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vait acquérir le domaine privé, par suite du changement de législation aussi ce domaine est-il légalement grevé d'une charge qui ne lui était pas imposée par le décret de 1790.

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La loi de 1832 établit sur les fonds du trésor une somme annuelle d'un million pour la dotation de l'héritier de la couronne; des dotations peuvent être accordées aux fils puînés et aux princesses, filles du roi, par des lois spéciales. Les apanages réels, prohibés pour l'avenir par le décret du 22 novembre 1790 [16], ne sont point rétablis par la loi du 2 mars, et les dotations, prévues comme possibles en faveur des fils puînés, ne sont dans les termes et l'esprit de la législation nouvelle que des dotations en argent, ou des rentes apanagères, selon l'expression du décret de 1790. Mais la différence qui existe sur ce point entre la loi de 90 et celle de 1832, c'est que la première imposait la rente comme obligatoire pour l'État, à partir du mariage des fils du roi ou de leur âge de 25 ans accomplis, tandis que la seconde rend la dotation annuelle seulement facultative, et l'autorise en cas d'insuffisance du domaine privé [21]. Cette différence entre les deux législations de 89 et de 1830 vient du changement de condition dans le domaine privé : puisqu'on l'affranchissait du droit de dévolution au profit de l'État, on devait lui imposer les charges que son accroissement successif lui permettait de supporter, ubi commoda, ibi et onus; c'est encore le droit civil qui a fait invasion dans le droit public. La loi de 1832 n'est pas toutefois plus rigoureuse que celle de 1790; elle a déduit seulement une juste conséquence de l'innovation, par laquelle était anéantie la maxime de la réunion des biens, au jour de l'avènement du prince et à l'époque de son décès.

SECTION II.

DU DOMAINE PUBLIC.

L'assemblée constituante a souvent confondu dans ses décrets le domaine national et le domaine public. - D'un autre côté, nos lois nouvelles qualifient du nom de domaine de l'État et même de domaine public ce que les lois de la

révolution appelaient domaine de la nation. Il faut écarter ces confusions de langage qui empêchent la précision des idées et obscurcissent la clarté des doctrines.

Le domaine national, d'après la définition donnée plus haut, est le domaine éminent et de souveraineté ; il comprend généralement ce qui est en dehors de la propriété individuelle.

Le domaine public est une des branches du domaine national; selon la juste définition de M. Proudhon, «< il << embrasse tous les fonds qui, sans appartenir à personne, " ont été civilement consacrés au service public de la so« ciété. »

Le domaine de l'État est celui dont l'État, représenté par les pouvoirs constitués, jouit comme un simple particulier, exclusivement et à titre de propriétaire : il est aussi, comme le domaine de la couronne et le domaine public, une branche du domaine national.

La doctrine des jurisconsultes avait confondu, depuis le Code civil, le domaine public et le domaine de l'État: mais M. Proudhon (Traité du Domaine public) a fait la division avec tant de netteté et de profondeur, en s'appuyant sur le droit romain qui avait aussi distingué les quædam publica et les quædam universitatis, que la distinction est aujourd'hui définitivement acquise à la science du droit.

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Cette ́distinction au surplus est fondée sur la nature des choses. Il est des choses qui, improductives naturellement ou par la volonté sociale, sont destinées à l'usage de tous, comme les rivages, les ports, les routes les fleuves, et généralement toutes les portions du territoire qui ne sont pas susceptibles de propriété privée [C. civ. 538]; les membres de la société en jouissent en cette qualité ut singuli. Il est aussi des choses productives, comme des forêts, des domaines, des hôtels, qui sont possédés non par les membres de la société, ut singuli, mais par la société elle-même, ut universitas, représentée par les pouvoirs de l'État.

Cette distinction, fondée sur le droit romain et sur la

nature des choses, est aussi consacrée par le Code civil. Le domaine public est caratérisé par les art. 714, 538, 540; ces deux dernières dispositions emploient même l'expression propre de domaine public. Le domaine de l'État est expressément qualifié par les art. 713, 541, 560.

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L'article 539 paraît contraire à cette distinction nette et tranchée, en déclarant que tous les biens vacans et sans maîtres, et ceux des personnes qui décèdent sans . héritiers ou dont les successions sont abandonnées partiennent au domaine public. Il est évident que ces objets ne sont pas livrés à l'usage de tous, et que par conséquent ils ne peuvent pas tomber vraiment dans le domaine public tel que nous l'entendons. Mais une vérification de texte a prouvé que c'est par erreur que les mots appartiennent au domaine public ont été substitués à ceux du texte original promulgué le 14 pluviôse an XII, et qui portait les mots appartiennent à la nation. Sous le consulat le législateur suivait la tradition de l'assemblée constituante; il disait encore la nation dans le sens où nous disons l'État. Lorsqu'en 1807 Napoléon a voulu mettre le nouveau Code civil en harmonie avec les formes du gouvernement impérial, « les dénominations empereur, empire, « État y ont été substituées à celles de premier consul, gou« vernement, république, nation; » ce sont les expressions même de Bigot-Préameneu dans l'exposé des motifs (1). Ce n'est pas, comme l'a pensé M. Proudhon (2), par l'ordonnance du 30 août 1816 que le mot domaine public a été substitué par erreur dans l'art. 539 à celui de nation qui s'y trouvait. L'erreur remonte jusqu'à la loi du 3 septembre 1807, qui contenait l'édition officielle du Code Napoléon. D'après l'exposé des motifs, le mot État devait remplacer le mot nation; l'expression domaine public de l'art. 539 est donc une erreur matérielle. Ce fait authentiquement reconnu maintient dans toute son exactitude, d'après notre code la distinction fondamentale entre le domaine public et le domaine de l'État.

(1) Locré, Législation civile, t. I, p. 114. (2) Domaine public, t. I, p. 274.

Les conséquences de cette distinction sont importantes et à l'égard de l'État et à l'égard des individus.

1o Le droit de l'État sur le domaine public s'exerce par un pouvoir d'administration, de surveillance, d'entretien, de police, de juridiction, dans l'intérêt de tous, et afin que chacun puisse en jouir librement. - Mais son droit sur le domaine de l'État, proprement dit, est celui du propriétaire; sa gestion est celle qui tient au titre de propriété; de là des différences importantes pour l'application de la compétence administrative ou judiciaire;

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2o A l'égard des tiers, la distinction n'est pas moins essentielle dans ses effets chaque chose qui fait partie du domaine public est hors du commerce et imprescriptible [2226]: - chaque chose qui fait partie du domaine de l'Etat est aliénable et prescriptible [2227].

Un objet peut passer du domaine public dans le domaine de l'État; l'art. 541 en donne un exemple dans les terrains, remparts et fortifications des places qui cessent d'être places de guerre. En passant d'un domaine dans l'autre, l'objet qui était inaliénable et imprescriptible devient aliénable et prescriptible.

Une question grave s'est élevée : est-il nécessaire qu'il y ait une décision expresse de l'autorité administrative pour que la transition d'un immeuble, du domaine public dans le domaine de l'État, produise ses effets légaux à l'égard des tiers? L'affectation d'un fonds à un service public est un fait extérieur : si ce fait cesse complètement, si , par exemple, l'assiette d'une ancienne route est cultivée comme un champ pendant plus de trente années depuis la cessation du service public, il n'y a plus d'affectation réelle à l'usage de tous; il n'est pas besoin de déclaration expresse à cet égard. L'imprescriptibilité du fonds naissait de son incorporation au domaine public; le fonds y était incorporé par sa qualité de chemin public; mais si cette cause d'incorporation a cessé, l'effet a dû cesser également le fonds n'a plus eu que la qualité d'un terrain ordinaire dépendant du domaine de l'État, et susceptible de propriété privée. Il ne faisait pas partie

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du domaine public par sa nature, mais par sa destination; la destination ayant changé pendant longues années, le fonds a repris sa nature primitive; la forme fait ici la réalité, forma dat esse rei; le terrain, en cessant d'être livré au service public, est redevenu susceptible d'appropriation, et la possession privée a pu servir de base à la prescription trentenaire. Le cas d'un chemin est cité comme exemple et non comme limitation de la règle. Si nous avons insisté sur cette proposition, que l'affectation d'un fonds à un service public peut être abolie expressément ou tacitement, c'est que MM. Macarel et Boulatignier (1) ont formellement combattu sur ce point la doctrine de M. Proudhon, conforme à la solution que nous venons de présenter (2).

Après avoir caractérisé le domaine public, ses différences avec le domaine de l'État, et les conséquences légales decette diversité, il nous reste à déterminer les élémens qui le composent.

Ces élémens sont :

1o Les objets énoncés dans l'art. 538, « les chemins, «< routes et rues à la charge de l'État, les fleuves et rivières << navigables ou flottables, les rivages, lais et relais de la «mer, les ports, les havres, les rades et généralement << toutes les portions du territoire français, qui ne sont pas << susceptibles d'une propriété privée; »

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2o Les objets énoncés dans l'art. 540: « les portes, « murs, fossés, remparts des places de guerre et des forte«<resses. » Il ne faut pas s'arrêter à la rédaction vicieuse de l'art. 541, qui met sur la même ligue (il en est de même) les terrains des places qui ne sont plus places de guerre, en ajoutant qu'ils appartiennent à l'État : les premiers mots assignent ainsi au domaine public ce que les derniers mettent avec raison dans le domaine de l'État;

3o Les églises consacrées au service public du culte,

(1) De la Fortune publique en France et de son administration, t. Ier, p. 83. Dans le même sens, M. Isambert, Traité de la Voirie, no 374. Répertoire de Favard-Langlade, vo Inalienabilité.

(2) Proudhon, Domaine public, t. Ier, p. 289.

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