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y avoir d'objets inviolables, positivement parce qu'elle ne reconnaissait que les lois de la morale naturelle ! Pour prouver que, du moins devant lui, on respectait Dieu et la vertu, l'auteur aurait dû parler avec mépris à ses enfans et au public des livres faits à cette école; mais il oublie cette précaution pour exalter les hommes de manière à inspirer le desir de connaître leurs productions. Quelle instruction d'un père à ses fils! En parlant de Voltaire, il dit : « Jamais homine de » lettres n'avait essuyé plus d'outrages, sans autres » crimes que de grands talens et l'ardeur de les » signaler.» Est-il possible qu'après la révolution M. Marmontel ignorat que Voltaire avait eu d'autres crimes que de grands talens ? N'avait-il donc pas lu son Dictionnaire philosophique, sa Correspondance, son Essai sur les mœurs des nations; car je ne parle pas de la Pucelle que ce père si prudent recommande à ses enfans par f'admiration dont il l'entoure? Si en effet Voltaire n'a eu d'autres crimes que de grands talens, par quel motif M. Marmontel prétend-il que la cour fit une faute en le tenant éloigné, parce qu'il aurait été contenu plus aisément au sein de la capitale ou dans le château de Versailles? La cour avait-elle donc intérêt à empêcher l'essor d'un écrivain dont le seul crime était de grands talens? J'avoue que je ne conçois rien à cela; et je cite rais cent passages qu'en rapprochant il est aussi difficile d'expliquer, sur-tout lorsqu'on voit l'auteur reprocher jusqu'au rabachage à J. J. Rousseau d'être un écrivain corrupteur. Apparemment que Voltaire n'était pas corrupteur, lui qui a attaqué les principes conservateurs de la société dans tous les teinps, les grands hommes de tous les siècles, et qui, toujours tourmenté du besoin de dégrader, dénaturé jusqu'à l'histoire de Charlemagne, pour

se donner le droit de traiter ce prince avec l'indécence la plus révoltante.

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M. Marmontel, revenu de ses fausses opinions, tenait encore à ses premiers jugemens et à ses inimitiés l'exemple n'est pas d'une bonne morale, mais il a le mérite du naturel. Il défend Belisaire comme si cet ouvrage n'était pas jugé, et traite M. Le Franc de Pompignan comme s'il sortait de la séance de l'académie où cet homme estimable venait de signaler à la France les ennemis du trone et de l'autel. Notre vieillard s'emporte au point de s'écrier « Le malheureux avait conçu l'ambition » d'être je ne sais quoi dans l'éducation des enfans » de France. » Il est de la plus grande indécence au fils d'un petit marchand de Bort de se permettre F'épithète insultante de malheureux envers homme tel que M. Le Franc de Pompignan, bien au-dessus de l'auteur des Contes Moraux pour le talent, et qui jouissait dans le monde d'une considération d'état, toujours respectable dans un pays où les rangs sont comptés pour quelque chose. Les ministres parlaient à Marmontel en lui disant son nom sans y joindre le titre de monsieur; aucun ministre n'aurait osé se permettre cette familiarité avec M. de Pompignan, né d'une famille distinguée, ancien magistrat, et jouissant d'une fortune indépendante dont il fit toujours le plus noble usage. A ne juger même M. Le Franc de Pompignan que par ses mœurs, la dignité de son caractère et l'étendue de ses connaissances. il était digne d'être appelé à l'éducation des enfans de France; et s'il n'a eu que cette ambition, il pa raitra certainement fort modeste en le comparant au fils d'un boutiquier limosin qui, dans le plus ennuyeux des romans politiques, annonça hautement la prétention de régenter tous les rois.

En cédant à ses préventions, à ses inimitiés
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dans un ouvrage fait pour paraitre après sa mort, quel exemple M. Marmontel n'a-t-il pas donné à ceux qui pourraient être tentés de le traiter luimême en ennemi! Aussi lorsque nous avons dit qu'il fut toujours un parfait honnête homme, il faut entendre seulement qu'il eut beaucoup de probité; car pour la modestie, l'oubli des rivalités, le pardon des injures, ce sont des vertus trop chrétiennes pour risquer de tomber jamais dans le domaine de la philosophie. N'ayant rien eu à démêler avec lui, nous n'avons pas besoin d'efforts pour le juger avec impartialité; et nous regardons comme un devoir de séparer l'homme de l'écrivain, ce qu'il a trop oublié de faire en parlant de M. le cardinal de Bernis, de M. de Pompignan, et de tant d'autres personnages auxquels il reste aussi des parens et des amis qui méritaient quelques égards. Ne fût-ce que par prudence, il devait encore s'abstenir d'injures contre Fréron et M. l'abbé Aubert, car sa vieille colère rappelle nécessairement que le seul tort de ces deux critiques envers lui est d'avoir eu assez de goût pour juger ses tragédies dans la nouveauté, comme tout le monde les juge aujourd'hui qu'on ne les joue plus.

Quand on se recueille pour se confesser au public, on entre tout naturellement dans cette onctueuse disposition qui porte à vanter ses qua lités, son esprit, et à révéler les péchés des autres: M. Marmontel avoit la grace suffisante pour s'acquitter de cette double fonction, ce qui promet un grand succès à son ouvrage. Il parle de tant de personnes qu'il pique la curiosité; mais, peu habile à faire des portraits, il montre Crébillon comme un homme ayant des mœurs un peu sauvages, la tournure soldatesque; et le seul mot qu'il cite de lui est plein de grace. L'auteur de Rhadamiste

avait quatre-vingts ans lorsqu'il fut présenté à madame de Pompadour, alors retenue au lit par une légère indisposition: comme il se penchait pour lui baiser la main, Louis XV parut: « Ah! » madame, s'écria Crébillon, le roi nous a sur» pris; je suis perdu. » Comment M. Marmontel a-t-il pu donner des mœurs un peu sauvages à un homme qui se montrait capable de le disputer aux plus habiles courtisans, s'il n'avait préféré l'indépendance à l'intrigue ? M. Marmontel fait aimer Crébillon en le dénigrant; il inspire du mépris pour Voltaire, quoiqu'il le vante sans cesse. Dans ces Mémoires, le philosophe de Ferney ne parait qu'un grand enfant qui pleure et rit, s'emporte et s'apaise sans savoir pourquoi; qui cajole deux heures un marchand pour gagner deux petits écus; qui parle de mourir, et au moment même imite le Paillasse de la foire, chante des chansons poissardes, se lève, et passe la nuit à déclamer des vers de la Pucelle. Au reste, ces détails ne semblent nouveaux que parce qu'ils sont entre-mêlés d'éloges; car tout le monde sait que Voltaire eut la double coquetterie de se faire toujours plus vieux qu'il n'était, et de se vanter pendant quarante ans de n'avoir plus qu'un jour à vivre. Semblable à Polichinelle qui fait le mort quand il voit arriver le commissaire, le grand philosophe avait soin d'alarmer ses amis de Paris sur sa santé, quand il craignait qu'enfin la cour ne se fachât sérieusement; et l'auteur impie, le corrupteur des mœurs, l'ennemi de la gloire de sa patrie n'était plus qu'un pauvre moribond dont on aurait craint de troubler les derniers momens. M. Marmontel dit avec un grand sens, en parlant des injures faites à Louis XVI: « Quelle funeste leçon on a donné » aux rois par l'exemple de celui-ci!» On peut dire de même : « Quelle leçon les philosophes ont

»donnée aux gouvernemens par la duplicité de » leur conduite! »>

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M. de La Harpe, en rendant justice aux talens de Marmontel, à ses connaissances littéraires, ne pouvait trouver la raison de ses paradoxes et de ses inconséquences qu'en affirmant que, s'il fût né dans la Grèce, les Athéniens auraient dit qu'il y avait quelque chose de béotien dans son esprit: pour expliquer les paradoxes et les inconséquences qu'on trouve dans ces Mémoires, il faudrait répéter le mot de M. de La Harpe; nous n'en avons pas acquis le droit,

FIÉVÉE.

:

Phaoniade, ou inni ed odi di Sapho tradotti dal testo greco, in metro Italiano de S. I, P. A. Parma co' tipi Bodoniani,

Nous recevons de temps en temps les nouveautés qui paraissent en Italie. Quand elles nous semblent dignes de quelque attention, nous en parlons dans ce Journal; et malheureusement nous avons trop souvent lieu de remarquer que les faux principes de philosophie, de littérature et de goût y sont admis et appliqués dans toute leur étendue. Quoiqu'on y fasse, comme en France, beaucoup de vers, il est rare que ces sortes de productions soient dignes de l'approbation des connaisseurs. Nous sommes loin d'être au courant de toutes celles qu'on y publie; mais il nous est permis d'en juger par l'ouvrage que nous avons sous les yeux. Ce prétendu recueil de poésies de Sapho est imprimé avec tout le luxe typographique ; Bodoni a donné peu d'éditions aussi belles. H faut en conlure que le poète ou l'imprimeur s'est cru assuré du débit

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