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rendant toute leur valeur; en prouvant par l'exemple des administrateurs qui ont laissé des Mémoires positifs que les mots, dans leur ancienne acception, répondent à des vérités d'expérience, et que les gouvernemens qui s'en sont servis jusqu'à présent ne sont pas aussi bêtes que les beaux esprits économistes essayent de le faire croire. De règle générale, rien ne témoigne davantage en faveur de la vérité d'une idée, que la facilité de l'exprimer, de la prouver dans des termes définis pour tout le monde; et ce talent distingue particulièrement l'ouvrage de M. Ferrier. Il a encore un autre mérite dont nous ne saurions trop le louer, c'est un accord parfait entre les vrais principes de politique et d'administration, et les principes éternels de la morale. Jamais l'auteur ne s'écarte de son sujet, et cependant il est peu d'idées fausses qu'il ne repousse, peu d'idées vraies qu'il ne trouve le moyen d'appuyer. Nous regrettons que le défaut d'espace ne nous permette point de citer les premières pages du chapitre intitulé: De la France et de l'Angleterre comparées dans l'esprit de leur commerce; ce morceau est d'un esprit juste, d'un bon écrivain, et d'un Français qui connait bien les bases de la prospérité de son pays. Peutêtre y reviendrons-nous dans un autre numéro: les livres dont on nous accable aujourd'hui sont en général si mauvais, qu'il faut quelquefois retourner sur ses pas pour trouver l'occasion de loner.

L'ouvrage de M. Ferrier est du petit nombre de ceux dont un honnête homme desire le succès; il est si clair qu'il sera compris de tous les lecteurs. Dans un moment où l'on fait de l'économie politique un art mystérieux qui a son langage à part, on ne peut qu'applaudir à la publication d'un livre qui rend à cette science tout ce qu'elle a de positif, et avec lequel les ignorans qui ont si sou

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vent raison pourront enfin combattre avantageusement les savans qui presque toujours ont tort. FIÉVÉE.

De la Peinture, considérée dans ses effets sur les hommes de toutes les classes, et de son influence sur les mœurs et le gouvernement des peuples; par Georges-Marie Raymond, ex-professeur de géographie et d'histoire à l'Ecole centrale du département du Mont-Blanc, actuellement professeur de mathématiques, membre associé de l'Académie de Nîmes, et correspondant de l'Athénée de Lyon. Ouvrage quia obtenu une mention honorable au concours de l'Institut national, de l'an 6. Un vol. in-8°. Prix : : 2 francs 50 cent,, et 3 francs 25 cent. par la poste, A Paris, chez Charles Pougens, quai Voltaire, n°. 10; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, n. 42.

DANS un discours académique on veut toujours présenter des vues nouvelles; fussent-elles hasardées et même fausses, on les adopte pourvu qu'elles soient brillantes. Si l'on était privé de cette ressource, on n'aurait le plus souvent à développer que des vérités rebattues. Voilà un des grands inconvéniens des questions proposées par les académies; souvent ces questions ont été résolues depuis plusieurs siècles il est alors de toute nécessité que les concurrens se battent les flancs pour trouver du nouveau, de l'original et du piquant. De là une multitude de paradoxes et de redites qui rendent ces sortes d'ouvrages ou dangereux ou insipides. De tous les discours qui ont été couronnés sur la fin du dix-huitième siècle, et qui avaient. pour objet la solution d'une question politique ou morale, presque aucun n'est resté. Un seul a conservé long-temps

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un grande réputation; c'est celui de Rousseau sur les sciences et les arts; et l'on sait qu'il ne dut son succès qu'a l'extrême bizarrerie des opinions de l'auteur; opinions qu'il n'adopta qu'à l'époque de ce concours, et qui déci dèrent pour toujours sa vocation philosophique. Cet exemple, qu'il n'a pas été inutile de rappeler, prouve le danger des questions oiseuses que la philosophie proposait et propose encore quelquefois à l'inexpérience des jeunes gens. C'est un moyen presque certain de les éloigner pour jamais des routes frayées par le bon sens et le goût.

La question que M. Raymond a traitée n'était pas susceptible d'avoir de semblables résultats. Cependant, comme tout a été dit sur l'essence de la peinture et sur l'influence morale qu'elle peut avoir, on devait présumer, ou

que

les concurrens se traîneraient sur les traces des Dubos, des Winckelman et des Lessing, ou qu'ils s'égareraient dans des théories nouvelles. M. Raymond n'a point évité ce dernier écueil. Ses réflexions sur l'effet que produit la peinture le conduisent à penser que cet art ne peut presque jamais représenter le mouvement d'une action. « Je ren» contre, dit-il, sur la toile, le spectacle des élémens en » désordre et de la nature agitée; je vois ailleurs des per

sonnages en action et tout le développement d'une » action fugitive, et je me demande est-il donc vrai » que la peinture puisse exprimer le mouvement ? est-il » vrai qu'elle puisse faire un récit, et qu'un tableau » devienne, pour ainsi dire, une des pages de l'histoire » du genre humain ?.... Qu'est-ce que c'est en effet » qu'une tempête muette, ou le spectacle d'une bataille

qui se donne dans le silence ?.... Que dirons-nous de » ces corps peints au milieu de leur chute,. de ces cascades » destinées à représenter le mouvement rapide et le fracas » des eaux qui se précipitent ? de ces hommes, de ces ani

>> maux que l'on dit marcher ? de ces oiseaux qui volent et » qui paraissent pris dans les filets où ils sont retenus? de ces barques où l'on voit les pénibles et inutiles efforts des rameurs ? »

En adoptant cette manière froide d'analyser les effets de la peinture, on parviendra à décrier tous les grands maîtres, et à enchaîner le génie de ceux qui peuvent leur succéder. Les Batailles de Lebrun, et les Tempêtes de Vernet paraîtront ridicules; le Déluge du Poussin choquera la vraisemblance; la Transfiguration même do Raphaël ne pourra résister à cette critique. On ne saura aucun gré à ce grand peintre d'avoir exprimé d'une manière si miraculeuse la physionomie divine de JésusChrist, et d'avoir rendu vraisemblable sa situation au milieu des airs. On observera que c'est un corps immobile qui paraît enchaîné ou pris dans un filet. Enfin, les chefs-d'œuvre de toutes les écoles, soumis à cette analyse rigoureuse, n'offriront aux yeux du connaisseur philosophe que des invraisemblances et des bizarreries. Ce n'est pas ainsi que les arts d'imagination doivent être jugés on a dit souvent que l'esprit d'analyse leur était contraire, et ne pouvait que les faire dégénérer; jamais on n'en offrit un exemple plus frappant.

Les vrais principes de la peinture ont été posés et développés depuis long-temps elle n'a point la ressource des préludes et des préparations qui, dans la poésie, motivent les situations les plus violentes. L'action qu'elle offre aux regards, absolument isolée, doit s'expliquer d'elle-même; les figures qui la composent ne doivent point exciter la terreur et le dégoût, soit par des convulsions, soit par des souffrances excessives. Ainsi, le peintre et le poète, voulant exprimer la situation de Phi

loctète, se serviront de procédés tout différens : le poète pourra augmenter par degrés les douleurs du héros et le conduire jusqu'à l'excès du mal qui le tourmente: le peintre l'offrira dans une attitude plus calme; mais il ne cherchera pas moins à faire sentir dans les traits de son visage et dans les objets dont il sera environné, l'abandon auquel il est livré, l'indignation dont il est animé et les douleurs qui augmentent encore sa colère. La même action pourra donc être exprimée par le peintre et par le poète, pourvu que chacun se conforme aux règles de son art. Le poète se souviendra, quand il voudra peindre une passion, qu'il sera jugé sur l'effet que produira successivement chacune de ses idées; le peintre n'oubliera point que l'effet de son tableau dépendra presque du premier coup d'œil: l'un ne négligera rien pour graduer les sentimens de ses personnages; l'autre s'occupera exclusivement à saisir un mouvement vrai et caractéristique. Pour le peintre, le jugement précédera l'analyse; pour le poète, l'analyse précédera le jugement.

La confusion de ces deux genres qui, tendant au même but, y parviennent par des moyens si différens, a fait naître parmi nous de faux systèmes dont l'influence a été plus forte sur la poésie que sur la peinture. De là tant de poëmes descriptifs qui ne survivront point au siècle qui les a produits.

M. Raymond paroît partager l'erreur de plusieurs litté rateurs modernes, relativement à ce genre de poésie. Nous choisirons pour combattre son système, l'exemple qu'il prend pour le soutenir. Il pense que la peinture, en présentant les objets, met des bornes à l'imagination du spectateur, et que la poésie descriptive, au contraire laisse dans l'esprit du lecteur une sorte de vague qui aug

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