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doit être préjudiciellement vérifié constitue un crime ou un délit ; car la loi a soumis cette instruction à des règles de procédure et de compétence auxquelles le tribunal correctionnel ne peut déroger. Mais il n'existe aucune exception de cette nature au sujet de la vérification des faits imputés à un préposé quelconque; aucune loi n'a attribué cette vérification à l'administration dont le préposé est le subordonné; aucune loi n'a dépouillé les tribunaux du droit d'apprécier un fait qualifié délit pour le déléguer dans ce cas à l'administration. La règle générale, la règle du droit commun est donc seule applicable: le tribunal répressif est compétent pour juger toutes les questions qui se rattachent au fait de la prévention.

nistrative, mais elle est insuffisante pour devenir la base d'une condamnation correctionnelle; elle peut être admise comme élément d'une preuve judiciaire, mais elle ne peut seule constituer cette preuve ; car la défense, dépouillée du droit de la contester, ne serait plus entière. Ensuite, il est difficile de comprendre comment on peut diviser entre deux pouvoirs différents le jugement d'un même délit, comment on peut attribuer à celui-là la connaissance du fait matériel, à celui-ci l'appréciation de la moralité de ce fait. Cette division est-elle done possible? La moralité du fait n'est-elle pas renfermée dans le fait lui-même ? ne résulte-t-elle pas de ses nuances, de ses degrés? On déclare qu'il n'est pas fondé, mais on ne dit pas si quel que circonstance n'a pas donné lieu de le croire fondé. S'il s'agit, par exemple, de l'imputation d'un faux ou d'une concussion faite à un comptable public, l'administration déclarera que cette imputation est fausse, que le comptable est irréprochable; mais comment saura-t-on si ce même agent n'a pas commis, sans intention de nuire, quelque irrégularité qui a pu donner lieu à une dénonciation de bonne foi? La bonne foi dépend donc des circonstances mêmes du fait matériel, elle est liée aux actes qui s'y rattachent: il est donc impossible de diviser l'appréciation de ces actes, à moins de rompre l'unité dans l'instruction, à moins d'enchaîner l'indépendance du juge dans l'examen des preuves. Sans doute, et nous l'avons remarqué plus haut, toute plainte en dénonciation calomnieuse présente la question préjudicielle de savoir si les faits dénoncés sont vrais ou faux; mais, en règle générale, le juge criminel est compétent pour décider toutes les questions préjudicielles qui se rattachent au fait de la prévention. « Il est certain, dit M. Merlin, qu'en matière de crimes et de délits la compétence des juges criminels n'est circonscrite par aucune horne, n'est modifiée par aucune réserve, n'est limitée par aucune exception; que dès qu'un crime ou délit est articulé, les juges criminels peuvent et doivent le rechercher, le poursuivre, le juger dans tous les éléments qui le constituent et en forment la substance [1]. » Ce principe ne reçoit d'exception que dans les cas où ces questions ont été formellement distraites de la juridiction sai-tratives, c'est l'administration elle-même qui sie et dévolues à une autre. Telles sont les questions préjudicielles qui sont relatives à l'état et à la filiation des enfants, ou à la propriété des immeubles et aux droits réels dont elle peut être grevée; tel est encore le cas où le fait qui

[1] Rép., v° Bigamie, no 2.

Mais on craint les difficultés que peut soulever l'application de cette règle : « Quels moyens aura le tribunal, dit M. Mangin, pour apprécier les faits dénoncés et prendre connaissance des pièces? Où trouvera-t-il le principe de sa compétence pour statuer sur des actes administratifs [2]? » Cette objection déplace évidemment la question pour lui imposer une solution arbitraire. Le tribunal ne statue point sur des actes administratifs, car il n'a point à apprécier tel ou tel acte de l'administration; sa mission se borne à constater l'acte matériel imputé au préposé; cet acte, il ne doit ni l'apprécier, ni le blâmer; il n'a point à le juger; il ne le juge point, il le vérifie. Si l'autorisation de poursuivre un agent de l'administration est demandée à raison même de la dénonciation, l'autorité administrative a le droit de refuser cette autorisation; mais le refus ne suffit pas pour que la dénonciation soit considérée comme calomnieuse. Le tribunal saisi de la plainte vérifie le fait comme élément du délit; de la vérité ou de la fausseté de l'imputation dépend l'existence de la dénonciation calomnieuse : il le vérifie, non point pour en faire porter la responsabilité soit sur l'administration, soit sur le préposé lui-même, mais uniquement pour apprécier si le dénonciateur a pu puiser dans cet acte, quel qu'il soit, régulier ou irrégulier, une justification, une excuse de sa dénonciation. Il n'y a donc ici ni empiétement, ni excès de pouvoir, ni usurpation des attributions adminis

fournira les renseignements; mais elle ne décidera pas, elle déposera sur le fait, et le pouvoir judiciaire conservera le droit d'apprécier sa déposition. On demande où se trouve le principe de cette compétence? Dans l'attribution

[2] Traité de l'action publique, no 228.

donnée par la loi à la juridiction correctionnelle de juger le délit de dénonciation calomnieuse car comment juger un délit sans avoir les moyens d'en vérifier les éléments? Le seul point où l'objection acquiert quelque gravité concerne les moyens de vérification: comment le tribunal pourra-t-il contrôler les renseignements de l'administration? Pourra-t-il exiger la communication de ses documents, la comparution de ses préposés? Remarquez qu'en général cette sorte d'enquête sera presque toujours inutile, que les renseignements officieusement communiqués par l'administration suffiront pour éclairer la justice; mais offrirait-elle d'ailleurs de véritables périls? Quand la publicité accompagne la plupart des actes administratifs, faut-il céler ceux de qui dépend ou l'honneur ou la liberté d'un citoyen? La sage discrétion des tribunaux n'éloigne-t-elle pas jusqu'à la crainte d'un danger? Ils ne méconnaîtront jamais les principes qui leur défendent de troubler les agents de l'administration dans l'exercice de leurs fonctions.

Nous ne prolongerons pas cette discussion. Nous avons déduit les principaux motifs qui peuvent être opposés à la jurisprudence jusqu'à présent invariable de la Cour de cassation. En résumé, il s'agit de savoir si les agents de l'administration, dénoncés comme auteurs d'un fait punissable, pourront se retrancher derrière une décision d'un de leurs supérieurs, comme derrière un rempart inexpugnable, pour lancer de là une accusation de calomnie contre l'accusateur; si le pouvoir judiciaire doit être spolié, par une exorbitante exception au droit commun, du droit de constater, dans ce cas, les faits élémentaires du délit; enfin, si un prévenu peut être privé, par un acte extrajudiciaire, du droit de constater son innocence, et jugé par d'autres juges que ceux que la loi lui a donnés. Le soin que nous avons toujours eu d'établir les règles du Code, non d'après la jurisprudence des arrêts, mais d'après les textes du Code luimême, nous a imposé l'obligation de nous arrêter quelques instants sur ce point.

Au surplus, tout en combattant la jurisprudence de la Cour de cassation, il importe de signaler les restrictions que cette Cour ellemême y a apportées. Ce n'est que lorsque les faits imputés ont été commis par le fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, et qu'ils constituent des faits administratifs, que les

[1] Arr. cass. 7 déc. 1833 (Journ. du dr. crim., 1833, p. 339).

[2] Julius Clarus, Prax. crim., quæst. 62, num. 4.

tribunaux doivent surseoir au jugement de la dénonciation calomnieuse jusqu'à ce que l'administration ait déclaré ces faits exacts ou mal fondés. Hors ce seul cas, la règle commune conserve son empire, les tribunaux leur compétence. Ce n'est point à raison de la qualité du fonctionnaire dénoncé, mais à raison de la nature des faits imputés, que l'administration est investie d'une attribution judiciaire accidentelle. Cette distinction résulte d'un arrêt de la Cour de cassation, portant : « que si, conformément aux lois relatives à la séparation des pouvoirs administratif et judiciaire, les tribunaux ne peuvent apprécier les faits administratifs sur lesquels porte la dénonciation, l'autorité administrative ne peut elle-même apprécier les faits qui concernent la vie privée de ses agents; que dès lors ces faits privés rentrent dans la compétence ordinaire de l'autorité judiciaire...; qu'ainsi, dans l'espèce, c'est à bon droit que le ministre des finances a décidé qu'il n'avait rien à prononcer sur la vérité ou la fausseté des faits, puisqu'ils étaient étrangers aux fonctions du comptable ; que dès lors le tribunal a pu procéder au jugement de la dénonciation calomnieuse [1]. >>

Nous arrivons enfin au deuxième élément de la calomnie; cet élément, c'est l'intention de nuire.

Il ne s'agit pas seulement ici de la volonté de porter préjudice à la personne dénoncée : cette volonté est légitime toutes les fois que le dénonciateur croit de bonne foi à l'existence du délit; car la loi elle-même fait alors un devoir de la dénonciation. Il s'agit de la volonté de nuire par la dénonciation, avec la conscience que le fait dénoncé est faux, de l'intention de faire porter sur une personne qu'on sait innocente, une accusation qu'on sait fausse; quandò quis sciens aut scire debens aliquem esse innocentem, proponit contrà eum accusationem aut querelam [2]. Toute la moralité de la dénonciation, tout le délit est dans l'existence de cette intention de nuire qui a dû animer le dénonciateur: calumniatores appellati sunt, dit la loi romaine, quia per fraudem et frustrationem alios vexarent litibus [3]. Il ne suffit donc pas que l'accusation soit téméraire et indiscrète, il faut que le dénonciateur sache qu'elle n'est pas fondée, calumniare est falsa crimina intendere [4]; il ne suffit pas que la preuve des faits dénoncés ne soit pas

[3] L. 133, Dig. de verb. signific.

[4] L. 1, § 1, Dig, ad sen. cons. Turpillianum.

faite, non utique qui non probat quod intendit, protinùs calumniari videtur [1]. Il faut que le dénonciateur ait été poussé par un esprit de haine ou de vengeance.

Les anciens auteurs établissaient comme une règle générale en cette matière, que la mauvaise foi du dénonciateur doit être présumée quand le fait dénoncé se trouve faux accusator, eo ipso quod non probet suam accusationem, præsumitur calumniari [2]; mais cette présomption, qui ne doit d'ailleurs être considérée que comme un simple indice du délit, est sujette à de graves restrictions.

Le dénonciateur, en effet, se trouve justifié, toutes les fois qu'il a eu une cause légitime d'intenter son action. Cette cause exclut la mau vaise foi; il a pu se tromper, mais son erreur n'est pas un délit.

Cette règle était consacrée par les Pandectes. Le calomniateur était absous s'il prouvait qu'une juste erreur l'avait égaré, si quidem justum ejus errorem repererit, absolvit eum [3]. Le Code de Justinien reproduisait cette exception de défense dans des termes non moins explicites non si reus absolutus est ex eo solo etiam accusator, qui potest justam habuisse veniendi ad crimen rationem, calumniator credendus est [4]. Tous les auteurs ont admis ce principe; tous déclarent l'accusateur justifié dès qu'il a pu croire sa plainte fondée, cùm habuit justam litigandi causam [5].

Notre législation même l'a recueilli. L'article 358 du Code d'instruction criminelle contient cette disposition : « L'accusé acquitté pourra obtenir des dommages-intérêts contre ses dénonciateurs pour fait de calomnie. » Ainsi, d'abord, l'accusé ne peut obtenir des dommages-intérêts que lorsqu'il est acquitté et non lorsqu'il n'est qu'absous : l'absolution suppose une juste cause d'accusation. Ainsi, lors même qu'il ne s'agit que d'une condamnation à des dommages-intérêts, la loi n'a point voulu frapper le dénonciateur, à moins qu'il n'ait calomnié; sa dénonciation, même légère, même téméraire, ne le soumet à aucune res

[1] L. 1, § 3, Dig. eod. tit.

[2] Julius Clarus, Prax. crim., quæst. 62, num. 6. [3] L. 1, § 3, Dig. ad sen. cons. Turpillianum. [4] L. 3, au Cod. de calumniatoribus.

[5] Covarruvias, Pract. quæst. cap. 27, no 3; Farinacius, quæst. 16, num. 13; Julius Clarus, Pract. erim., quæst. 62, num. 6.

ponsabilité, pourvu qu'il l'ait portée de bonne foi, pourvu qu'il ait agi d'après une juste cause. La Cour de cassation a consacré cette interprétation en déclarant : « que si, par une dérogation au droit commun, les Cours d'assises sont autorisées à prononcer sur les demandes en dommages-intérêts qui ont leur base dans les dénonciations juridiques, elles ne peuvent prononcer la condamnation que lorsque, conformément à l'art. 373 du Code pénal, la dénonciation juridique a été calomnieuse, de mauvaise foi et à dessein de nuire [6]. » Un autre arrêt de la même Cour répète encore : « que, pour que les inculpations qui, dirigées contre des individus dénoncés dans une dénonciation faite à la justice, ont donné lieu contre eux à des poursuites criminelles, puissent, lorsque leur fausseté est reconnue par l'événement du procès, motiver une condamnation de dommages-intérêts contre les dénonciateurs, il faut qu'on ne puisse les imputer qu'à la méchanceté et au dessein coupable de nuire, et qu'elles offrent ainsi les caractères du délit de calomnie; qu'une dénonciation peut être fausse sans être calomnieuse, puisqu'elle peut, malgré sa fausseté, ne présenter aucun des caractères qui constituent le délit de calomnie; qu'elle peut aussi avoir été fondée sur des indices suffisants, pour qu'il en résulte que l'auteur de la dénonciation a eu de justes motifs de la faire [7]. »

On peut considérer comme des causes légitimes d'erreur tous les indices qui ont pu paraître suffisants pour rendre le fait dénoncé probable. Farinacius cite, comme exemple, le cas où la dénonciation s'appuie sur la déclaration d'un témoin qui depuis s'est rétracté [8]. Julius Clarus considère comme une cause également juste un grave sujet de douleur; ainsi, le fils, qui poursuit la vengeance de la mort de son père, est excusable s'il dirige mal sa plainte [9]. La mauvaise réputation même de la personne qui a été mise en jugement peut excuser celui qui a porté plainte [10]. On peut appliquer à ce cas particulier une maxime de Cicéron qui ne doit point, du reste, servir de règle aux poursuites du ministère public : qu'il vaut mieux

[6] Arr. cass. 30 déc, 1813; Dalloz, 9, 23, Sirey, 14, 129, Pasicrisie à cette date.

[7] Arr. cass. 23 mars 1821. Dalloz, 9, 25; Sirey, 21, 356 (Bul., no 42).

[8] Farinacius, quæst. 16, num. 49.

[9] Julius Clarus, quæst. 62, num, 6; Farinacius, quæst. 16, num. 156.

[10] Farinacius, quæst. 16, num. 61.

juger un innocent et l'absoudre, que de ne pas mettre en jugement un coupable Si innocens accusatus sit, absolvi potest; nocens, nisi accusatus fuerit, condemnari non potest. Utilius autem est absolvi innocentem quàm nocentem causam non dicere [1].

:

Le principe que nous venons de développer peut ainsi se résumer la mauvaise foi est de l'essence du délit; tout ce qui tend à la faire disparaître, efface le délit lui-même. Mais ici se présente une difficulté.

La mauvaise foi a-t-elle dans la dénonciation d'office, les mêmes effets que dans la dénonciation spontanée? En d'autres termes, le fonc tionnaire public qui, dans l'exercice de ses fonctions, a méchamment imputé un délit à un citoyen, est-il passible des peines de l'art. 373? Le doute naît de ce que l'art. 358 du Code d'instruction criminelle, après avoir déclaré que l'accusé acquitté peut obtenir des dommages-intérêts pour fait de calomnie, ajoute: «Sans néanmoins que les membres des autorités constituées puissent être ainsi poursuivis à raison des avis qu'ils sont tenus de donner, concernant les délits dont ils ont cru acquérir la connais sance dans l'exercice de leurs fonctions, et sauf contre eux la demande en prise à partie, s'il y a lieu. » Et si l'on remonte à l'origine de cette disposition, on voit, dans les procès-verbaux du Conseil d'état, que l'intention du rédacteur du Code a été, ainsi que l'attestent les paroles de M. Treilhard, « que l'art. 358 ne fût applicable qu'aux particuliers qui se portent spontanément pour dénonciateurs; mais qu'il ne concernât pas les fonctionnaires publics qui sont dénonciateurs d'office; enfin, que si les autorités publiques qui ont dénoncé, ont agi méchamment et calomnieusement, l'accusé les prenne à partie [2]. >>

Mais, quelque absolus que soient ce texte et ces expressions, ils ne tranchent point notre question. En effet, il s'agit de faire une exception, en faveur des fonctionnaires publics agissant dans leurs fonctions, à la disposition de l'art. 373 du Code pénal; il s'agit de déclarer que, commis par eux, le délit prévu par cet article cesse d'être un délit or, l'art. 358 et la discussion ouverte sur son texte ne s'appliquent qu'aux réparations civiles que l'accusé acquitté peut demander; on ne peut donc fonder sur

[1] Pro Roscio Amerino, num. 56.

cette disposition aucune exception relative à l'application de la peine; elle n'exclut en aucune manière la poursuite du délit ; et dès lors, quand la dénonciation émanée d'un officier public en présente les caractères, elle est soumise, comme toute dénonciation privée, aux peines prononcées par la loi. Cette interprétation a été consacrée par deux arrêts de la Cour de cassation [3]; le second de ces arrêts déclare formellement : « que l'art. 358 du Code d'instruction criminelle ne se rapporte qu'aux réparations civiles que l'accusé acquitté peut réclamer contre ses dénonciateurs; que s'il décide qu'il ne pourra en obtenir contre les membres des autorités constituées, à raison des avis qu'ils sont tenus de donner concernant les délits dont ils ont eru acquérir la connaissance dans l'exercice de leurs fonctions, sauf contre eux la demande en prise en partie s'il y a lieu, cette disposition n'exclut pas la voie de la plainte, et n'interdit point à la partie publique le droit de se pourvoir au nom de la société, dans le cas où les dénonciations faites par des membres des autorités constituées seraient calomnieuses, dans le sens de l'art. 373 du Code pénal; que les expressions de ce dernier article sont générales et n'admettent aucune exception; que les garanties que le législateur a jugé devoir accorder aux magistrats, dans l'intérêt de l'Etat, sont déterminées par les articles 479 et suivants du Code d'instruction criminelle; que ces garanties consistent dans le mode de la poursuite et du jugement des magistrats, et non dans l'impunité de l'abus qu'ils auraient fait de leurs fonctions.>>

En développant les caractères de la dénonciation calomnieuse, nous avons vu que le délit renfermait trois éléments distincts: qu'il fallait qu'une dénonciation réguliére eût été faite, que cette dénonciation eût été remise aux mains d'un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, enfin qu'elle fût calomnieuse. Nous avons recherché ensuite les éléments de la calomnie, et nous avons posé en principe qu'une dénonciation n'est réputée calomnieuse qu'autant qu'elle réunit ces deux conditions: la fausseté des faits imputés, et la mauvaise foi du dénonciateur. C'est dans ces règles simples et claires que se résume une matière qui a soulevé de graves difficultés, et donné lieu à de longues discussions.

[3] Cass. 10 oct. 1816 et 12 mai 1827; Dalloz,

[2] Procès-verbaux du Conseil d'état, séance 9, 10; Sirey, 17, 1, 1. du 7 vendém. an xiii.

CHAPITRE LVIII.

DE LA RÉVÉLATION DES SECRETS.

Caractères généraux de ce délit.— But du législateur

-

Quelles personnes la loi a voulu ranger parmi les dépositaires de secrets. Les médecins et chirurgiens. les prêtres, les avocats. les avoués,les notaires, doivent-ils être rangés dans cette classe? — Éléments du délit. Violation du secret. Quels sont les caractères de cette intention en ce qui concerne la révélation d'un secret? Exceptions à l'obligation du secret - - Dans quels cas la loi oblige les dépositaires à se porter dénonciateurs Attentats à la sûreté de l'État. d'exister.

Intention de nuire.

Blessures et violences. Ces exceptions ont cessé Mais la règle ne fléchit-elle pas quand les révélations sont provoquées par la justice? — Les dépositaires peuvent, même dans ce cas, s'abstenir de déposer.— Mais s'ils déposent, sont-ils passibles des peines de la loi?—Les personnes obligées au secret peuvent-elles être déliées de cette obligation par la partie intéressée ? · Distinction entre les faits dont la connaissance est acquise dans l'exercice de la profession et ceux dont la connaissance est acquise en dehors de cette profession. — La déposition de ces derniers est due dans tous les cas à la justice. (Commentaire de l'article 378 du Code pénal.)

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Le délit prévu par l'article 378 du Code pénal est un délit nouveau dans notre législation. Avant le Code, la loi et la jurisprudence, plus encore que la loi, avaient reconnu à certains témoins le droit de refuser leurs témoignages à la justice, parce qu'ils n'auraient pu déposer sans violer le secret dont ils étaient dépositaires. Mais aucune peine ne frappait ces personnes quand elles révélaient indiscrètement et méchamment les faits qui leur avaient été confiés. C'est cette lacune que l'art. 378 a eu pour but de combler.

« Ne doit-on pas considérer comme un délit grave, dit l'exposé des motifs du Code, des révélations qui souvent ne tendent à rien moins qu'à compromettre la réputation de la personne dont le secret est trahi, à détruire en elle une confiance devenue plus nuisible qu'utile, à déterminer ceux qui se trouvent dans la même situation à mieux aimer être victimes de leur silence que de l'indiscrétion d'autrui, enfin à ne montrer que des traîtres dans ceux dont l'état semble ne devoir offrir que des êtres bienfaisants et de vrais consolateurs? » L'orateur du Corps législatif ajoutait : « Cette disposition est nouvelle dans nos lois : il serait à désirer que la délicatesse la rendit inutile; mais combien ne voit-on pas de personnes dépositaires de secrets dus à leur état, sacrifier leur devoir à leur causticité, se jouer des sujets les plus gra

ves, alimenter la malignité par des révélations indécentes, des anecdotes scandaleuses, et déverser ainsi la honte sur les individus, en portant la désolation dans les familles? >>

Ces lignes expliquent déjà l'esprit de l'article 378, qui est ainsi conçu : « Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes, et toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession, des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à six mois, et d'une amende de cent francs à cinq cents francs. >>

Cette incrimination n'atteint qu'une seule classe de personnes, celles qui, par état ou profession, sont dépositaires des secrets qu'on leur confie. Quelles sont ces personnes? voilà le premier point qu'il faut examiner.

La loi désigne nominativement les médecins, les chirurgiens, les officiers de santé, les pharmaciens et les sages-femmes; aucune difficulté ne peut donc s'élever à cet égard. Mais quelles sont les autres personnes qui, par leurs fonctions et leurs devoirs, doivent être assimilées à celles-ci?

En première ligne il faut placer le prêtre. Dès le 4e siècle, un concile avait posé cette maxime: Non liceat clericum ad testimo

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