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Du Gouvernement considéré dans ses rapports avec le Commerce; par François - Louis - Auguste Ferrier, sous-inspecteur des Douanes à Bayonne. Un vol. in-8°. de 400 pages. Prix : 5 fr., et 6 fr. par la poste. A Paris, chez Perlet, libraire, rue de Tournon, no. 1133; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint Germain-l'Auxerrois, no. 42, vis-à-vis le petit portail de l'église.

DEPUIS

EPUIS long-temps j'attendais un bon ouvrage sur l'administration pour développer quelques idées qui font partie des articles que j'ai promis sur la philosophie moderne; je dois donc commencer par des remercîmens à l'auteur de l'excellent volume qui m'offre l'occasion de m'expliquer à cet égard.

Un des caractères distinctifs de la littérature du dix-huitième siècle, est de s'être livrée à des discussions sur la politique, l'administration, les institutions et les lois, et d'avoir fait entrer dans le domaine de l'imagination des objets qui ne se décident que par l'expérience. Les arts et la poésie reconnaissent un beau idéal; celui-là n'est artiste ni poète, qui ne sent pas toute la valeur de ce mot, et qui croit avoir atteint le but lorsqu'il a servilement imité la nature en morale même, il beau idéal; car qui peut fixer les bornes de la perfection humaine? Mais en politique et en administration les faits seuls sont des vérités, et il n'y a rien là pour l'imagination. Jusqu'au règne de la philosophie, on ne parlait du gouvernement et des peuples que dans les livres consacrés à l'histoire; aussi ne croyait-on pas qu'ils dussent être

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brillans on exigeait qu'il fussent instructifs, et que l'auteur ne jugeât point avec les idées de son siècle les faits et lesprit des siècles précédens. Nos livres sur l'administration, sérieux et en petit nombre, étaient composés par des hommes qui, ayant occupé de grandes places, se contentaient de laisser au public des mémoires positifs sur ce qu'ils avaient fait et vu pendant qu'ils avaient été chargés des intérêts de l'état; en un mot, tous les ouvrages 'de politique et d'administration écrits en France jusqu'au milieu du dix-huitième siècle, considéraient notre patrie, non comme un espace de terrain habité par des individus, mais comme une nation ayant des mœurs, des institutions, des lois, une religion, des rivaux, et un caractère.

Tout changea avec la philosophie : la France fut traitée comme une abstraction, et l'on ne reconnut de positif que les principes les plus abstraits. On trouvait admirable qu'un homme en place sût faire des couplets; mais on le sifflait impitoyableinent s'il voulait opposer aux folies nouvelles l'expérience qu'il avait acquise par ses travaux. Défendait-il le gouvernement? il était partisan du despotisme. Expliquait-il la marche de l'administration? c'était un esprit faible, asservi par la routine. Dès qu'il avait un titre pour s'occuper de ces matières, on lui refusait le droit d'avoir une opinion, à moins qu'elle ne fût contraire à ses devoirs: dans ce cas, on le déclarait grand homme et partisan des idées libérales. Le privilége de discuter les intérêts des nations devint le partage de ceux qui voulaient se faire un nom dans la littérature: plus ils étaient loin des affaires, plus leur succès était grand, car sur de pareils sujets on n'est jamais plus affirmatif que lorsqu'on ne consulte que son magination; et tel homme qui n'aurait pas été capable d'être bailli d'un village, pouvait cepen

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dant faire un petit plan de constitution dans lequel les lecteurs trouvaient toujours quelques bonnes idées. A force d'orgueil et de puérilité la politique tomba dans un tel avilissement, que les romans même se l'approprièrent; et depuis Telephe et Bélisaire jusqu'au Noir comme il y a peu de Blancs, toutes les questions qui intéressent les nations, toutes les sottises que nous avons depuis entendu proclamer; tous les systèmes que nous avons essayé de réaliser, avaient été traités pour les laquais et pour les femmes-de-chambre par les romanciers c'est ainsi que la démocratie s'était glissée dans toutes les têtes avant que la désorganisation ne s'introduisit dans l'Etat. Réformer, juger et condamner parut aux écrivains la plus sublime des occupations: sans sortir de Paris, ils se mirent à parcourir l'Europe en profonds observateurs. Tout ce qui les frappait en bien, ils nous l'offrirent de la meilleure foi du monde. D'une ignorance entière sur les vrais intérêts de leur patrie, ils imitaient ces gens qui ne savent leur langue que par habitude s'ils se mettent à étudier une langue étrangère, ils sont tout émerveillés de voir qu'il y a des règles qui en fixent la marche, et déclarent aussitôt qu'elle est bien au-dessus de celle qu'ils ont apprise sans savoir comment. Autant en est arrivé à nos philosophes, lorsque, cherchant le beau idéal de la politique, ils se sont mis à étudier les nations étrangères dans les livres : en découvrant la raison des choses qu'ils apprenaient, ils ont crié au miracle; et comme ils ignoraient la raison des lois et des institutions de leur patrie, toutes les comparaisons qu'ils ont faites ont tourné à notre désavantage. Avec un peu plus de réflexion ils n'auraient pas été étourdis de l'éloge que tous les peuples de l'Europe font d'eux-mêmes, et des reproches que leurs écrivains adressent aux

Français ne suffisait-il pas à ces nouveaux penseurs de remarquer un semblable accord pour sentir que la nation dont on adoptait les usages et la langue, dont on s'occupait sans cesse même pour l'injurier, et qui ne répondait jamais à ces attaques, jouissait d'une supériorité incontestable. Mais on voulait absolument du neuf en politique: nous en avons eu plus que nous n'en desirions, assez pour nous corriger. Malheureusement il n'en est pas de même en administration; à cet égard nous sommes encore tout anglais.

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Avez-vous lu Smith, m'a-t-on dit souvent?» Non; mais je connais bien les Mémoires de Sully. Lisez Smith. — J'ai étudié les ouvra»ges de Forbonnais, qui rappellent souvent les » belles ordonnances de Colbert. Lisez Smith. J'ai lu plusieurs fois l'Administration de la France par M. Necker, ouvrage curieux par » les faits positifs, quoique écrit avec emphase. » Lisez Smith. Soit. Mais quelle place a-t-il » occupée en France? -Aucune; c'est un Anglais. -Eh Eh bien! quelle place a-t-il occupée en Angle» terre? Aucune; aussi n'a-t-il pas écrit pour » son pays, mais pour l'Europe entière: lisez » Smith. » J'ai lu Smith, et j'ai été tout étonné de sentir que je le savais déjà par cœur. En effet, tous les ouvrages sur l'administration qui ont paru en France depuis quelques années, les dissertations couronnées par l'Institut, les mauvais principes développés en style plus ou moins mauvais, ne sont que des commentaires, des imitations ou des paraphrases de Smith. En Angleterre, par politesse j'ai voulu parler de lui comme d'un génie, et les hommes de bon sens se sont moqués de moi. Aussi lorsque j'affirme que nous sommes encore tout anglais dans nos livres sur l'administration, je ne veux pas dire que nous soyions partisans de l'ad

ministration anglaise ; mais seulement que nos beaux-esprits économistes ont pris pour législa teur suprême un Anglais qui n'a ni influence, ni réputation dans son pays; et que le ministère s'est amusé un jour à faire commissaire des douanes en Ecosse, positivement parce que son ouvrage entier est dirigé contre toutes sortes de prohibitions, et particulièrement contre les douanes. Smith a accepté la place, pour montrer sans doute que le beau idéal en administration ne doit régler la conduite d'aucun homme et d'aucun gouvernement.

S'il fallait prouver, même pour ceux qui croient à la puissance des livres, qu'en administration comme en politique il n'y a que les faits qui méritent d'être comptés, je ferais remarquer que les ouvrages de Sully (1), de Forbonnais, de M. Necker en France, de Davenant et de Stewart en Angleterre, ouvrages qui reposent sur des faits, sont les seuls qui trouvent place dans les bibliothèques, et qui survivent à tous les systèmes. Que sont devenus au contraire les cent mille volumes nés de la doctrine économique du médecin Quesnay? Que deviennent les innombrables dissertations qui naissent chaque jour de la doctrine de Smith? Čes inalheureux ouvrages systématiques, qui proclament sans cesse les écarts de l'imagination comme des découvertes lumineuses, tombent bientôt dans l'oubli, quoiqu'ils soient sans cesse vantés à leur apparition. En effet, les journalistes qui n'enten

(1) Il est bon d'observer que les partisans exclusifs de l'agriculture se vantent d'avoir Sully pour eux, tandis que les partisans exclusifs du commerce le regardent comme un ennemi: le fait est que Sully était étranger à tous les systèmes; qu'administrant après une longue guerre civile, il devait naturellement ses premiers soins aux campagnes. dévastées; et que confident des projets de son roi, il devait encore remonter l'artillerie et former un trésor avant d'éveiller l'esprit de commerce. Les grands hommes ne sont pas systématiques; mais les petits esprits aiment à appuyer leurs systèmes sur quelques grands

noms.

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