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plus vraies. « Il était alors, dit-il, dans la trente-sixième » année de son âge; il avait toutes les qualités du >> corps et de l'esprit qu'on a coutume de donner aux » héros, infatigable dans les combats, d'une hardiesse » peu commune, et même un peu téméraire dans un si » haut rang. » L'historien français saisit ensuite avec sagacité la cause des succès de Gustave. « Gustave, dit» il, marche à la tête de son armée avec cette confiance » qui promet la victoire et qui la donne quelquefois. » Nous avons dit qu'un des défauts de M. Schiller était d'employer souvent dans son histoire des couleurs poétiques et romanesques. Parle-t-il du danger de Ferdinand? il semblait, dit-il, que la liberté outragée le menaçát de son génie vengeur. Veut-il peindre la décadence de la maison d'Autriche? « la fierté de cette cour avait survécu à sa » grandeur, et l'antre abandonné du lion répandait encore > l'effroi autour de son enceinte. .... La confiance des » catholiques allemands reposait encore sur les secours » d'Espagne, comme celle des catholiques religieux reste » attachée aux os des saints. » S'il parle des projets de mariage du fils de Jacques I. avec une infante d'Espagne : « Cette épouse, dit-il, échappa au fils de Jacques, comme » la couronne de Bohême et le bonnet électoral s'étaient » évanouis pour son gendre. » Il est inutile de faire sentir l'inconvenance de ces ridicules métaphores. Le sac de Magdebourg est raconté par Schiller avec beaucoup d'énergie. Son indignation est telle, qu'il lui paraît que Tilly est toujours dévoré de remords pour avoir permis la destruction de cette ville quelque temps après, ce général fait le siége de Leipsick; la ville capitule, et Tilly, qui ne l'a point prise d'assaut, lui accorde une composition honorable. M. Schiller croit voir dans cette conduite un pressentiment des malheurs qui menacent Tilly. Quel moyen

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emploie-t-il pour appuyer celte opinion? C'est la description de la maison dans laquelle le général conclut le traités «Tilly, dit l'auteur allemand, avait prit son quartier » dans la maison d'un fossoyeur, la seule qui restât du » fauboug. Ce fut là qu'il signa la capitulation. Des têtes » et des os de morts peints sur les murailles décoraient la » maison du propriétaire; Tilly changea de couleur, et » Leipsick contre toute attente, obtint un traitement favo❤ »rable. » Il est difficile de pousser plus loin l'esprit ro manesque. Qui ne voit que Leipsick ne fut préservée du pillage que parce qu'elle ne fut point prise d'assaut comme l'avait été Magdebourg? Quelques momens avant la ba❤ taille de Leipsick, le général allemand se rappelle encore Magdebourg,« De noirs pressentimens, dit M. Schiller, » obscurcissaient son front jadis toujours serein. Le génio » de Magdebourg semblait planer sur sa téte. »

Parmi les qualités de l'historien, M. Schiller possède sur tout celle de faire des réflexions courtes et substan cielles sur les faits qu'il raconte Si l'Histoire de la Guerra. de trente ans était écrite dans un meilleur esprit, cette qualité donnerait à l'auteur une grande supériorité. Quel. quefois, cependant, les réflexions s nt justes et lumineu ses. Les philosophes modernes, qui se sont si souvent étendus sur l'heureuse influence de la réforme, et sur la tolérance qu'elle introduisit, ne se sont pas rappelés les haines violentes des luthériens et des calvinistes; haines beaucoup plus fortes que celle que les uns et les autres portaient aux catholiques. M. Schiller, en parlant de la maison palatine, jette beaucoup de lumière sur ce point intéressant de son histoire. Aucon pays d'Allemagne, » dit il, n'éprouva en aussi peu de temps des changeinens de religion aussi, rapides que le Palatinat, On, vit, dans le court espace de soixante ans, ce pays, jouet mal

heureux de ses souverains, prêter deux fois serment à » la doctrine de Luther, et deux fois l'abandonner pour la doctrine du calvinisme. On donna à l'électeur, âgé de neuf ans, des instituteurs calvinistes, à qui il fut recommandé d'effacer chez leur élève la doctrine de Luther, dussent-ils y employer les coups: Il est aisé, ajoute » très-bien M. Schiller, de pressentir le traitement des sujets, lorsqu'on en agit ainsi avec le maître. » Cette dernière réflexion est pleine de sens dans un écrivain prolestant; elle donne la mesure de l'espèce de tolérance des prétendus réformés, en même temps qu'elle montre le vague et l'incertitude de leur doctrine. Le P. Bougeant ne, s'attache presque jamais à des objets particuliers ; ses réflexions sont générales; partant des meilleurs principes, elles peuvent s'appliquer à tous les temps. Souvent elles sont entrelacées avec un art admirable dans le récit des faits; une phrase incidente suffit pour peindre les caractères, et pour indiquer les motifs de la conduite des hommes: nous n'en citerons qu'un exemple. Il s'agit de Jacques I, qui ne put soutenir son gendre, l'électeur palatin: « Cependant, sollicité par les conseils du roi » d'Angleterre son beau-père, prince faible et peu habile, » qui aimait à négocier parce qu'il n'aimait pas la guerre, » et qui, par la même raison, négociait toujours fort mal, wil prit le parti de désarmer entiérement.» Quel trait de caractère! quelle leçon pour les rois!

Nous ne pousserons pas plus loin le parallèle que nous avons établi entre le talent des deux auteurs. L'esprit qui les anime diffère beaucoup. M. Schiller ne voit dans la réforme qu'un cominencement de perfectionnement dans l'ordre social; le père Bougeant n'y remarque que les malheurs dont elle fut l'occasion et la cause. Cette juste prévention contre des novateurs qui bouleversèrent l'Europe

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pendant plus d'un siècle, n'empêche pas l'historien français de rendre justice aux hommes qui montrèrent de grands talens, ou qui déplöyèrent de grandes vertus. Le tableau de l'Europe que nous avons cité, annonce des vues politiques profondes; on voit que l'auteur connaît parfaitement les intérêts opposés des puissances belligé rantes, et qu'il est en état de peser leurs droits dans la balance la plus exacte. M. Schiller, au commencement de son histoire, met en avant le système qu'il veut défendre; et l'on devine qu'il arrangera les événemens de manière à le soutenir. Il pense, comme la plupart des écrivains protestans, que la réforme préserva l'Europe de l'esclavage. « L'Europe', dit-i!, évita l'oppression, elle sortit » libre de cette guerre affreuse où elle s'était considérée » pour la première fois comme un ensemble politique; et » cette liaison dans les intérêts mutuels des différens états, » qui ne commença à s'organiser réellement qu'à cette » époque, est un avantage assez marqué par lui-même, » pour que l'ami de l'humanité pardonne l'effroi qu'il a » eu. » Quels furent les moyens qui, selon M. Schiller, ifurent employés pour arriver à ce grand but ? ils sont indiqués quelques pages plus loin. « La différence de cons»titution, de lois, de langage et de mœurs faisait » des nations et des pays autant de touts différens, >>>et mettait entre eux un mur continuel de séparation. >> Ce mur fut renversé par la réforme. Un vif intérêt plus » pressant que l'intérêt national ou l'amour de la pu» trie, un intérêt absolument indépendant des rapports

ordinaires commença à animer le citoyen et les états >>> mêmes. Cet intérêt pouvait unir étroitement les états » les plus éloignés, tandis que le lien cessait peut-être » d'exister entre les sujets du même souverain. Le calvi

niste français eut donc avec le réformé genevois, angli

can,

allemand ou hollandais " un point de contact nul » pour lui à l'éga d de, ses propres concitoyens catholi

»ques »

Voilà donc ce grand bien que produisit et que produit encore aujourd'hui a réforme. De l'aveu de M. Schiller, elle éteignit l'intérêt national et l'amour de la patrie; elle introduisit dans les états des partis opposés à tout ce qui pouvait être avantageux à leurs concitoyens, se rejouissant de leurs désastres, et favorisant en secret les ennemis extérieurs. Si cette cause continuelle de troubles civils, de conspirations, de crimes et de massacres est considérée comme un moyen de perfectionnement de l'ordre social et de l'espèce humaine, il faut convenir que jusqu'à présent les grands politiques et les grands moralistes ont étrangement déraisonné: ils avaient la bonhomie de croire que l'amo ur de la patrie, l'intérêt national, étaient nécessaires pour le maintien des empires; que le citoyen devai préférer son pays à tout autre; qu'il ne devait pas exister dans les états des sociétés qui eussent leurs lois particulières ; et que ces correspondances ténébreuses d'une secte de révoltés avec les ennemis du prince, entraînaient les plus grands dangers et les plus grands malheurs. C'est donc aux protestans, selon M. Schiller, c'est donc à eux que l'on doit la théorie des révoltes; c'est à leur exemple que des insensés ont préféré à l'autorité légitime à laquelle ils étaient soumis, aux mœurs dans lesquelles ils avaient été élevés, les lois, les mœurs et les préjugés des peuples étrangers. Toutes les opinions anti-sociales datent de cette époque: c'est du fatras des premiers docteurs luthériens et calvinistes que sont sortis les systèmes monstrueux de l'origine des sociétés, des droits de l'homme, de la souveraineté du peuple; systèmes dont nous avons vu de nos jours une application encore plus exacte que dans les XVI et XVIIe siècles.

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