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vant qu'il était en état de légitime défense; que sa vie était menacée, et que c'est pour défendre ses jours qu'il a tué son père : ce n'est pas là en effet une simple excuse, c'est une cause de justification dont l'effet est d'effacer le crime en entier. Telle était aussi la règle admise dans l'ancien droit: In filio occidenti patrem ad sui defensionem homicidium hoc impunibile est [1].

Une deuxième exception, qui semble aujourd'hui annuler presque entièrement la prohibition, résulte du système des circonstances atténuantes formulé par l'art. 463. Cet article est général et s'étend à tous les accusés sans distinction, et par conséquent aux accusés du crime de parricide. S'il pouvait s'élever un doute à cet égard, ce doute serait résolu par la discussion de la loi du 28 avril 1832, puisqu'on lit dans cette discussion qu'un député avait de mandé que cet article ne fût pas étendu au parricide, et que cet amendement fut rejeté sans discussion [2]; et, en effet, tous les crimes et le parricide lui-même, quelle que soit l'horreur qu'il inspire, ont leurs degrés et leurs nuances. Le fils qui n'a reçu de son père que des bienfaits et les soins d'une vive tendresse, n'est-il pas plus coupable que celui qui, dès son enfance, aurait été abruti par de mauvais traitements et n'aurait reçu que la plus grossière éducation? Et si la loi a refusé avec raison d'inscrire la provocation comme une cause légale de parricide, peut-elle néanmoins en faire une complète abstraction dans l'application du fait ? Ce fait n'est-il pas modifié par cette circonstance? et l'effet réel de la provocation n'est-il pas, en définitive, d'atténuer la criminalité ? La loi s'est donc montrée morale et humaine à la fois; il répugnait à la conscience de proclamer excusable le fils parricide, par cela seul qu'il eût allégué la provocation à laquelle il avait cédé; mais il ne pourrait dépendre de la loi de changer les éléments de la criminalité des actions. La provocation est restée une circonstance atténuante du crime, mais c'est au jury seul qu'il appartient d'en reconnaître le caractère.

SIII

De l'infanticide.

fants était rangé par la loi romaine dans la classe des parricides Mater quæ filium filiamve occiderit ejus legis (Cornelia de Sicariis) adficitur [3]. La question de savoir si le meurtre de l'enfant nouveau-né était compris dans les termes dé cette loi a été agitée par les anciens jurisconsultes, et ils l'ont résolue affirmativement. Farinacius s'exprime en ces termes: Est casus in quo mater quæ fœtum jam natum infantem occidit; quo casu dubium non est quod pœná mortis punitur tanquam parricida [4]. Antoine Pérez n'est pas moins explicite, eam parricidii pœna plectitur nisi probet natum mortuum [5]. La peine était donc la peine capitale ou la déportation dans une ile, suivant la qualité plus ou moins élevée de la personne.

Ce crime avait plus vivement occupé notre ancien droit français; l'édit de Henri II, du mois de février 1556, renfermait un système nouveau et complet de répression. Cet édit portait «< que toute femme qui se trouvera dûment atteinte et convaincue d'avoir célé, couvert et occulté tant sa grossesse qu'enfantement sans avoir déclaré l'une ou l'autre, ou avoir pris de l'un ou de l'autre témoignage suffisant, même de la mort ou de la vie de son enfant lors de l'issue de son ventre; et après se trouve l'enfant avoir été privé tant du saint sacrement du baptême que de sépulture publique et accoutnmée, soit telle femme tenue d'avoir homicidé son enfant, et pour réparation publique, punie de mort et dernier supplice, de telle rigueur que la qualité particulière du cas le méritera, afin que ce soit accompli à tous, et que ci-après n'y soit fait aucun doute ni difficultés. » Une première remarque que suggère l'examen de cet édit, que les déclarations de Henri III (1586) et de Louis XIV (25 février 1708) avaient successivement maintenu, c'est que le crime qu'il punissait n'était établi que sur des présomptions, qui formaient à cet égard preuve complète. La mère était présumée avoir homicidé son enfant, lorsque deux circonstances s'y réunissaient la première, qu'elle eût célé sa grossesse et son accouchement; la deuxième, que l'enfant dont elle était accouchée eût été trouvé privé du baptême et de la sépulture chrétienne; le concours de ces deux conditions suffi

Le meurtre commis par la mère sur ses en- sait pour justifier l'application de la peine [6].

[1] Farinacius, quæst. 120, num. 186.
[2] V. Code pénal progressif, p. 94.
[3] L. 1, Dig. ad leg. Pomp. de parricidiis.
[4] Quæst. 122, num. 156.

[5] Prælectiones in lib. 9, Cod. tit. 17, num. 8. [6] Jousse. t. 4, p. 16. Muyart de Vouglans,

P. 180.

Cette législation a été recueillie avec quelques modifications par la loi prussienne: le seul fait d'une fille enceinte, d'avoir caché sa grossesse et son accouchement, est puni, comme délit distinct, d'une détention de quatre à six années (art. 957); si dans ce cas l'accouchement a été suivi de la mort de l'enfant, et qu'il y ait des présomptions mais non des preuves évidentes de l'infanticide, la peine est le supplice des verges et la reclusion pour la vie (art. 960); enfin, lorsqu'il est certain que la mère a, de dessein prémédité, dans l'enfantement ou après, ôté la vie au nouveau-né, la peine est la décapitation (art. 963). Ces distinctions n'ont point en général été reproduites par les autres lé gislations, qui se sont bornées à punir le seul fait d'infanticide.

Le Code pénal de 1791 ne contenait pas de dispositions spéciales sur ce sujet : l'infanticide était soumis aux règles du droit commun, et puni comme assassinat ou comme meurtre, suivant qu'il avait été commis avec ou sans préméditation; notre Code pénal l'a placé dans une catégorie exceptionnelle, en l'assimilant comme le parricide, abstraction faite de toute préméditation, à l'assassinat.

Les art. 300 et 302 du Code pénal ont établi, l'un les éléments constitutifs de l'infanticide, l'autre la peine qui doit lui être infligée; nous nous arrêterons successivement sur ces deux points.

L'art. 300 contient cette définition: « Est qualifié infanticide le meurtre d'un enfant nouveau-né. » Il résulte de ces termes que le crime n'existe que par le concours de trois conditions: la volonté de tuer, car le meurtre est l'homicide volontaire,c'est à dire l'homicide consommé avec l'intention de tuer; que l'enfant ait vécu, car il n'y a point d'homicide si l'être auquel il a voulu ôter la vie était déjà mort; enfin, que l'enfant soit nouveau-né, car s'il a perdu cette qualité, le crime n'est plus un infanticide, mais un simple meurtre. Ces trois éléments exigent quelques explications.

Il est évident, en premier lieu, que puisque l'infanticide est un meurtre, la condition essentielle de son existence est qu'il ait été commis avec l'intention de donner la mort. Ainsi il ne suffirait pas d'une intention malveillante qui se trahirait, soit par un défaut de soin, soit par de mauvais traitements; car; quelque horreur qu'inspirât cette conduite d'une mère, elle n'impliquerait pas nécessairement la pensée du crime; mais, d'un autre côté, la loi n'a point exigé le concours d'une préméditation quelconque, elle la suppose, elle ne demande point

qu'elle soit constatée; la première condition du crime, mais sa condition essentielle, est donc la volonté constitutive du meurtre, la volonté de donner la mort.

Cette volonté est souvent difficile à apprécier dans cette sorte d'homicide. Dans le meurtre ordinaire, en effet, il suffit en quelque sorte de placer le meurtrier en face de la victime : c'est à lui d'expliquer son action. Dans l'infanticide, la dissimulation de la grossesse, les traces d'un accouchement clandestin, la découverte même du cadavre de l'enfant, ne sont encore que de vagues indices du crime; car si la grossesse, si la naissance même ont été célées, la crainte de dévoiler sa honte suffit pour expliquer ce mystère dans une mère coupable: et si l'enfant est trouvé sans vie, il est possible que sa mort ait précédé l'accouchement, il est possible encore qu'elle ait été le résultat accidentel d'un accouchement isolé.

Enfin, dans le cas même où elle devrait être imputée à la mère, elle pourrait être le fruit soit de son ignorance, soit de sa faiblesse et non de sa volonté; ainsi la mort de l'enfant peut être naturelle, elle peut être le résultat d'un accident, elle peut être causée par la faute de sa mère, elle peut être enfin le fruit d'un crime. Voilà les hypothèses que la découverte du corps d'un enfant nouveau-né peut faire naître, et que l'action publique doit parcourir avant que de se mouvoir; la mère peut être poursuivie soit pour homicide par imprudence si la mort est le résultat d'une faute grave de sa part, soit pour infanticide lorsqu'elle a eu l'intention d'accomplir le crime.

Les médecins légistes admettent en général deux espèces d'infanticide, par commission et par omission; la première quand la mort est le résultat de violences; la deuxième quand elle est l'effet de l'erreur, de la négligence, du défaut de soins, ou de l'imprudence de la mère. Il importe de remarquer que ce ne sont pas là deux espèces du même crime, mais deux délits distincts c'est la volonté qui fait la base de l'infanticide; dès que cette volonté n'est pas constatée, le fait change de caractère, il rentre dans la classe des homicides accidentels que punit l'art. 319. Cependant il n'est pas essentiellement nécessaire que la mort ait été causée par des violences pour motiver l'accusation d'infanticide; le seul défaut de soins pourrait y donner lieu; si ce défaut a été tel qu'il a pu causer la mort, et si la mère s'est abstenue de ces soins avec l'intention de la donner, ce serait alors un infanticide par omission. Mais cette distinction n'a du reste aucun intérêt en droit ;

c'est aux juges du fait qu'il appartient d'apprécier les circonstances, et, quelles qu'elles soient, d'en dégager l'intention du crime, s'ils l'y apercevaient.

de son existence, au condamné à mort jusqu'à l'exécution régulière de sa condamnation ? Distinguer, pour punir l'infanticide, entre l'enfant qui est né viable et celui dont la vitalité serait douteuse, ne serait-ce pas vouer à la mort une foule d'êtres faibles? ne serait-ce pas surtout couvrir d'une excuse perpétuelle tous les crimes commis sur les enfants?

La troisième condition du crime d'infanticide est que l'enfant soit nouveau-né.

Le deuxième élément de l'infanticide est que l'enfant soit né vivant [1]; mais il n'est pas nécessaire, comme l'ont pensé plusieurs auteurs [2], qu'il soit né viable. Cette opinion, dernier débris de cette loi antique qui permettait l'homicide des enfants débiles, se fonde sur ce que l'enfant qui n'est pas né viable, n'est pas censé La loi s'est servie de ce terme sans le définir, exister aux yeux de la loi. On cite à l'appui de et son silence a donné lieu à quelques difficulce système l'art. 725 du Code civil, qui déclare tés [3]. Plusieurs tribunaux ont pensé que l'enun tel être incapable de succéder, et l'on con- fant conservait cette qualité pendant le mois clut que l'homicide d'un être dont la vie chan- qui suivait sa naissance [4]; des médecins légistes celante n'est pas reconnue par la loi, ne saurait enseignent, au contraire, qu'un enfant doit être constituer un crime Nous ne saurions partager considéré comme nouveau-né jusqu'à la chute cette opinion. La loi pénale ne s'est point ex- du cordon ombilical, c'est-à-dire pendant les pliquée sur le degré de vitalité que l'enfant doit huit jours de sa naissance [5]. Dans les discusposséder pour que sa mort puisse être un crime; sions relatives à la loi du 28 avril 1832, un elle n'a précisé ni le terme de sa gestation, ni membre de la Chambre des Députés avait prole développement qu'il doit avoir; il suffit qu'il posé d'ajouter à l'art 300 ces mots qui en comait existé, quelque frêle qu'ait été cette exis- plétaient le sens : dans les trois jours qui suitence; il n'est pas même nécessaire qu'il ait vécu vront sa naissance. Cet amendement parut de la vie extra-utérinet, 'est-à-dire que la res- trop restreindre le sens de la loi, et ne fut point piration se soit effectuée; un mouvement, un accueilli; il exprimait toutefois avec précision vagissement, attesteraient seuls cette vie; elle son sens véritable, et c'est aussi ce terme que la semblerait comme une lueur vacillante prête Cour de cassation paraît avoir adopté dans l'inà s'éteindre, que la loi verrait un crime. De terprétation de cet article. Cette Cour, en effet, quel droit disposerait-on de la vie d'un être hu- après avoir décidé par un premier arrêt : « qu'un main? pourquoi serait-il permis d'en précipiter enfant né dans un établissement public et inscrit le cours? On objecte qu'il est voué à une mort sur les registres de l'état civil ne peut, après certaine cela est vrai, et c'est même parce que quatorze jours de vie, être considéré comme un cette vie sitôt dévorée reste indécise et confuse, enfant nouveau-né, de l'existence duquel on que la loi civile a hésité d'y faire reposer un aurait voulu anéantir les traces [6] ; »> déclaré, droit; mais cet être, qui se débat vainement dans un deuxième arrêt plus explicite : « que la contre la mort, existe cependant; il ne faut pas loi, en qualifiant d'infanticide et en punissant confondre les principes de la loi qui protége les d'une peine plus forte le meurtre d'un enfant intérêts privés, et celle qui protége l'humanité nouveau-né, n'a eu en vue que l'homicide voelle-même : la première peut refuser d'accorder lontaire commis sur un enfant nouveau-né, qui ce droit d'héritage à l'enfant qui doit succom- vient de naître, ou dans un temps très-rapprober aussitôt; l'autre ne fait point de distinction, ché de celui de sa naissance ; que ses dispositions elle ne voit qu'un être qui existe et dont elle ne peuvent être étendues aumeurtre d'un enfant doit protéger la vie chétive pendant les heures qui a déjà atteint l'âge de trente-un jours, et qui lui sont données: et pourquoi sa protection dont par conséquent la naissance, si elle n'a été ne lui serait-elle pas accordée aussi bien qu'au légalement constatée, n'a pu, au moins le plus malade à l'agonie, au vieillard parvenu au terme souvent, rester entièrement inconnu; que cette

[1] Arr. cass. 1 pluv. an vii; 22 janv. et 30 juin de l'existence duquel on aurait voulu anéantir les 1808. Dalloz, 28, 265.

[2] M. Carnot, sur l'art. 300.

[3] Un enfant né dans un établissement public et inscrit dans le registre de l'état civil sous le nom de sa mère, ne peut pas, après 14 jours de vie, être considéré comme un enfant nouveau né,

traces. (Liége, cass., 20 juin 1822; Rec. de Liége, t. 7, p. 422).

[4] Arr. cass. 20 juin 1822 (Dalloz, 28, 64). [5] Annales d'hygiène et de médecine légale, t. 16, 2o p.

[6] Arr. cass. 20 juin 1822 (Dalloz, 28, 64).

extension répugne et à la lettre de l'art. 300 du Code pénal et à l'esprit de la législation sur l'infanticide, qui n'a voulu protéger, par un châtiment plus sévère, la vie de l'enfant, que lorsqu'il n'est pas encore entouré des garanties communes, et que le crime peut effacer jusqu'aux traces de sa naissance [1]. » La limite entre l'infanticide et le meurtre est clairement tracée par cet arrêt; il y a infanticide tant que la vie de l'enfant n'est pas entourée des garanties communes, et que le crime peut effacer jusqu'aux traces de sa naissance. Il n'y a plus infanticide, il y a meurtre dès que la naissance est légalement constatée, ou du moins que les délais requis par la loi pour cette constatation sont expirés. La naissance est alors censée connue; la protection de la loi qui environne tous les membres de la cité veille sur l'enfant. Or le délai de la déclaration de l'accouchement est de trois jours; la vie de l'enfant demande une garantie extraordinaire, puisqu'elle peut rester ignorée; les garanties ordinaires lui suffisent ensuite; la société peut le protéger.

Cette décision trouve une sorte de sanction dans le rapprochement de plusieurs législations étrangères; l'art. 347 des lois pénales de Naples est ainsi conçu: « L'homicide volontaire est qualifié infanticide, quand il est commis sur la personne d'un enfant nouveau-né, et non encore baptisé ou inscrit sur les registres de l'état civil. » Et en effet, ce baptême ou cette inscription, en révélant son existence, lui assure les garanties qui sont communes à tous les membres de la cité. L'art. 137 du Code bavarois de 1813 ne fait également un crime spécial de la mort donnée à l'enfant que pendant les trois jours qui suivent sa naissance. Quelques législations ont même été plus loin; elles n'ont considéré comme infanticide que le meurtre commis au moment même de la naissance; telle est la loi pénale autrichienne (art. 122). Peut-être cette solution est plus conforme au caractère spécial du crime qui se puise dans cette violente affection qui s'empare de l'âme au moment même de l'accouchement; mais il serait trop dangereux de restreindre dans une limite aussi étroite la garantie accordée à l'enfant.

Néanmoins, on doit vivement regretter que le Code pénal n'ait pas recueilli la distinction que la jurisprudence a consacrée. Car il ne s'agit point ici d'une question de droit, mais d'un

[1] Arr. cass. 31 déc. 1835. (Sirey, 36, 25). [2] Arr. cass. 29 mai 1806.

CHAUVEAU. T. III, ÉDIT, DE FR, T. v.

point de fait. Ce n'est point aux juges qu'il appartient d'apprécier en définitive si un enfant est nouveau-né, mais aux jurés; de sorte que l'essence du crime est abandonnée à de capricieuses interprétations; là, l'infanticide, après les trois jours de la naissance, sera puni comme l'assassinat, ici comme le meurtre. La loi eût évité ces déplorables contradictions, si elle eût, en complétant sa définition, fixé cet élément du crime. De cette définition de l'infanticide, le meurtre d'un enfant nouveau-né, on pourrait conclure que le meurtre d'un enfant naissant, c'est-à-dire, commis pendant l'accouchement même, n'aurait pas été prévu par la loi. Cette induction ne serait pas exacte. Il serait, en effet, impossible d'admettre qu'entre l'avortement et l'infanticide la loi eût laissé hors de toute atteinte une action qui tiendrait toutefois de ces deux crimes; et il est évident d'ailleurs que le meurtre serait un véritable infanticide. Car l'enfant, au moment même où il naît, doit être considéré comme déjà né; à la vérité, il n'a pas encore respiré, il n'a pas vécu de la vie extra uterum, mais il est sorti du sein maternel, il a cessé d'être à l'état de fœtus, il a vu le jour. Il serait absurde de soutenir qu'il n'était pas né, parce qu'il avait cessé de vivre avant que la naissance fût complète; sa mort même est la preuve de son existence; il a fallu qu'il fût né pour que la vie ait pu lui être ravie. Il résulte des diverses observations qui précèdent que, dans l'esprit du Code pénal, l'infanticide est l'homicide volontaire commis sur un enfant né vivant, dans les trois jours de sa naissance. Il suit de cette définition que, lorsque la volonté de donner la mort n'est pas constante, le crime d'infanticide disparaît, mais la mère peut encore être poursuivie pour homicide volontaire causé par négligence ou par imprudence [2]. Par une autre conséquence, lorsqu'elle soutient que l'enfant est né mort, il est nécessaire que la question de savoir s'il est né vivant soit posée au jury; car si la mort a précédé la naissance ou qu'elle ait été le résultat accidentel de l'accouchement, la volonté même de la consommer ne suffit plus pour constituer le crime; il lui manquerait son élément matériel [3].

Enfin, lorsque les trois jours qui ont suivi la naissance sont expirés, ou lorsque l'enfant, avant l'expiration de ces trois jours, a été inscrit sur le registre de l'état civil, l'auteur de la mort ne commet plus un infanticide, mais un meurtre

[3] Arr. cass. 1 pluv. an vi et 7 thermid. an vui. (Dalloz, 28, 266.)

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simple, s'il a agi sans préméditation, et la peine reste soumise aux règles communes [1].

Une question grave s'élève encore, c'est de savoir si l'infanticide n'est imputable qu'à la mère seulement, ou si toute personne qui a tué un enfant nouveau-né se rend coupable de ce crime. Tous les anciens auteurs supposent qu'il ne peut être commis que par la mère : l'ordonnance de 1556 ne se préoccupe également que de la peine qui doit être infligée à celle-ci. Mais le Code pénal n'a point reproduit cette distinction; sa disposition est générale ; doit-elle être restreinte à la mère seule? M. Carnot paraît incliner vers l'affirmative ; il pense que les motifs et les caractères particuliers de ce crime ne se retrouvent plus, lorsqu'il est commis par une autre main que par celle de la mère, et que c'est la qualité de la personne qui aggrave l'atrocité du meurtre. La Cour de cassation a rejeté cette opinion, en déclarant que : « la loi ayant défini l'infanticide le meurtre d'un enfant nouveau-né, sans exiger le concours d'aucune circonstance, il suffit que le meurtre ait été commis sur un enfant nouveau-né, pour qu'il y ait lieu à l'application de la peine portée contre l'infanticide, sans qu'il soit nécessaire que l'auteur du crime ait été le père ou la mère de l'enfant [2]. » Nous partageons entièrement cet avis. Ce n'est pas seule ment à raison de la qualité du père ou de la mère que le meurtre d'un nouveau-né est puni d'une peine plus forte par le Code pénal; c'est, ainsi que nous le verrons tout à l'heure, parce que cette espèce de meurtre suppose par lui-même la préméditation; c'est surtout parce que l'enfant se trouve exposé sans défense, et sans que la société puisse encore veiller sur lui, aux atteintes du crime. Or, ces motifs s'appliquent à tout étranger, aussi bien qu'au père et à la mère de l'enfant. L'art. 300, du reste, n'a permis nulle distinction ; et l'art. 5 de la loi du 25 juin 1824, en déclarant que la peine de mort pourrait être réduite, à l'égard de la mère, à la peine des travaux forcés à perpétuité, et que cette réduction n'aurait lieu à l'égard d'aucun individu autre que la mère, indiquait clairement que, dans l'opinion du législateur, si la mère seule était excusable, l'incrimination n'était pas limitée à elle seule.

La peine applicable à l'infanticide est celle de mort (art. 302 C. P.). L'adoption de cette peine donna lieu, lors de la rédaction du Code pénal, à quelques dissentiments dans le sein du

[1] Arr. cass. 13 oct. et 17 nov. 1814. Dalloz, 28, 264 et 265; Sirey, 1815, 1, 81.

Conseil d'Etat. Le projet du Code portait : «Toute personne coupable ou complice d'infanticide sera punie de la déportation.» Lorsque cet article fut soumis au Conseil d'Etat plusieurs membres de ce conseil réclamèrent la peine de mort, en se fondant sur ce que le crime d'infanticide devenait de jour en jour plus fréquent. M. Treilhard répondit que cette peine ne serait pas aussi certainement appliquée qu'une peine moins grave, et qu'il répugnerait aux jurés d'envoyer à l'échafaud une mère que la crainte du déshonneur aurait égarée. M. Cambacérès objecta que le meurtre d'un enfant nouveau-né, d'un être sans défense, est un crime plus horrible que l'homicide: qu'il ne doit donc pas être puni moins sévèrement; que la pudeur ne doit pas servir d'excuse pour cette atrocité; que d'ailleurs la crainte du déshonneur n'est pas toujours le motif qui le fait commettre, et que l'intérêt pouvait aussi y pousser. M. Berlier défendit le projet. « Il y a, dit-il, de fortes considérations pour ne pas infliger la peine suprême à une fille devenue mère, et qui le plus souvent ne s'est portée à l'action atroce de détruire son enfant que pour cacher son déshonneur. Cette position n'est nullement comparable à celle d'un assassin ou d'un meurtrier ordinaire, qui tue sans autre vue que de commettre un crime. Sans doute les malheureuses mères qui sont l'objet de cette discussion, placées entre un erime qui effraie la nature et les préjugés sociaux, ont plus d'une fois arrosé leurs victimes de leurs larmes, et consommé en frémissant d'horreur leur criminelle action dictée par une déplorable faiblesse. La loi ne saurait pourtant admettre une telle excuse pour absoudre totalement les coupables: il faut pour un tel crime, une peine assez réprimante pour qu'il ne se reproduise point par l'exemple de l'impunité. Mais si la loi est trop dure, ne doit-on pas craindre que les ministres ne soient trop indulgents? C'est ce motif qui me porte à préférer la peine de la déportation. » Le Conseil d'Etat décida, malgré ces motifs, que l'infanticide serait puni de mort.

Il est remarquable que pendant que cette aggravation de la peine ne se fondait, aux yeux du Conseil d'état, que dans l'atrocité du crime et la nécessité de protéger l'enfant, l'exposé des motifs fait par M. Faure lui assigne une autre raison: la présomption d'une préméditation criminelle. «Le meurtre d'un enfant nouveau-né, dit cet exposé, sera puni de la

[2] Arr. cass. fév. 1816. Dalloz, 28, 265; Sirey, 1816, 1, 143.

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