loin se former ces terribles antipathies qui armèrent une partie de l'Europe contre l'autre, et qui ne purent être suspendues qu'après trente ans de combats. · L'auteur allemand s'égare dans de longs détails qui répandent de la langueur sur le commencement de son ouvrage; l'historien français peint à grands traits les causes de la guerre, et les divers intérêts des princes. « La paix de » Westphalie, dit le P. Bougeant, termina dans le siècle » passé une guerre sanglante et opiniâtre où toute l'Europe » se trouvait enveloppée, et que la haine, l'ambition et » mille intérêts opposés semblaient devoir rendre éternelle. - » L'hérésie avait allumé le flambeau de la guerre ; mais

» bientôt l'intérêt politique prévalut sur celui de la religion, et l'on vit les protestans s'unir aux catholiques, et les catholiques combattre sous les enseignes des pro» testans. La Suède voulait se faire un établissement en » Allemagne; l'Espagne redemandait les provinces que la » révolution des Pays-Bas avait soustraites à sa domina» tion; la France voulait mettre des bornes à l'énorme » puissance de la maison d'Autriche, et augmenter la » sienne; les princes et les états d'Allemagne défendaient » la liberté germanique. Que d'obstacles ne fallait-il pas » surmonter pour concilier tant d'intérêts différens! Lo médiateur lui-même, emporté par le torrent, fut obligé » de prendre les armes. Chaque parti avait des vues géné»rales opposées à celles de ses ennemis; et dans chaque » partí, chacun avait ses vues particulières, souvent con- traires à celles de ses propres alliés. Les princes intéres

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sés étaient trop puissans pour recevoir la loi de leurs » ennemis, et trop faibles pour la donner. Les vainqueurs ne voulaient rien céder de leurs conquêtes; les vaincus » ne voulaient vien relâcher de leurs droits. Les plus ambitieux voulaient gagner au traité; les plus modérés no » voulaient rien perdre: tous se flattaient, ou de s'assurer par la négociation le fruit de leurs victoires, ou de » réparer par leur habileté les brèches que la guerre avait faites à leurs états. Ces difficultés, qui sont communes à tous les traités, paraissaient insurmontables dans » celui-ci par leur multiplicité. Il y avait peu de princes qui n'y eussent quelque intérêt à ménager. Il fallait, » pour ainsi dire, changer la face de l'Europe, étendre » et resserrer les limites des empires, et faire passer de

grandes provinces sous une domination étrangère. » Cette tirade pourrait suffire pour donner une idée du style du P. Bougeant: la profondeur est unie à la clarté, l'élé

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gance à la force; aucun ornement ambitieux ne défigure ce grand tableau; tout y porte le caractère de gravité et de sagesse qui doit distinguer un historien.

Ces qualités, si rares dans ce siècle, se font remarquer dans tout l'ouvrage. Il ne fait éprouver ni ces émotions pénibles qui résultent des peintures romanesques, ni cette fatigue que produisent des détails trop minutieux : le lecteur n'est point obligé de suppléer en quelque sorte au travail de l'historien, pour éclaircir des obscurités ou lever des doutes. Le livre du P. Bougeant ne contient que ce qu'il est nécessaire de savoir. L'auteur ne s'exalte point sur des événemens trop éloignés pour être racontés avec enthousiasme; et ses réflexions lumineuses et précises répandent un grand jour sur les événemens, sur les hommes et sur les choses. Les rapprochemens que nous avons promis feront mieux sentir le mérite de cet bistorien.

Les deux auteurs peignent la situation de l'électeur palatin au moment où les Bohémiens révoltés lui offrirent la couronne. Frédéric était faible et présomptueux : quoiqu'il ne pût se dissimuler le peu de stabilité d'un trône acquis de cette manière, il n'était pas éloigné de céder aux vœux des séditieux ; cependant il invoqua les conseils de quelques princes. Le P. Bougeant raconte ainsi cette première cause de la guerre de trente ans : « Le prince de

Bavière exhorta fortement le prince palatin a refuser » une offre aussi spécieuse, en lui représentant l'injustice » d'une usurpation, si manifeste, les trouble qu'elle allait » exciter dans tout l'Empire, et le danger où il exposait » sa personne et ses états, puisqu'il avait eu de craindre » qu'en voulant s'élever au faîte de la gloire et de la grandeur, il ne se précipitat lui même dans un abyme de maux. Le roi d'Angleterre, le prince d'Orange et lous

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