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présenteraient pas, dans un certain délai, les titres justificatifs de leur demande d'indemnité; et la loi du 14 juin 1835 a enfin proclamé la clôture de toutes les réclamations contre l'État, pour fait d'émigration. Ainsi le droit ad

ministratif et les tribunaux sont affranchis par cette loi de toutes les questions soulevées, pendant dix ans, sur l’indemnité des émigrés et les prétentions de leurs créanciers.

La matière des domaines nationaux ne concerne aujourd'hui le droit administratif que relativement à la validité des ventes, à l'application des règles sur la contenance et les délimitations, à l'interprétation des clauses d'adjudication, aux règles de la compétence.

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Validité des titres de vente nationale. Un procès-verbal de vente nationale fait foi jusqu'à inscription de faux.Nulle preuve n'est admise outre et contre le contenu au procès-verbal. Les irrégularités dont les procès-verbaux peuvent être atteints ne sont point des nullités; il suffit qu'il y ait preuve de ce qui constitue la substance de la vente; les vices qui ne peuvent être imputés à l'adjudicataire ne peuvent lui préjudicier.

Si deux ventes ont été faites successivement du même objet, la première est valable, sans égard à la possession contraire du second acquéreur, sauf le cas de prescription par ce dernier. -Si la vente portait sur un objet déclaré non aliénable par les lois révolutionnaires, elle serait sans effet légal : la prescription ne pourrait même pas être invo– quée à l'appui de la vente, car l'art. 2226 porte qu'on ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce. La prescription n'aurait lieu, indépendamment de l'acte, qu'à partir du moment où la loi aurait rendu les choses aliénables et prescriptibles.

Contenance et délimitation. La vente en bloc d'un domaine national comprend tout ce qui est contenu dans le domaine; la vente en détail ne s'applique qu'aux objet spécifiés; la vente à la mesure, c'est-à-dire à raison de tent la mesure, s'applique à la quantité de terre comprise dais la mesure énoncée. — La délimitation exprimée par les procès-verbaux donne à l'adjudicataire tout ce qui est renferné

en dedans des limites, mais les confins sont en dehors de la

vente.

Interprétation. Les procès-verbaux peuvent donner lieu à des difficultés d'interprétation. Bien que l'interprétation ne soit pas l'objet principal du procès, et qu'elle puisse ne se présenter qu'incidemment, il doit y être fait droit avant tout, et si l'autorité judiciaire est saisie d'une affaire où se présente la question incidente de l'interprétation, il doit être sursis au jugement sur le fond jusqu'à ce que l'interprétation ait été donnée par l'autorité compétente.

Compétence. Les actes d'adjudication de biens nationaux sont des contrats d'exception: ils sont soumis à une juridiction exceptionnelle, celle des conseils de préfecture qui, juges ordinaires en matière administrative, sont, en matière de biens vendus révolutionnairement, des juges d'exception par l'extension même donnée, sur ce sujet, à leur compétence ordinaire. -Toutes les questions de validité des titres d'adjudication nationale, celles de contenance et d'application de limites, enfin celles d'interprétation, sont de la compétence des conseils de préfecture au premier degré, et du conseil d'État en dernier ressort. Cette compétence si étendue était fondée sur un motif tout politique. La loi du 28 pluviôse an VIII, en la créant, avait pour but le maintien et la garantie des ventes nationales. Le législateur craignait l'action des tribunaux en une matière qui touchait aux crises de la révolution; c'était pour consolider les ventes que l'autorité administrative était investie d'une juridiction presque absolue. Encore que le motif politique ne puisse pas avoir aujourd'hui la même force, cependant la bi ne saurait être appliquée autrement qu'elle n'a été conçue; les tribunaux ne seraient donc compétens, que dans les cas où les motifs de la loi n'auraient eu aucune possibilité d'application, c'est-à-dire dans les cas où, les actes d'adjudication gardant le silence, les questions ne pourraient être résolues que par des titres anciens ou es principes du droit commun. Là où le droit exceptionel cesse, la juridiction exceptionnelle doit cesser: là où le droit commun reprend sa force, la juridiction ordi

naire reprend son autorité. Il est certain donc, que les tribunaux civils ne peuvent jamais avoir le droit de juridiction quand il s'agit de la validité, de la contenance, de l'interprétation des titres nationaux, questions qui tiennent à l'existence même et aux effets directs des ventes; mais ils reprennent leur caractère de compétence quand les questions tombent dans les règles du droit commun. Ainsi, les domaines nationaux ont été adjugés selon les clauses ordinaires, « avec leurs dépendances et leurs servitudes actives ou passives; » ces dépendances, ces servitudes, ne peuvent souvent être appréciées que par d'anciens titres, ou des preuves du droit civil; la connaissance en appartient par conséquent aux tribunaux, seuls juges des questions de propriété hors le cas exceptionnel de la validité des titres d'adjudication et des actes nationaux qui s'y rattachent.

CHAPITRE III.

DROIT ACTUEL. DU DOMAINE NATIONal et de ses divisions.

Le domaine national, dans le sens le plus étendu, est celui qui, abstraction faite des droits de la propriété individuelle, appartient à la société considérée comme un être moral et collectif, souverain du territoire qu'il occupe: c'est le domaine éminent et de souveraineté.

Nous divisons le domaine national en trois parties: le domaine de la couronne, le domaine public, le domaine de l'État. Cette division n'est pas conforme à celle ordinairement adoptée qui fait du domaine de la couronne une branche du domaine de l'État. Les principes qui régissent le domaine de la couronne étant opposés sur plusieurs points essentiels à ceux du domaine public et à ceux du domaine de l'État, il est d'une saine logique d'en faire un ordre à part, et de réunir toutes les branches du domaine sous l'idée générale d'un domaine éminent et de souveraineté, le domaine national, expression que la révolution de 89 a naturalisée dans nos lois, et qui avait son équivalent en droit romain par le terme de dominium populi romani (1).

(1) Inst. Gaius, com. II, § 2.

SECTION I.

DU DOMAINE DE LA COURONNE.

La théorie législative sur les biens et les droits réels de la couronne que l'assemblée constituante a réalisée par le décret du 22 nov. 1790, a été adoptée, sous quelques modifications importantes, par la loi du 2 mars 1832. Ainsi, 1° le principe de la liste civile votée au commencement de chaque règne,et représentée dans ses droits actifs et passifs par un administrateur au choix de la royauté; 2o la dotation mobilière et immobilière de la couronne, donnant au roi la qualité d'usufruitier, libre de faire les additions et changemens utiles à la conservation et à l'embellissement des édifices; 3° l'existence d'un domaine privé laissé à l'entière disposition du roi, même par testament et sans restriction de quotité indisponible [23]; la nécessité d'un administrateur du domaine privé contre lequel seraient dirigés les actions et jugemens relatifs à ce domaine; 4o l'établissement d'un douaire au profit de la reine survivante : toutes les innovations de la constituante ont passé, avec des dispositions plus explicites, dans la loi de 1832.

Les biens de la couronne sont déclarés inaliénables et imprescriptibles [8]. Ils n'appartiennent pas au roi, dont les droits constituent un usufruit d'un ordre exceptionnel; ils appartiennent à la société comme être moral, investi de la souveraineté du territoire et du domaine éminent. Les échanges ne pourraient être faits qu'en vertu d'une loi; les coupes extraordinaires dans les forêts de la dotation auraient aussi besoin de l'intervention légilsative [12]. Les bois de la couronne sont soumis au régime forestier comme les bois de l'État et des établissemens publics; mais ils sont placés sous la surveillance d'agens et gardes spéciaux qui, nommés par l'administration de la liste civile, ne dépendent pas de l'administration forestière (1). Les biens de la dotation, livrés au roi, au nom de la société, dans l'intérêt de la dignité du trône, sont affranchis de l'impôt général des propriétés foncières; ils restent soumis aux charges départe(1) Code forest. 86, 87, 88.

mentales et communales qui n'ont pas ce caractère de généralité [13]. La société donne; elle a dû offrir les objets exempts de l'impôt levé en son nom; mais les départemens et les communes ne donnent pas; il n'y avait donc pas la même raison d'affranchir des charges locales les biens de la dotation.

L'exécution des titres et jugemens peut être poursuivie sur les biens du domaine privé, non sur ceux de la dotation ou sur les deniers de la liste civile. Le législateur a cru même devoir, par respect pour la dignité royale, déclarer expressément ces deniers insaisissables [27-28].

Si la loi de 1832 a recueilli les institutions nouvelles de 1790, elle a fait aussi des innovations d'une grande importance. Le principe de la dévolution des biens, fondamental dans l'ancien droit public et maintenu par la constitution de 1791, a été aboli par l'art. 22 de la loi du 2 mars. Les biens possédés par le prince, au jour de son avènement au trône, ne sont plus réunis au domaine national ; ceux qu'il a pu acquérir pendant són règne ne sont point frappés de réunion, lors même qu'il n'en aurait disposé ni entre vifs ni par testament; ils sont soumis à toutes les lois qui régissent les autres propriétés [24]; ils sont donc sous l'empire du droit commun, relativement à l'impôt, à l'exercice du droit de propriété et à la transmission ab intestat. On ne peut plus dire, avec la loi de 1790, qu'il n'y a pas de succession du roi, de la reine, de l'héritier présomptif. La loi civile a fait remonter ses règles de succession légitime et d'égalité jusque sur les marches du trône. Le législateur de 1832 a voulu, par l'organe de M. Salverte, auteur de la proposition, « l'assimilation du domaine du prince à celui de tout particulier.»>

Ainsi, ni la personne privée n'est absorbée dans la personne royale, ni le domaine privé dans le domaine national; et comme conséquence de ce principe nouveau, le rapporteur de la loi, M. Dupin, proclamait que « jamais les dettes du roi ne seraient les dettes de l'État. »

Cette conséquence était indispensable, mais elle ne suffisait pas en présence de l'importance progressive que pou

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