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été volontairement adopté, elle n'attaque des habitudes dangereuses que parce qu'elles laissent percer la dépravation. Mais lorsque le fait vient protester contre cette présomption, lors-, que l'immoralité s'efface, lorsqu'il ne reste plus qu'un fait matériel indépendant de la volonté de l'agent, l'infraction à la loi de police subsisterait peut-être encore, mais le délit moral, le délit que la loi a prévu et puni, a cessé d'exis

ter.

Le vagabondage, isolé des circonstances accessoires qui peuvent en modifier la gravité ou la nature, a été l'objet d'une pénalité particulière. L'art. 271, qui a subi lors de la révision du Code pénal d'assez graves changements, renferme trois dispositions distinctes: la peine propre du délit, l'emprisonnement; les mesures préventives dont les vagabonds sont l'objet, la surveillance; enfin, les mesures répressives qui sont applicables aux vagabonds de moins de seize ans.

La peine principale n'a pas varié ; la première partie de l'art. 271 est restée conçue en ces termes : « Les vagabonds ou gens sans aveu qui auront été légalement déclarés tels, seront, pour ce seul fait, punis de trois à six mois d'emprisonnement. » Cette peine était nécessaire, abstraction faite des mesures dont le vagabond peut ensuite être l'objet, parce qu'elle sanctionne l'incrimination de la loi, parce qu'elle punit le délit moral. Nous remarquerons en passant que, par ces mots : qui auront été lé galement déclarés tels, il faut entendre la condamnation émanée de la juridiction compé tente, et constatant les circonstances caractéristiques du vagabondage. L'autorité administrative peut faire procéder à l'arrestation des individus en état de vagabondage; mais ils ne peuvent être détenus, hors le cas de la prévention, qu'en vertu d'une condamnation émanée des tribunaux.

L'intention du législateur de 1810 avait été de faire suivre l'emprisonnement de mesures plus appropriées au caractère spécial du délit. L'exposé des motifs était ainsi conçu: « Le projet de loi définit le vagabondage; il l'érige en délit et lui inflige une peine correctionnelle: toutefois il ne s'arrête point là. Que serait-ce, en effet, qu'un emprisonnement de quelques mois, si le vagabond était ensuite purement et simplement replacé dans la société à laquelle il n'offrirait aucune garantie? Celui qui n'a ni domicile, ni moyens de subsistance, ni profession, ni métier, n'est point, en effet, membre de la cité; elle peut le rejeter et le laisser à la disposition du gouvernement, qui pourra, dans

sa prudence, ou l'admettre à caution si un citoyen honnête et solvable veut bien en répondre, ou le placer dans une maison de travail jusqu'à ce qu'il ait appris à subvenir à ses besoins, ou enfin le détenir comme un être nuisible et dangereux s'il n'y a nul amendement à en espérer. » La même pensée s'était déjà manifestée dans les discussions du Conseil d'état. M. de Cessac avait demandé par quel motif les vagabonds seraient conduits dans une prison où ils conserveraient leurs habitudes d'oisiveté, plutôt que dans une maison où ils seraient obligés de travailler; et M. Regnault avait répondu qu'on avait le projet d'organiser des travaux dans les lieux où ils seraient détenus [1].

Ainsi l'intention du législateur était de soumettre les vagabonds à des travaux, soit pendant le cours, soit après l'expiration de leur peine. Telle était la pensée qui avait dicté la deuxième disposition, aujourd'hui abrogée, de l'art. 271 portant: « que les vagabonds demeureraient, après avoir subi leur peine, à la disposition du gouvernement pendant le temps qu'il déterminerait, eu égard à leur conduite. » Si la puissance que cette disposition attribuait à l'administration était vicieuse, c'était surtout parce qu'elle était indéfinie et vague. La pensée qui respirait au fond était essentiellement morale: la loi, après avoir puni l'agent, se prenait à sa position sociale; elle s'imposait la tâche de la modifier, de réformer les mœurs qui l'avaient produite, et de fournir à l'agent, en lui imprimant de laborieuses habitudes, des moyens d'existence et un métier.

Cette intention prévoyante et sage a échappé au législateur de 1832; il n'a été frappé que du pouvoir arbitraire que la loi pénale avait laissé à l'administration et de quelques abus qui en avaient été la suite. Au lieu de restreindre son droit, il l'a supprimé. « Nous n'avons pas conservé, disait la commission de la Chambre des Pairs, la mise à la disposition du gouvernement, peine indéfinie et arbitraire, qui ne peut plus aujourd'hui être maintenue dans le Code. Vainement on en chercherait dans nos lois la définition, et le terme de ce servage n'est fixé nulle part. Nous avons remplacé une peine si exorbitante par le renvoi sous la surveillance de la haute police [2]. » Le deuxième paragraphe de l'art. 271 a, en conséquence, été remplacé

[1] Procès-verbaux du conseil d'état, séance du

19 août 1809.

[2] Code pénal progressif, p. 207.

par celui-ci : « Ils seront (les vagabonds) renvoyés, après avoir subi leur peine, sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins, et dix ans au plus. »>

Mais quel rapport avait la surveillance, réduite au droit d'interdiction locale, avec le vagabondage? I importe peu d'interdire au vagabond l'accès de quelques localités, de quelques villes; ce qu'il importe, c'est de refréner de funestes habitudes, c'est de lui assurer des moyens d'existence, de lui faire prendre une place utile dans la société : la loi le punit parce · qu'il n'a ni profession ni moyens de subsistance, elle doit donc lui fournir ces moyens et ce métier. Après leur peine subie, ce n'est pas sous une surveillance inutilement flétrissante qu'ils doivent être placés, mais bien dans une maison de travail où ils demeureraient jusqu'à ce qu'ils eussent appris à gagner leur vie. Telle était l'idée qui faisait l'objet de l'amendement présenté par M. Charles Comte, et qui modifiait l'ancien art. 271 en ce point seulement, que le temps pendant lequel le vagabond restait à la disposition du gouvernement devait être déterminé, par le jugement ou l'arrêt de condamnation, dans les limites de six mois à cinq ans. Le projet du Code pénal belge a recueilli cet amendement, rejeté par notre Chambre des Députés ; l'art. 271 de ce projet porte : « Ils seront renfermés, après avoir subi leur peine, dans une maison de travail ou dépôt de mendicité, pendant le temps qui sera fixé par le jugement ou l'arrêt de condamnation, et qui ne pourra excéder dix ans.

à l'art. 58 et aux condamnés en récidive; et la chambre criminelle de la Cour de cassation a persisté à dénier le droit de remettre la surveillance, en ce qui concerne les condamnés pour vagabondage [3]. Il est cependant assez difficile de saisir les différences qui peuvent séparer ces deux hypothèses.

Posons, d'abord, comme une règle qui n'est plus aujourd'hui contestée, au moins en ce qui concerne les condamnés en récidive, que les tribunaux correctionnels, investis par l'article 463 non-seulement du droit de modifier la peine de l'emprisonnement, mais de la retrancher, peuvent, à plus forte raison, se dispenser de prononcer la peine de la surveillance ce sont les termes de l'arrêt du 2 janvier 1836. Dès lors, il faut écarter de la discussión tous les arguments qui se puisaient dans les termes restrictifs de l'art. 463; le terrain a changé : il est reconnu que le pouvoir d'atténuation, en cas de circonstances atténuantes, s'étend même à la surveillance; il ne s'agit plus que de savoir si la loi par son texte, ou le délit de vagabondage par sa nature, repoussent formellement cette application. C'est en effet, sur ce double argument que la Cour de cassation s'appuie pour persister dans sa jurisprudence.

« L'art. 271, suivant cette Cour, étant conçu en termes généraux et impératifs, ne permet pas aux cours et tribunaux d'affranchir de la surveillance les individus qu'ils déclarent convaincus du délit de vagabondage [4]; cet article ne contient de dispositions facultatives que pour la fixation de la durée de l'emprisonnement [5]. »

A cette argumentation nous ne ferons qu'une réponse : c'est que l'art. 58 est conçu dans des termes identiquement les mêmes que l'art. 271; les expressions sont également impératives, également générales, et toutefois elles n'ont point fait obstacle à ce que la surveillance pût être radiée dans le cas de cet art. 58. Cette forme, en effet, est commune à toutes les dispo

Une question grave et récemment agitée par la jurisprudence se présente actuellement : les tribunaux correctionnels peuvent-ils dispenser les condamnés pour vagabondage de la surveillance, en vertu de l'art. 463? Cette question a déjà été discutée par nous, mais seulement à l'égard des condamnés en récidive et de l'application de l'art. 58 du Code pénal [1]. Nous avons les premiers soutenu que les juges avaient le pouvoir, en cas de circonstances at-sitions du Code, parce qu'elles statuent pour ténuantes, d'effacer la peine de la surveillance formulée par cet article ; et les chambres réunies de la Cour de cassation, après que la chambre criminelle l'eut repoussée par vingt arrêts, ont enfin solennellement consacré cette opinion [2]. Mais cette jurisprudence s'est arrêtée

[1] Voyez notre tome 1er, p. 22.

[2] Arr. cass, 2 janv. 1836.

[3] Arr. cass. 18 juillet 1833, 26 sept. 1834, 25 juin 1835, 5 nov. 1835, 11 juin 1837.

des cas généraux; mais l'art. 463 domine toutes ces dispositions, alors même qu'elles ne l'ont point réservé; pour l'exclure, il faudrait un texte précis : ce texte, faut-il le chercher dans ces autres termes de l'art. 271, qui soumet les condamnés à la surveillance, après avoir subi

[4] Cette surveillance est de droit nouveau et n'existe pas dans le Code de 1810. [5] Arr. cass, 20 sept. 1834.

leur peine? Mais ces mots emprnntés de l'article 47, ne font qu'indiquer la nature même de la surveillance, qui ne peut saisir le condamné qu'à l'expiration de sa peine corporelle; on ne peut donc en induire aucune conséquence spéciale.

Le deuxième motif est puisé dans la nature même du délit de vagabondage: l'arrêt du 11 août 1837 se fonde sur ce que : « il résulte de l'exposé des motifs qui ont dicté cette disposition, que le législateur n'a pas voulu qu'après avoir subi l'emprisonnement dont il se rend pumissable, l'individu légalement déclaré vagabond pûtêtre replacé purement et simplement dans la société, qu'en obligeant impérativement les tribunaux à le mettre, dans tous les cas et sans distinetion, sous la surveillance de la haute police, la loi le considère, par le seul fait de sa condamnation, comme s'il n'était point membre de la cité, et ne voit en lui qu'un être essentiellement dangereux ou nuisible pour elle; que cette peine doit donc toujours lui être appliquée à ce titre, de quelques circonstances atténuantes que le fait de la condamnation principale se présente environné, par la triple raison qu'elle est, de sa nature, préventive, spéciale et d'ordre public. »

On doit remarquer que les considérants de cet arrêt sont puisés dans l'exposé des motifs de l'orateur du gouvernement. Mais d'abord, ces motifs sont inexactement reproduits; ensuite, leur objet était de justifier la mise à la disposition du gouvernement que la loi du 28 avril 1832 a supprimée. C'est pour motiver cette mesure extraordinaire que le législateur sentait le besoin de déclarer que le vagabond n'était pas membre de la cité, et que le gouvernement devait avoir le droit de le détenir comme un être nuisible et dangereux, s'il ne laissait espérer nul amendement. Mais ces motifs ne peuvent plus être invoqués aujourd'hui ; car si le vagabond devait encore en effet être considéré comme rejeté de la cité, si la loi ne voyait en lui, comme le prétend l'arrêt, qu'un être essentiellement nuisible et dangereux, ce n'est pas une surveillance temporaire qu'elle prononcerait, mais bien une peine perpétuelle, comme l'avait fait l'ancien art. 271. La loi nouvelle a pu se tromper sur la nature des mesures qu'elle a prononcées, mais elle a voulu ramener ces mesures aux proportions du délit; elle a vu dans le vagabond un être dangereux, mais non pas essentiellement nuisible: la peine temporaire qu'elle a fait succéder à une peine perpétuelle suppose nécessairement une modification dans son principe. Dès lors, l'application de cette

peine cesse d'être indispensable, puisque la perversité de l'agent n'est plus admise comme un fait invariable. C'est aux juges à apprécier sa moralité, et à graduer les mesures dont il peut être l'objet, à raison du péril dont il menace la société. Cette règle générale ne trouve aucune limite dans cette matière spéciale.

L'arrêt ajoute, à la vérité, que la surveillance doit être invariablement maintenue, par le triple motif qu'elle est préventive, spéciale et d'ordre public. Mais, en premier lieu, pourquoi cette triple raison ne se rapporterait-elle qu'au vagabondage? La surveillance de la haute police change-t-elle de nature quand elle s'applique à ce délit ? Cesse-t-elle d'être préventive ou d'ordre public, quand elle est infligée aux voleurs de profession par l'art. 401, ou aux condamnés en récidive par l'art. 58? Dans ces diverses hypothèses, la société n'a-t-elle pas le même intérêt à suivre les pas de l'agent, à surveiller ses actes; et cet intérêt ne devient-il pas même plus pressant quand il s'est déjà rendu coupable d'un délit ? Évidemment l'arrêt a confondu encore la mise à la disposition du gouvernement et la surveillance; il attribue à cette dernière peine les caractères qui n'appartenaient qu'à l'autre; et ce qui atteste surtout cette confusion, c'est cette spécialité de la surveillance relativement au vagabondage. Sans doute la mise à la disposition du gouvernement était une mesure spéciale pour les vagabonds; mais la surveillance qui l'a remplacée est une mesure commune et générale pour tous les condamnés. Il n'y a plus lieu de voir un lien intime et nécessaire entre la peine et le délit ; car sur quelle raison se fonderait ce lien? Le vagabondage doit être réformé par le travail; ce qui lui faut, c'est une tutelle qui étende sa prévoyance sur toute la vie de l'agent. Sera-ce là l'œuvre de la surveillance qui abandonne le condamné à luimême, qui lui livre les grandes routes, qui lui aplanit les difficultés de sa vie vagabonde, qui se borne enfin à lui interdire l'accès de quelques villes, comme si ce n'était que dans ces villes qu'il peut continuer le même genre d'existence? La raison, pas plus que la loi, n'admet donc une corelation intime entre la peine et le délit : ce n'est point une peine spéciale, puisqu'elle n'exerce aucune action particulière sur l'agent; et dès-lors rien ne s'oppose à ce que cette peine soit effacée par les juges.

Ces observations suffisent pour établir que la question relative à la remise de la surveillance, en vertu de l'art. 463, est identique dans le cas de l'art. 271. Les mêmes raisons militent, dans l'une et l'autre hypothèse, pour la même solu

Lion. Dans ce dernier article comme dans le premier, la règle qui veut que la peine soit graduée sur la moralité réelle du prévenu, s'op pose à ce qu'une pénalité reste inébranlable et fixe, quelles que soient les circonstances favorables qui environnent l'agent. Dans l'un et l'autre cas, il serait également contradictoire que la peine principale pût descendre au taux des peines de simple police, et que la peine accessoire seule reståt inébranlable et sans degrés. La jurisprudence de la Cour de cassation se combat done ici par cette jurisprudence ellemême après avoir admis le principe, elle se contredit en ne l'appliquant pas au cas prévu par l'art. 271.

Les vagabonds âgés de moins de seize ans font l'objet du зme paragraphe de l'art. 271; ce paragraphe, ajouté par la loi du 28 avril 1832, est ainsi conçu : « Néanmoins les vagabonds âgés de moins de seize ans ne pourront être condamnés à la peine d'emprisonnement; mais, sur la preuve des faits de vagabondage, ils seront renvoyés sous la surveillance de la haute police jusqu'à l'âge de vingt ans accomplis, à moins qu'avant cet âge ils n'aient contracté un engagement régulier dans les armées de terre ou de mer. »

Cette disposition fut adoptée sur la proposition de M. Charles Comte. Ce député avait formulé son amendement en ces termes : « Le prévenu de vagabondage qui sera âgé de moins de seize ans, ou qui prouvera qu'il n'a pu exercer ancun métier ni profession, ni être admis dans une maison de travail, ne sera pas condamné à la peine d'emprisonnement; mais, sur la preuve des faits de vagabondage, il sera mis à la disposition du gouvernement pour un temps qui ne pourra être ni de moins de six mois ni de plus de cinq ans. Le gouvernement exercera sur les mineurs à sa disposition en vertu de cet article, l'autorité attachée à la puissance paternelle, jusqu'à l'expiration du temps pour lequel ils auront été mis à sa disposition. »> La commission de la Chambre des Députés, saisie de l'examen de cet amendement, exprima son opinion en ces termes : « La commission a reconnu que l'emprisonnement étant une peine, on ne pouvait l'infliger à un enfant que son âge peut faire considérer comme exempt de toute culpabilité; elle a pensé qu'on avait seulement le droit de le surveiller et de le retenir comme vagabond. En

[1] Code pénal progressif, p. 267.

conséquence, la commission propose d'exempter de l'emprisonnement le prévenu de vagabondage âgé de moins de seize ans, et de le mettre seulement à la disposition du gouvernement jusqu'à l'âge de vingt ans. La disposition suivante tendrait à donner au gouvernement, sur les mineurs mis à sa disposition, l'autorité attachée à la puissance paternelle, jusqu'à l'expiration du temps pour lequel ils auront été mis à sa disposition. Cet amendement nous a paru violer les droits de la famille, et transporter au gouvernement des droits qui ne lui appartiennent pas [1]. » La Chambre des Députés n'adopta en conséquence que la disposition qui exemptait de l'emprisonnement les jeunes gens âgés de moins de seize ans. La Chambre des Pairs modifia ensuite cette disposition en substituant à cette mesure la surveillance.

On avait douté, sous l'empire du Code pénal de 1810, que les enfants mineurs pussent se trouver en état de vagabondage. Les motifs de ces doutes étaient que le mineur a son domicile chez ses père et mère; qu'on ne peut lui adresser le reproche de ne pas exercer de profession, et qu'il n'est pas besoin qu'il justifie de ses moyens de subsistance, puisque l'obligation de le nourrir, de l'entretenir et de l'élever est imposée à ses parents. C'est par ces raisons que la Cour royale de Colmar a jugé que l'enfant mineur qui a ses père et mère ou un tuteur, ou qui est sous la tutelle des hospices, ne peut se trouver légalement en état de vagabondage [2], Mais cette décision n'était pas fondée: elle confondait le domicile d'origine et le domicile d'habitation; elle supposait que les obligations imposées à la famille font disparaître l'immoralité et le danger du vagabondage. « Le vagabondage, a dit le procureur général près la Cour de cassation dans un réquisitoire adopté par cette cour, est dangereux à tout àge; il a surtout pour un enfant ce caractère particulier de façonner son âme à l'oisiveté, de lui inspirer le dégoût du travail, et de le mettre sur le penchant du vice. Si trop jeune encore il ne sent pas tout le mal qu'il se fait à lui-même, et celui dont il menace la société, la justice trouve dans nos Codes des dispositions qui lui permettent d'atténuer la peine; mais la loi veut une punition [3]. » Au reste, la nouvelle disposition ajoutée à l'art. 271 a fait disparaître la difficulté; il est évident, en effet, que les mineurs, même de seize ans, peuvent être

[3] Arr. cass. 21 mars 1823 (Sirey, 1823, 1,

[2] Arr. cass. 10 et 11 nov. 1831 (Sirey 1832, 249). 2, 345.)

déclarés en état de vagabondage, puisque la loi prescrit les mesures qui leur sont applicables après cette déclaration.

Le réquisitoire que nous venons de citer supposait également que l'art. 271 avait implicitement dérogé aux articles 66 et 69, et que par conséquent les mineurs de seize ans en état de vagabondage ne pouvaient invoquer le bénéfice de leur âge. Cette jurisprudence fut critiquée par M. Carnot [1], et cette critique n'était pas sans fondement; mais cette question s'est effacée devant le nouveau paragraphe de l'art. 271. Il est visible maintenant que cette disposition déroge formellement aux art. 66 et 69; car elle s'applique comme ces articles à des prévenus de moins de seize ans, et elle prescrit pour eux, dans le cas particulier qu'elle prévoit, des mesures spéciales qui remplacent évidemment les dispositions générales portées par ces articles. Ainsi la question de discernement ne doit point être posée à l'égard des prévenus de vagabondage âgés de moins de seize ans mais, quelle que soit leur culpabilité, ils ne peuvent encourir que la surveillance de la haute police jusqu'à l'âge de vingt ans ; et cette mesure même doit cesser, s'ils s'engagent dans l'armée.

Les peines portées contre le vagabond peuvent trouver un terme dans deux mesures extraordinaires qui sont spéciales à ce délit : l'une est la réclamation du vagabond par le conseil municipal de sa commune; l'autre est le cautionnement offert par un citoyen solvable. L'art. 273 est ainsi conçu: » Les vagabonds nés en France pourront, après un jugement même passé en force de chose jugée, être réclamés par délibération du conseil municipal de la commune où ils sont nés, ou cautionnés par un citoyen solvable. Si le gouvernement accueille la réclamation ou agrée la caution, les individus ainsi réclamés ou cautionnés seront, par ses ordres, renvoyés ou conduits dans la commune qui les aura réclamés, ou dans celle qui leur sera assignée pour résidence sur la demande de la caution. >>

Cette disposition a été puisée dans l'art. 3 du titre 3 de la loi du 24 vendémiaire an II, qui disposait que « tout citoyen qui consignera entre les mains du receveur du district une somme de cent livres, pour répondre de la conduite ultérieure d'un mendiant détenu sans causes aggravantes, pourra obtenir son élargis sement, en s'adressant au tribunal compétent. »

L'art. 273 établit un véritable mode de libération de la peine, en accueillant la réclamation ou en agréant la caution. Le gouvernement, agissant en exécution de la loi, remet cette peine: le condamné abuse-t-il de la liberté qu'il recouvre, il ne pourrait être repris en vertu du même jugement; ce jugement est exécuté, il reste sans force à son égard.

Cela fut implicitement reconnu dans la discussion du Code; la commission du Corps législatif présenta les observations suivantes : « Si un vagabond né en France est cautionné et sa caution admise, il paraît que cette caution ne saurait être étrangère aux mesures de précaution publique qui seront prises contre cet individu personne n'a plus d'intérêt qu'elle de surveiller sa conduite; mais, s'il est renvoyé dans un lieu éloigné de la caution, elle ne pourra plus exercer de surveillance; elle sera exposée à être compromise sans cesse. Le cautionné pourra se livrer à des délits que la caution aurait eu la possibilité de prévenir, s'il avait été sous ses yeux; elle aurait pu même le rendre meilleur par ses représentations, ou par le travail qu'elle lui aurait procuré. La commission estime donc qu'il y aurait lieu d'ajouter à la fin de l'article ces mots : d'après la demande de la caution. D'ailleurs, aux termes de l'art. 44, si le cautionnement est fourni, le condamné rentre dans la classe des autres citoyens ; si ce cautionnement est agréé, il ne paraît pas que ce soit le cas de la mise à la disposition du gouvernement, et il suffit qu'il soit renvoyé dans sa commune, en cas de réclamation admise, ou dans celle qu'il a indiquée sur la demande de la caution. » Il résulte de ces observalions qui furent adoptées par le Conseil d'état, que la réclamation du conseil municipal ou la caution fait cesser même la mise à la disposition du gouvernement, et que le condamné reprend tous ses droits de citoyen.

La forme de la réclamation de la commune n'offre aucune difficulté. Il n'en est pas ainsi du cautionnement. La loi n'a point expliqué quelle doit être la nature de ce cautionnement, comment il doit être donné, enfin quels doivent être ses effets. Il est évident qu'il s'agit ici, comme dans l'ancien article 44, d'une caution de bonne conduite; mais il n'est pas nécessaire que le cautionnement soit déposé en espèces, car l'art. 271 veut qu'il ne soit reçu que d'un citoyen solvable, tandis que l'art. 44 l'admet tait de la part de toute personne. Quant au taux de ce cautionnement et aux risques qu'il

[1] Commentaire du Code pénal, t. 1, p. 637, et entraîne, c'est au contrat passé entre l'adminisSirey, t. 23, p. 249.

tration et la caution à régler ces deux points;

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