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conçu : « Sont dispensées de l'autorisation les sociétés scientifiques actuellement établies. »> M. Guizot l'a combattu en ces termes : « Il est évident pour tout homme de sens, qu'aucune de ces associations, si elle est en effet purement scientifique, ne manquera d'obtenir l'autorisation quand elle la demandera; et, quant à celles qui ne croiraient pas devoir la demander, ou bien on la leur donnera d'office, ou bien on les laissera se livrer à leurs travaux sans s'en inquiéter nullement. La question se réduit donc à savoir, pour les sociétés littéraires comme pour les autres, s'il faut les excepter nominalement de l'article 1er de la loi; or la chambre a déjà jugé cette question : elle a vu, par tous les amendements qui lui ont été proposés, qu'il n'y avait rien de si facile que de rétablir sous le manteau d'une société littéraire, les sociétés politiques que la loi veut détruire. C'est là l'unique motif de la généralité de l'article: il ne s'adresse évidemment ni aux associations littéraires, ni aux sociétés scientifiques; mais il ne veut pas que les noms servent de masque pour éluder la loi et pour rendre aux associations politiques une existence que la loi veut éteindre[1]. »

Une difficulté peut se présenter ici : à côté de la prohibition de la loi, qui est absolue, s'élèvent les explications du législateur, qui, telles que celles qu'on vient de lire, en restreignent la puissance aux seules associations politiques. C'est ainsi qu'on a répété plusieurs fois dans la discussion que l'objet unique de la loi était d'atteindre les associations existantes, organisées, armées pour la guerre qu'elles ont déclarée à l'Etat; que la généralité de l'article n'est pas sérieuse, qu'elle n'a d'autre but que d'ôter les moyens de l'éluder, en formant des associations politiques sous le nom d'une association scientifique ou littéraire. Or, les tribunaux doivent-ils s'arrêter au texte qui est formel, ou aux explications qui ne sont pas moins précises? doivent-ils, en se confiant aux paroles du législateur, restreindre l'application de la loi aux seules associations politiques, ou, se renfermant dans son texte, l'étendre rigoureusement à toutes les sociétés non autorisées, quelles que soient leur pensée et leur couleur ? Cette difficulté seule révèle les inconvénients d'une loi qui inculpe des faits innocents, pour atteindre des actes répréhensibles, et qui établit des peines avec la pensée qu'elles ne seront pas appliquées. Toutefois, nous n'hésiterons pas à dire que le

[1] Moniteur du 22 mars 1834, 2o supp.

texte de la loi doit seul faire la règle du juge : toute distinction serait arbitraire, toute exception serait dépourvue de base. L'association non autorisée de plus de vingt personnes est une infraction, indépendamment du but qu'elle se propose; c'est là l'esprit et la règle de la loi. Les explications législatives ont révélé les motifs secrets de la loi et sa portée politique; elles n'ont modifié ni son texte ni les règles qui doivent servir à l'interpréter. L'innocuité de l'association peut sans doute motiver l'atténuation de la peine; elle ne justifie pas les prévenus, puisque cette infraction est purement matérielle et qu'elle n'est nullement subordonnée à l'intention des contrevenants.

La décision qui a repoussé une exception en faveur des matières littéraires et scientifiques s'est étendue aux matières religieuses; mais la question prend ici une gravité qui exige de notre part quelques développements. Deux points doivent être fixés: il s'agit de savoir si la loi du 10 avril 1834 a modifié d'une manière quelconque, en ce qui concerne les associations formées pour l'exercice d'un culte, les dispositions de l'art. 291; et si ces dispositions, dont la vie incertaine a été si fortement contestée, ont continué de subsister en face de la loi constitutionnelle qui a proclamé la liberté des cultes. Il est évident, en premier lieu, que la loi du 10 avril 1834 n'a rien changé à l'état de la question. Un amendement, en effet, avait été proposé, ainsi conçu : « Les associations ou réunions qui auront exclusivement pour objet la célébration d'un culte religieux seront dispensées de la demande d'autorisation. »> Cet amendement était motivé par l'impossibilité de concilier la liberté des cultes avec la nécessité d'une autorisation pour leur exercice. Cette doctrine ne fut nullement contestée; et si l'amendement fut rejeté, la raison qui entraina ce rejet fut uniquement la crainte que l'association politique ne se couvrit du manteau de la religion pour se dérober aux regards de l'autorité. Les paroles du garde des sceaux qui expriment ce motif semblent même confirmer la pensée qui dicta l'amendement. «Une grande distinction, dit le ministre, doit être faite : s'agit-il des réunions qui ont seulement pour but le culte à rendre à la divinité et l'exercice de ce culte, la loi n'est pas applicable, nous le déclarons de la manière la plus formelle; mais, s'il s'agit d'associations qui auraient pour objet et pour prétexte les principes religieux, la loi leur est applicable, et il serait à craindre que l'amendement ne fût que l'abrogation implicite du principe qui existe à cet égard. Il est inutile s'il a pour objet de

rassurer des libertés qui ne sont pas compromises; il est dangereux s'il peut donner aux associations la faculté de se former en disant seulement qu'elles ont un but religieux. » Ainsi la querelle suscitée entre l'art 291 et la loi constitutionnelle a traversé les discussions de la loi du 10 avril 1834, sans y trouver une solution: il faut donc reprendre cette question, et l'examiner encore après tant d'années de controverse. Nous le ferons le plus brièvement possible.

On peut ramener à deux arguments principaux les raisonnements dont on s'est servi pour continuer à appliquer l'art. 291 aux sociétés religieuses. Les arguments ont été puisés dans une double distinction, essayée d'abord, et puis admise en principe, entre la liberté de conscience et la liberté de l'exercice du culte, entre les cultes existant au moment de la promulgation de la Charte et ceux qui ne se seraient éta blis que depuis cette époque. C'est à l'aide de ces distinctions que la Cour de cassation, considérant l'art. 291 tantôt comme une loi de police et une mesure secondaire de surveillance, tantôt comme une barrière élevée seulement en vue des cultes nouveaux, l'a maintenu jusqu'ici.

Les motifs qui fondent la première sont: «que la prohibition portée par l'art. 291 est une mesure de police et de surveillance prescrite pour le maintien de l'ordre ; que cette mesure concerne les réunions de plus de vingt personnes formées pour s'occuper d'objets religieux, politiques, littéraires ou autres; que l'art. 5 de la Charte, exclusivement relatif à la religion et aux cultes, n'a ni abrogé ni pu abroger la disposition de l'art. 291 sur les réunions s'occupant d'objets politiques, littéraires ou autres; qu'ainsi, pour décider qu'il abroge la disposi tion sur les réunions concernant les objets religieux, il faudrait admettre que dans l'art. 291 il a conservé deux parties dont il maintient l'une et détruit l'autre; que ni cette distinction, ni cette abrogation partielle ne sauraient être reconnues qu'autant qu'on les trouverait écrites dans le texte de l'art. 5, ou qu'elles deviendraient le résultat implicite mais nécessaire de ses dispositions ; que ni l'une ni l'autre ne sont écrites dans le texte qui n'en parle point; qu'elles ne sont pas non plus le résultat implicite mais nécessaire de sa disposition; qu'en effet, nulle incompatibilité n'existe entre l'exercice individuel de cette liberté, et l'obligation de la subordonner aux mesures de surveillance et de police que réclame le maintien de l'ordre, lorsqu'il se forme pour l'exercice d'un culte une réunion de plus de vingt personnes [1]. » Dans

un arrêt plus récent, la même Cour, s'attachant à soutenir la même distinction, a posé plus explicitement en principe : « que l'art. 5 de la Charte, en garantissant à chaque citoyen le droit de professer librement sa religion, n'a point entendu soustraire l'exercice public des cultes à l'action de l'autorité; qu'au contraire le § 2 de cet art. 5, en assurant à tous les cultes une égale protection, les soumet tous généralement aux mêmes mesures de police générale ; qu'il suit de là qu'un culte quelconque ne peut être exercé publiquement, qu'autant qu'il a été autorisé par le gouvernement [2]. » Ces deux arrêts résument à peu près l'argumentation que nous avons dessein de combattre.

Ils se fondent, d'abord, sur une disposition entre la liberté de conscience et la liberté de l'exercice du culte, qu'il nous paraît difficile d'admettre. Il est de l'essence de toute religion de porter les hommes qui la professent à s'unir entre eux, à s'associer pour penser et sentir ensemble. C'est ce sentiment impérieux qui a créé le prosélytisme, mot exclusivement consacré à exprimer ce besoin des croyances religieuses. La profession d'un culte, c'est donc le droit, pour ceux qui ont un même symbole et des croyances communes, de se réunir et se former en société. La liberté religieuse c'est le droit de croire et de prier ensemble. En proclamant que <«< chacun professe sa religion avec la même liberté et obtient pour son culte la même protection, » la Charte n'a donc pas proclamé seulement la liberté de conscience, mais la liberté du culte. Et que serait-ce, en effet, que cette libre profession de la religion, si elle était restreinte au culte individuel? La prière isolée a-t-elle besoin de protection? La pensée ne brave-t-elle pas les défenses de la loi? Vous distinguez le culte extérieur, et vous le soumettez seul à l'empire de la loi; mais qu'est-ce donc que le culte intérieur, si ce n'est l'élévation de l'âme vers le dieu qu'elle a choisi; et qu'est-il besoin de l'appui de la loi pour assurer à chacun le droit de suivre en secret ses inspirations religieuses? Cette proclamation solennelle de la liberté des cultes ne s'appliquerait qu'à la liberté de conscience! Mais, avant la Charte, cette liberté était inscrite dans nos lois, et les temps des persécutions étaient passés. Qu'était-il done besoin qu'elle fût scellée dans l'acte constitutionnel? Quel bienfait nouveau apportait-elle parmi nous? Non, la liberté religieuse, ce n'est pas

[1] Arr. cass. 19 août 1830. Sirey, 1830, 1, 311. [2] Arr. cass. 22 juillet 1837. Sirey, 1837, 1, 561.

seulement la liberté de penser, c'est celle de professer son culte, de rechercher ceux qui confessent la même foi, de se réunir dans les mêmes actes de piété, de s'associer pour se rattacher au même symbole. Telles sont les conséquences immédiates du principe que la loi a consacré, et elle n'en a point restreint la puissance.

On affecte de n'apercevoir dans l'art. 291 qu'une mesure de police qui serait destinée à contenir les assemblées religieuses, sans toucher au principe de la liberté. Cette thèse peut être soutenue à l'égard des assemblées politiques, parce que les citoyens n'ont point un droit absolu à se réunir, parce que la liberté d'association se trouve nécessairement subordonnée aux exigences de l'ordre public, et que cet ordre est évidemment compromis, aux époques de fièvres politiques, par des réunions dont les passions peuvent fournir un foyer de sédition : ce qui justifie alors la mesure de police, c'est la nécessité sociale. Mais comment invoquer cette nécessité, quand il s'agit d'une réunion purement religieuse? Car, si la religion n'est qu'un voile destiné à protéger l'ambition humaine, nous ne voulons plus d'exception pour l'association qui s'en fait une égide. Il ne s'agit donc que d'une association exclusivement religieuse; or, une telle association ne peut apporter qu'un trouble faible et secondaire au sein de l'État; elle n'exige point les mêmes précautions de police. Et puis, si le droit de l'association politique est relatif et variable. celui de l'association religieuse est immuable et absolu : là. la mesure de police peut aller, dans certain cas, jusqu'à la prohibition; ici toute entrave serait la lésion d'un droit sacré. Or, est-il besoin de prouver que la nécessité d'une permission pour se réunir est un empiétement sur un principe de liberté qui n'admet aucune limite? Il n'y a point liberté entière d'un culte là où les personnes qui le professent ne peuvent se réunir en quel que nombre que ce soit, sans se trouver en contravention; là où il faut solliciter une permission, et où un officier de police peut, à son gré, fermer le temple et chasser les fidèles. Une pareille puissance anéantit le droit; mais il suffirait qu'elle en restreignît, qu'elle en gênât l'excercice, pour qu'elle fût inconciliable avec la Charte, et cette inconciliabilité en proclame l'abrogation.

Vainement on voudrait soutenir que la loi pénale, comme loi secondaire et de police, peut échapper aux règles générales de la Charte. En ce qui concerne la liberté religieuse, les articles 291 et 294 tiennent la place d'une législation entière, et sont l'application immédiate de

règles générales du même ordre que celles que renferment les articles 5 et 6 de la Charte : il s'agit, dans l'une comme dans l'autre loi, de déterminer la liberté des cultes : elles different l'une de l'autre, puisqu'ici cette liberté est entière, tandis que là elle n'existe qu'avec d'étroites restrictions: mais leur objet est identitique; et dès lors il est impossible que celle de ces deux législations qui a été postérieurement promulguée n'exerce pas une grave influence sur la première. Le Code pénal ne forme point d'ailleurs une de ces lois spéciales qui échappent à l'empire des principes généraux, parce qu'elles sont en dehors du droit commun; il forme lui-même la loi commune, et il subit toutes les modifications qui affectent cette loi même.

Un deuxième argument a pris sa force dans une distinction que la jurisprudence et puis la loi ont introduite parmi les cultes. On sépare les cultes existants au moment de la promulgation de la Charte et ceux qui n'ont pris naissance que depuis ; aux premiers seuls s'appliqueraient ces mots : légalement reconnus par l'État; les autres nés depuis et n'étant point encore émancipés, seraient maintenus sous la tutelle de l'Etat. Telle est la distinction tracée par les arrêts qui ont décidé d'une part : « que les associations de plus de vingt personnes, pour l'exercice des cultes autorisés par l'Etat, ne sont pas dans la catégorie de celles pour lesquelles l'art. 291 exige l'agrément du gouvernement [1], » et d'un autre côté : « que si, depuis la promulgation de la Charte, les lois organiques des cultes reconnus ont conservé leur vigueur, les réunions et associations pour l'exercice en commun des cultes non reconnus ne peuvent jouir du privilége d'être affranchies de toutes règles et prescriptions de la législation générale [2]. » Cette distinction s'est étayée des termes de l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822 qui a puni les outrages faits à un ministre de l'une des religions légalement reconnues en France; plusieurs lois, et notamment celle du 20 avril 1835 aujourd'hui abrogée, ont recueilli les mêmes expressions.

Nous concevons que la loi puisse ne pas ranger sur la même ligne la religion naissante qui n'élève encore qu'une voix timide et presque isolée, et celle que les temps et le respect des peuples ont consacrée la première ne donne aucun gage à la sécurité publique; l'État ne

:

[1] Arr. cass, 23 avril 1830. Sirey, 1830, 1, 301. [2] Arr. cass. 3 déc. 1836.

connait que confusément ses doctrines; il doit la voir avec défiance; elle n'est point encore à l'état de culte, elle végétera longtemps à l'état de secte et d'association. L'autre, au contraire, par ses lois organiques, par ses doctrines éprouvées par la discussion, par le nombre de ses adeptes, offre les plus rassurantes garan. ties. La surveillance qui entoure l'une et l'autre pourra donc n'être pas la même : elle déploiera plus d'activité et de précaution à l'égard de la nouvelle secte; mais elle devra se borner à épier ses actes. Car, quelle que soit la distance qui sépare la secte et la religion établie, leur établissement prend sa source dans le même principe de liberté; elles en sont l'une et l'autre des corollaires identiques. Peut-être toutefois le législateur pouvait-il faire acception des garanties différentes que présentent les deux associations: mais il ne l'a pas fait : la règle qu'il a posée est générale; elle comprend nécessairement toutes les associations qui ont pour objet l'exercice d'un culte.

cette protection spéciale qu'aux cultes dont l'existence est entourée de garanties [1]. Les cultes nouveaux ne demandent point une telle protection; ils n'étendent pas aussi loin celle que la Charte leur assure; ils ne peuvent prétendre qu'à la tolérance, au droit d'exister librement; ainsi, on ne saurait faire rétroagir jusqu'à cette existence même, une distinction qui n'a pour but que d'accorder à certains cultes, qui ont obtenu le droit de cité dans l'État, une protection spéciale. Autre chose est le trouble dont ils peuvent être l'objet, autre chose est le droit même d'exister ce trouble peut être réprimé avec plus ou moins de sévérité, suivant que l'association religieuse mérite plus ou moins de faveur; mais le droit à l'existence n'est pas susceptible du plus ou du moins ; il est un et le même dans toutes les associations; il n'y a point de distinction qui puisse en limiter l'application.

Telles sont les observations dans lesquelles nous sommes forcés par notre matière de renfermer cette immense question. Nous ne pouvons mieux résumer notre opinion qu'en rappelant les paroles de M. le procureur général Dupin, dans l'affaire Poisot. « Dans l'état actuel de notre législation constitutionnelle, disait ce magistrat, je conçois le droit de l'autorité administrative de surveiller l'exercice des cultes comme toute autre réunion; le droit de constater et de faire punir les délits qui peuvent se rattacher à cet exercice, et pour cela l'utilité d'une déclaration préalable pour appeler la sur

A la vérité, on veut limiter l'empire de cette règle aux cultes existants au moment de la promulgation de la Charte. Mais ce ne serait plus alors un principe organique, mais une règle spéciale qui ne s'appliquerait qu'à des associations déterminées: la Charte, au lieu du droit commun, n'aurait établi qu'une exception; les cultes reconnus ne jouiraient de la liberté que par privilége: or, est-il possible d'admettre un tel sens et de telles restrictions, lorsqu'il s'agit des textes de la loi constitutionnelle? N'est-ce pas surtout à l'égard de ces textes que l'inter-veillance. Mais je ne puis admettre ni le droit prétation doit être large et féconde? Et puis, comment comprendre que des cultes puissent être reconnus, c'est-à-dire autorisés par l'Etat? L'administration devra-t-elle se faire dogmatique, casuiste, pour examiner les doctrines, analyser les symboles, critiquer les formes extérieures de telle ou telle croyance? Conçoiton qu'une croyance soit soumise à solliciter des lettres patentes, comme s'il s'agissait d'un titre ou d'un établissement industriel?

Cette distinction a sans doute été faite par quelques lois postérieures à la Charte; mais quel était l'objet de ces lois? de punir des outrages qui auraient pu être commis envers les ministres des cultes, par une peine en quelque sorte privilégiée, d'atteindre par un châtiment également plus grave les vols commis dans les temples; or, lorsqu'il s'agit d'accorder pour ainsi dire un privilége à des cultes, en plaçant leurs ministres et leurs temples hors du droit commun pour les protéger, on conçoit que la loi soit libre de faire une distinction et de n'étendre

péremptoire de refus, ni le silence équivalent au refus, comme moyens légitimes d'empêcher les citoyens d'exercer leur culte en toute liberté. Cette liberté n'est point sujette à autorisation préalable, elle n'est point subordonnée à une permission facultative. »

La liberté de conscience est vaine et stérile si le culte qui en est l'expression n'est pas libre; la liberté du culte n'existe pas s'il a besoin pour s'exercer d'une autorisation préalable. Et c'est le cas de rappeler la parole du chancelier de l'Hôpital, heureusement citée par M. Dupin : « La liberté seule n'est pas liberté. Il n'y a de liberté, en effet, a ajouté ce magistrat, que celle qui est suffisamment garantie et dont on jouit réellement la liberté est l'action; cette liberté est descendue de la philosophie dans les lois : il est temps qu'elle passe des lois dans les arrêts [2].

[1] Voyez notre tome 2, p. 224.

[2] Réquisitoire qui a précédé l'arrêt du 18 sept.

Après avoir fixé le caractère de l'infraction et les conditions de l'incrimination de cette infraction, nous devons passer à l'examen des pénalités qui lui sont applicables. Les dispositions du Code ont été modifiées en France sous un double rapport; l'art. 292 portait : « Toute association de la nature ci-dessus exprimée qui sera formée sans autorisation, ou qui, après l'avoir obtenue, aura enfreint les conditions à elle imposées, sera dissoute. Les chefs, directeurs ou administrateurs de l'association, seront en outre punis d'une amende de 16 à 200 francs. » Ainsi, d'une part, la peine n'était qu'une simple amende de 16 à 200 francs; de l'autre, elle s'arrêtait aux chefs, aux directeurs. L'art. 2 de la loi du 10 avril 1834 a changé ces deux points: « Quiconque, porte cet article, fait partie d'une association non autorisée sera puni de deux mois à un an d'emprisonne ment, et de 50 à 1,000 francs d'amende; en cas de récidive, les peines pourront être portées au double. Le condamné pourra, dans le dernier cas, être placé sous la surveillance de la haute police pendant un temps qui n'excédera pas le double du maximum de la peine. L'art. 463 du Code pénal pourra être appliqué dans tous les

cas. >>>

L'aggravation du taux de la peine a été motivée en ces termes : « Votre commission, a dit le rapporteur de la Chambre des Députés, a porté toute son attention sur la pénalité qu'établit le projet; elle a pensé que la disposition de l'art. 291 était du nombre de celles sur les quelles des circonstances graves ou les nouveaux besoins de la société devraient exercer une in fluence nécessaire et immédiate. Qui pourra, en effet, s'aveugler au point de croire que la pénalité du Code soit une répression suffisante et efficace? Votre commission partage donc l'opinion qu'elle doit être sévère. » Quant à l'application de cette pénalité, non-seulement aux chefs et directeurs, mais aux autres membres de l'association, ses motifs ont été que c'était là le seul moyen de prévenir des affiliations auxquelles on résisterait d'autant moins qu'on saurait à l'avance qu'elles sont sans danger; que si la loi n'atteignait que les chefs, ceux-ci sauraient se cacher, et que les poursuites resteraient impuissantes.

La peine de la surveillance a excité, dans le sein de la Chambre des Députés, de vives récla

1830. (Sirey, 1830, 1, 309).—Voyez cependant la savante dissertation de M. l'avocat général Hello, et l'arrêt de 1838 de la cour de cassation (Journ.

mations; nous citerons ici les paroles du rapporteur : « Devez-vous refuser à la loi cette garantie sans laquelle elle serait inefficace? Vous ne le pensez pas. Quel intérêt pent done inspirer, quelle excuse peut donc invoquer celui qui, connaissant la prohibition de la loi, averti par une première condamnation, s'expose à encourir une seconde fois toute la sévérité de la loi? Cette obstination le constitue en état de rébellion ouverte; sa présence peut inspirer de légitimes inquiétudes, et l'autorité doit avoir le droit de l'éloigner du lieu où il a bravé la volonté de la loi et les arrêts de la justice.... Le juge reconnaît des circonstances atténuantes : s'il abaisse les peines, comment supposer qu'il prononcera la surveillance? Et si cette dernière peine est prononcée, n'est-il pas évident qu'elle n'aura qu'une très-courte durée ? C'est une faculté que la loi doit réserver aux tribunaux. Les magistrats examineront la nature de l'association : si ce sont des associations littéraires, ils n'appliqueront certainement pas la peine de la surveillance; mais si ces associations sont dangereuses, si des individus déjà condamı-nés s'obstinent à violer la loi, ils useront de la faculté qui leur est confiée. » On a demandé si la loi, en mesurant la durée de la surveillance au double de la peine, avait voulu parler de la peine prononcée par le jugement de condamnation, ou de la peine portée par la loi. La question a été décidée par le rapporteur dans ce dernier sens [1]. Mais il résulte du moins du texte de la loi, que la surveillance ne peut être prononcée qu'en cas de récidive; que même dans ce cas elle est facultative, et que la loi n'ayant fixé que son maximum, les juges peuvent en limiter la durée autant qu'ils le jugent convenable. Cette dernière faculté est une dérogation au principe du Code qui a fixé à la surveillance un minimum général de cinq années. Nous exprimerons à ce sujet le désir que cette innovation, qui s'est reproduite dans la loi du 24 mai 1834 [2], soit recueillie un jour par le Code lui-même. Les peines fixes sont essentiellement injustes, parce qu'elles frappent uniformément des délits qui n'ont jamais une valeur morale identique ; d'ailleurs, la latitude laissée au juge dans la distribution de la peine est l'un des principes fondamentaux de notre législation pénale.

L'art. 293, qui punit la provocation à des crimes ou délits faits dans le sein même des as

du droit cr. 1838, p. 65).

[1] Moniteur du 25 mars 1834, supp. [2] Voyez notre tome 1, p. 283.

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