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loin sans doute de réfléchir toutes les beautés d'Horace, et nous pensons que M. Daru a trop de goût pour croire même que cela soit possible. « Je n'ai pu espérer, dit-il dans » la préface qui est en tête de la nouvelle édition qu'il pu» blie, je n'ai pu espérer que ma traduction facilitât la lec>>ture de ce poète à ceux qui n'entendent qu'imparfaitement » la langue qu'il a maniée avec tant de grace; mais j'ai fait >> bien des efforts pour en donner quelque idée aux gens » du monde, et pour en retracer le souvenir aux gens de >> lettres. » On voit que le traducteur est bien loin de se dissimuler les difficultés de son entreprise, et sur-tout bien éloigné de ce ton de confiance et de présomption si fort à la mode aujourd'hui. Nous pensons qu'à peu de chose près, M. Daru a rempli le but qu'il s'était proposé : les hommes de lettres lui sauront gré de l'admiration qu'il a vouée à Horace, et les gens du monde ne manqueront pas d'enrichir leurs bibliothèques de cet ouvrage, fait pour y occuper un rang distingué. Quant à nous, nous n'avons pu parler que des odes, les satires et les épîtres ne nous étant point encore parvenues. Cette dernière partie de la traduction de M. Daru sera pour nous le sujet d'un nouvel article dans le Mercure prochain.

J. ESTINBERT.

Irons-nous à Paris ? ou la Famille du Jura; roman plein de vérités. Prix: I fr. 50 cent., et 2 fr. par la poste. A Paris, chez Déterville, libraire, rue du Battoir, n°. 16; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, no. 42.

Le titre de ce roman est original; l'auteur annonce qu'il est plein de vérités, et nous prions nos lecteurs de

remarquer que ce mot est mis au pluriel; ce qui signifie que la partie fictive de l'ouvrage n'a servi que de prétexte pour rappeler des faits incontestables, chose toujours facile quand on sait observer et qu'on a de la bonne foi: au contraire, si le mot vérité était au singulier, il signifierait que l'auteur est toujours resté dans la vraisemblance des caractères mis en jeu. Ce talent étant rare et n'appartenant qu'aux écrivains du premier mérite, tous les romanciers essayent de s'en approcher, mais aucun ne se vante d'avoir réussi avant que le public ait prononcé sur son ouvrage : nous faisons cette observation pour mettre l'auteur à l'abri de tout reproche de vanité.

La partie dramatique de cet ouvrage est très-simple. Une famille de Francs-Comtois, composée de sept personnes, reçoit de son chef la proposition de venir à Paris pour les fêtes du couronnement, sous la seule condition que dans cinq jours, à sept heures du matin, chacun sera prêt, sans qu'il s'établisse aucune discussion à cet égard. Le refus d'un seul membre de la famille doit suffire pour faire renoncer à ce voyage.

Des sept personnages, l'un est déjà décidé ; c'est celui qui fait la proposition. Sa femme étant toujours de l'avis de la majorité, ne fait craindre aucune opposition; sa fille unique, qui a l'espérance de devenir à Paris l'épouse de celui qu'elle aime depuis long-temps, a donné sa voix d'avance; reste donc, 1o. un oncle paternel, patriote énergique; 2°. une tante, vieille fille, politique et dévote; 3. un cousin, émigré, rentré dans ses foyers avec un honneur intact, et quelques dispositions à la philosophie de Kant; 4°. un oncle maternel, savant du pays, et rempli de respect pour l'autorité du passé. Si l'auteur eût mis ces quatre personnages en présence, s'il les eût fait discuter ensemble les motifs pour ou contre le voyage à

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Paris, il aurait jeté pour un siècle la division dans cette famille de bonnes gens; aussi a-t-il.eu le soin de les isoler, et de leur faire donner leur avis chacun séparément. Par ce moyen bien simple, et qui prouve un peu contre la nécessité des assemblées délibérantes, il obtient le consentement de tous; et la famille entière se trouve au rendez-vous fixé, malgré les petites intrigues d'une madame Durenard qui voulait rompre ce voyage, dont le dénouement doit anéantir les projets d'établissement qu'elle a formés pour sa fille. Tel est le fond léger de ce roman très-court; son but est de prouver que toutes les opinions. qui ont divisé les Français doivent se concilier en faveur d'une dynastie nouvelle, qui s'élève pour le bonheur de tous, qui ne reconnaît aucun parti, et qui sauve la France du danger des expériences nouvelles comme du danger, peut-être plus grand encore, d'un retour violent vers le passé.

Mettre en roman un objet aussi sérieux que l'établissement d'une dynastie, un de ces événemens dont notre histoire n'offre que trois exemples en quinze siècles, c'est une idée qui ne peut venir qu'à un Français, et qui ne doit réussir qu'en France. Pourquoi? C'est qu'avec de l'esprit tout réussit chez nous, et qu'il y a dans ce roman beaucoup d'esprit. L'auteur,sait louer, ce qui est trèsrare; il sait aussi critiquer avec finesse, ce qui ne nuit jamais au succès d'un ouvrage. Par exemple, en traçant le caractère du chef de la famille Franc-Comtoise, ami sûr et d'un commerce facile, il ajoute; « Il ne se met jamais >> en colère que contre les abbés qui font de l'agriculture >> dans leur cabinet. Cette antipathie remonte à quelques » essais malheureux qu'il entreprit à ses dépens, sur la » foi d'une gazette économique qui devait régénérer la » surface du globe, et qui ruina modestement un libraire. »

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Cette phrase rappelle et l'abbé Beaudeau et l'abbé Roubado et même M. Turgot qui fit en grand, à la France, le même mal que la Gazette économique fit dans les petites propriétés de notre Franc-Comtois. En général, l'auteur paraît ennemi né de l'enthousiasme et des manies dans tous les genres; et les traits qu'il décoche à nos prétendus artistes comme à nos singuliers eavans, vont tous au but, en laissant à ceux qui en sont atteints la liberté de cacher leur douleur, ce qui distingue la critique de la satire.

Il y a souvent de l'originalité dans les réflexions générales; nous en citerons un exemple:

<«<< Le lecteur aura remarqué que la poste n'arrive dans » la ville dont il s'agit qu'une fois tous les huit jours: >or, a t-il calculé l'énorme influence que cette seule par. »ticularité doit avoir sur l'esprit des habitans? N'est-il » pas évident que dans les lieux où les nouvelles arrivent » tous les jours, la mobilité des esprits et la légèreté des . »jugemens en sont la suite inévitable? Si la résidence » de la famille qui m'occupe est si riche en bon sens et en >> mûres réflexions, qu'elle en rende grace à la lenteur : » de son messager. A Paris, on pense à la journée ; et » dans le Jura, on pense à la semaine. La proportion de >> sagesse est de huit à un. Je le dis sans rire, quand on >> entreprendra tout de bon la guérison des têtes françai»ses, la première précaution à prendre sera d'enrayer » la poste. »

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Je serais volontiers de l'avis de l'auteur; mais avant de prendre ce parti qui peut avoir de graves inconvéniens dans un pays commerçant, il y a un bon moyen qui dépend entièrement de ceux qui ont quelqu'influence sur l'opinion publique,; c'est de se persuader que ce qui se dit ' dans tel ou tel salon n'est pas un sujet de conversation

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pour la France; or, chez nous, on ne conniat qu'une manière d'arrêter un petit bruit, c'est de le rendre général; et chaque matin on voit dans les journaux la réfutation d'un fait dont on n'aurait jamais entendu parler................ sans la réfutation, dont le résultat est qu'on s'occupe partout pendant huit jours d'une anecdote vraie ou fausse qui jusqu'alors n'avait guère occupé que les coteries intéressées.

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Les raisons que chaque personnage de la Famille da Jura se donne pour venir assister aux fêtes du couronnement, et les motifs de ceux qu'ils rencontrent dans les auberges sur la route, rappellent les bienfaits sans nombre que nous devons au gouvernement protecteur qui a jeté les fondemens de sa durée dès le 18 brumaire. L'émigré rentré, le prêtre revenu des déserts mortels de la Guyanne, le négociant lyonnais, les soldats mutilés au service de la patrie, les partisans nombreux de l'unité du pouvoir n'ont qu'à énoncer leur opinion pour la faire applaudir; aussi l'auteur n'établit-il à leur égard aucune discussion. Le patriote énergique (bon enfant, puisque pour se mettre à la hauteur il n'a rien oublié, excepté de faire du mal) est, le seul qui discute son assentiment au retour vers les anciens principes; et la manière dont il prétend prouver qu'il n'a jamais varié dans son opinion est tout-à-fait plaisante. Il veut bien terminer la révolution, mais il ne veut pas la détruire; ce qui en bon français signifierait qu'il veut bien qu'on réédifie pourvu que l'on admire les démolitions. Au reste; il ne faut pas presser de trop près ceux que l'on veut convertir en politique, car on doit à l'Etat compte de sa conduite et non de ses opinions; et quiconque se soumet par le fait n'est pas obligé d'expliquer les motifs de sa soumission, sur-tout lorsque cette explication ferait souffrir sa vanité.

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