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LE MÉDECIN.

Sans doute, nous savons qu'un héros peut descendre d'un reptile, et que ses petits-enfans peuvent devenir des huitres.

ALCINDE.

On devrait écrire cela en lettres d'or sur le char des triomphateurs, et sur le trône de tous les rois.

LE MÉDECIN.

Oui, ce serait une belle et grande leçon.

ALCINDE

On disait jadis au triomphateur Romain: Souviens-toi que tu n'es qu'un homme. Il serait bien plus énergique de dire: Souviens-toi que tu n'es qu'une bête.

LE MÉDECIN.

Du moins c'est ce que les savans répètent à tous les grands de la terre dans leurs livres

franc.

ALCIN D E.

cela est

Que de récompenses mériterait tant de can

deur et de sincérité !

LE MÉDECIN.

On a tellement encensé les princes dans les siècles passés!

ALCIND E.

Oui, les chefs des nations ne se doutaient pas alors qu'ils n'étaient que des mammaux....

LE MÉDECIN.

Il n'y a pas quatre-vingts ans qu'un flatteur leur disait encore qu'ils sont la Providence visible des infortunés (1).

(1) Massillon.

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Ne persuadait-on pas aussi aux souverains bienfaisans qu'ils étaient les images de la Divinité? Quelle vanité n'avaient-ils pas dès qu'ils réndaient leurs sujets heureux ! Pour leur oter cet enivrement ridicule, il a fallu leur dire nettement : Il n'y a point de Providence, il n'y a point de Divinité; et de plus leur déclarer qu'ils ne valent pas mieux que les chevaux qu'ils nourrissent dans leurs

écuries.

ALCINDE

On n'aurait jamais pu les corriger à moins.
LE MÉDECIN.

Et les peuples ne divinisaient-ils pas leurs maitres, dès qu'ils étaient contens de leur gouver

nement ?....

ALCIN D E.

Ah! maintenant ils sont éclairés ; la gloire et les bienfaits ne les rendront plus idolâtres....

LE MÉDECIN.

Voilà pourtant ce qu'on doit aux sciences et à la philosophie.... Et la médecine, quels progrès n'a-t-elle pas faits?

ALCINDE,

Cependant, docteur, on prétend que, dans le siècle de Louis XIV, les octogénaires et les centenaires étaient infiniment plus communs que de 'nos jours.

LE MÉDECIN.

Cela peut être. Mais un fait certain, c'est que les médecins de ce temps n'appliquaient point l'électricité à la médecine, et ne connaissaient point

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le galvanisme dont nous tirerons un si grand parti.

ALCIN D E.

Le galvanisme n'a-t-il pas déjà guéri des aveugles ?

LE MÉDECIN.

Non, pas encore; mais il leur cause de vives douleurs....

ALCIN D E.

En médecine c'est toujours un premier pas.... LE MÉDECIN.

Assurément. Le temps fera le reste. On a obtenu de merveilleux résultats des expériences sur les différens gaz.

ALCIN D E.

On ne niera plus maintenant leurs propriétés énergiques. LE MÉDECIN.

plus

Ah! il n'y a plus moyen, car les dernières expériences ont causé à M. de V**** le plus violent crachement de sang.... Voilà des faits, et il est clair que des préparations mieux ménagées produiront des effets plus heureux. Et nos essais sur les poisons?

ALCIN D E.

Cela, par exemple..... est d'une utilité !....

LE MÉDECIN.

Les poisons n'offrent point encore de remède curatif; mais il n'a résulté jusqu'ici de leur emploi qu'un assez petit nombre d'accidens graves; peu de victimes et des probabilités d'espérances pour l'avenir, c'est tout ce qu'on peut demander d'abord.....

ALCINDE.

On doit convenir qu'il fallait une hardiesse,

un courage admirable pour oser employer des substances si pernicieuses.....

LE MÉDECIN.

Et à des doses !... Certainement les Boerhaave, les Sydenham, les Guenaut, les Morin, etc. n'eussent jamais tenté de pareilles choses.

ALCINDE.

Enfin, ces anciens médecins n'étaient ni littérateurs, ni philosophes, ni métaphysiciens; et les

nôtres!....

LE MÉDECIN.

Et puis les anciens n'écrivaient que sur la méde cine; et certes il n'est pas étonnant qu'un médecin sache raisonner sur son art: mais nous, dans' nos livres, nous parlons de toute autre chose. Eh bien! on lit Tissot, on vend Tissot, et nos livres restent chez le libraire.

ALCINDE.

On est si frivole!

LE MÉDECIN.

Et si ingrat! On aime les résultats de notremétaphysique; ils débarrassent d'une infinité de préjugés incommodes, et nos démonstrations paraissent ennuyeuses....

ALCINDE.

On veut comprendre, on veut s'amuser; que ne veut-on pas ! Il faut écrire pour sa conscience et compter pour rien les lecteurs.

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si grand dessein, les métaphysiciens doivent savoir braver les imprimeurs, et inême, s'il le faut, se moquer du public.

LE MÉDECIN.

C'est ce que nous faisons.

D. GENLIS.

Leçons de Littérature et de Morale, ou Recueil en prose et en vers des plus beaux morceaux de notre langue, dans la littérature des deux derniers siècles : ouvrage classique, adopté par le gouvernement pour les Lycées et les Ecoles secondaires, et à l'usage de tous les autres établissemens d'instruction, publics et particuliers de l'un et l'autre sexe; par François Noël, inspecteurgénéral de l'instruction publique, et François Delaplace, professeur de belles-lettres dans les Lycées de Paris; tous deux ci-devant professeurs de belles-lettres dans l'Université de cette ville. Deux vol. in-8°. Prix : 9 fr., et 12 fr. par la poste. A Paris, chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxer rois, no. 42, en face du petit portail de l'église.

On ne saurait trop honorer les littérateurs qui, dans ces dernières années, se sont efforcés de ramener le bon goût et les bonnes études, soit par des ouvrages élémentaires conformes aux principes anciens et consacrés, soit par des recueils aussi précieux pour le choix des matières, que recommandables sous le rapport de la doctrine. MM. Noël et Delaplace ont, à cet égard, acquis déjà plus d'un droit à la reconnaissance publique. Marchant sur les traces de ces maîtres célèbres, qui, malgré l'influence de Senèque

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