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dangereux et d'excessif quand il est isolé; que chacun nʼa mis dans l'association que ses avantages naturels, ses qualités vitales. Ainsi la royauté, dans sa situation nouvelle cesse d'être menaçante, de tendre au pouvoir absolu; elle revêt le caractère d'un pouvoir actif et modérateur.-Ainsi, l'aristocratie n'est plus la puissance nobiliaire et territoriale. L'élément matériel de l'ancienne aristocratie a été brisé et dispersé par la révolution: la loi civile et politique de l'égalité des partages, si profondément enracinée dans nos nouvelles mœurs, rend sa recomposition impossible dans l'avenir. La richesse territoriale, l'antiquité des souvenirs et des noms de famille ne se suffisent plus à ellesmêmes; il faut qu'elles s'ennoblissent de l'éclat du mérite personnel, des grands services, des grands talens : c'est la seule aristocratie désormais possible en France; et cette aristocratie de gloire et d'intelligence, concentrée dans un pouvoir constitué, a pour mission spéciale, dans l'ensemble des pouvoirs sociaux, d'assurer la stabilité de l'État. Ainsi encore, la démocratie française, ne prenant une part active au mouvement politique que par l'exercice de certains droits attachés à des conditions de capacité, se sépare de la turbulence des anciennes républiques, des désordres de 92 et de ceux qu'elle entraîne encore aujourd'hui aux ÉtatsUnis d'Amérique. Dans sa condition nouvelle, elle unit les citoyens par les liens de l'intérêt commun, elle répand la vie et l'activité dans les membres du corps social, elle oppose une barrière permanente aux envahissemens du pouvoir, sans déchaîner sur lui la violence des masses.-L'alliance de ces trois élémens, la royauté, l'aristocratie mo– derne, la démocratie, et leur combinaison pour la plus grande garantie de l'ordre et du but social, telle est donc la nature du gouvernement représentatif.

Quel sera son principe, c'est-à-dire le mobile qui devra le faire agir, la vertu ou la passion humaine qui devra le faire mouvoir? Question grave, car à les lois, dit Montesquieu, ne doivent pas être moins relatives au principe de chaque gouvernement qu'à sa nature. »

Ce principe viendra du sentiment de liberté et d'égalité qui

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constitue l'homme lui-même, et du besoin de trouver dans le gouvernement représentatif la garantie des rapports lé– gitimes de l'homme et de la société. La noble passion de la société française, née du christianisme et éclairée par la civilisation moderne, c'est l'amour de la liberté publique et civile: cette vertu nationale sera le principe d'action du gouvernement représentatif. Ce principe agira et réagira sans cesse de la société sur le pouvoir, du pouvoir sur les citoyens; l'amour de la liberté et de l'égalité, sentiment énergique au cœur des citoyens, se changera dans le gouvernement en respect nécessaire pour la liberté et l'égalité des droits, garantie par la constitution. Montesquieu assigne pour principes aux anciens gouvernemens et à ceux de son temps, savoir: Au gouvernement démocratique, l'amour de l'égalité; au gouvernement aristocratique, la modération; à la monarchie, l'honneur; au despotisme, la crainte mais quand il se place en présence de l'Angleterre, il lui faut un mobile de plus : « Il y a une nation dans le monde, «< dit-il, qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique. » — L'amour de la liberté politique est donc regardé par lui comme le principe du gouvernement anglais, c'est-à-dire du seul gouvernement représentatif alors existant. Mais la constitution de la France, au XIXe siècle, n'a pas seulement ou principalement en vue la liberté politique; elle a pour but de garantir tous les résultats donnés par la révolution de 89, qui a porté sur le droit naturel et civil des personnes et des propriétés, comme sur les bases et l'exercice de la souveraineté; elle a directement pour objet et la liberté civile fondée sur l'égalité, et la liberté politique. Ce n'est donc pas seulement l'amour de la liberté politique que l'on peut assigner comme principe à notre gouvernement; c'est l'amour de la liberté publique et de la liberté civile ou privée qui agit vraiment au sein de la société française, qui en forme le principe vivifiant, et qui de la société doit naturellement pénétrer dans les lois et dans l'action des pouvoirs. Ce principe d'action est tellement celui du gouvernement représentatif en France, que, s'il venait à se corrompre, à se dissoudre, si l'amour de la

liberté publique et de la liberté civile s'éteignait dans les cœurs, le gouvernement représentatif n'existerait plus; il ne serait qu'une forme vaine, qu'un impuissant simulacre. Là se justifierait cette autre maxime, puisée par Montesquieu dans l'histoire des nations, que les gouvernemens

périssent par la corruption de leur principe.

La nature et le principe du gouvernement représentatif en France étant reconnus, interrogeons la constitution nationale dans l'ensemble de ses dispositions.

CHAPITRE II

ELEMENS DE NOTRE DROIT PUBLIC positif.

Le droit public est celui qui détermine l'organisation, les attributions et les rapports généraux des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire, spirituel, et qui règle les droits ou devoirs des citoyens dans l'exercice des libertés publiques : Jus publicum, quod spectat ad statum reipublicæ.

La charte a suivi le procédé de la science et des constitutions modernes qui se sont occupées des droits de l'homme avant de traiter des formes politiques (1): elle a statué sur les droits naturels des Français avant de créer l'organisation des pouvoirs.

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La première idée qu'elle consacre est un principe d'égalité Les Français sont égaux devant la loi, quels que << soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs; » la seconde est une idée de liberté : « Leur liberté individuelle est éga«<lement garantie. » Ce sont ces idées chrétiennes d'égalité et de liberté qui ont fait la révolution de 89. « L'esprit de « la révolution, disait Mirabeau, trouve sa sanction dans << les principes mêmes et les élémens du christianisme. « L'Évangile et la liberté sont les bases inséparables de la « vraie législation et le fondement éternel de l'état le plus << parfait du genre humain. » Mais après avoir consacré le principe de la civilisation moderne, la Charte donne à ce principe la garantie du devoir et du pouvoir social.

(1) L'école de Grotius et des philosophes du droit naturel a précédé celle de Montesquieu, qui, dans le chapitre 5, liv. II de l'Esprit des lois, sur la constitution d'Angleterre, a enseigné le jeu et la puissance des formes politiques. La constitution des États-Unis et les constitutions de 1791, de 1793 et du 5 fructidor an 3, étaient précédées de déclarations de droits.

La Charte se compose de trois parties bien distinctes, sinon par une division formellement exprimée dans le texte, du moins par leur nature; ce sont

Les droits individuels,

Les droits politiques,

L'organisation des pouvoirs et leurs attributions.

Nous allons traiter d'abord des droits individuels et politiques.

L'organisation des pouvoirs formera la matière d'un chapitre séparé.

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Les droits individuels sont les droits naturels et civils qui tiennent à la personne de tout Français: c'est ce que Blakstone appelle droits absolus (1). Ils sont fondés sur la liberté et l'égalité de notre nature, sur les droits que nous avons tous à l'exercice de notre liberté dans les limites de la raison et de la loi. Ils sont compris dans les dispositions de la Charte qui consacrent la liberté de la personne [art. 4], la liberté de religion [art. 5], la liberté d'imprimer et de publier ses opinions [art. 7], la liberté dans l'exercice des droits de propriété [art. 8], le droit de n'être cité que devant ses juges naturels [art. 53-54].

Les articles 1, 2 et 3 de la Charte où se trouvent exprimées l'égalité devant la loi, l'égalité proportionnelle des charges, l'égale admissibilité aux emplois publics, ne constituent pas des principes absolus. Ce sont des dispositions empruntées à la déclaration des droits de 1791 [art. 1,6,13], qui sanctionnent la destruction de priviléges reconnus dans l'ancien régime.-L'égalité devant la loi ne contient point un principe absolu, car la Charte ne veut pas, par exemple, que tous les Français soient électeurs ou éligibles. L'article signifie qu'il n'y aura plus de priviléges fondés sur des titres et des rangs pour échapper aux lois ou aux juri

(1) Commentaires sur les lois d'Angleterre liv. Ier. Benjamin-Constant, Cours de politique constitutionnelle (en 4 vol., 1818), s'est servi de l'expression droits individuels et en a fait la matière d'une distinction dans le même sens que celui adopté par nous. Voir son t. Ier, p. 144 et p. 300.

On peut consulter aussi l'Essai sur les garanties individuelles, de M. F. Daunou, 1819, 1 vol.

dictions ordinaires.--L'égalité proportionnelle aux charges de l'État ne suppose pas que cette proportion sera recherchée à la rigueur partout et envers tous, car on ne s'arrête qu'à des circonstances extérieures pour asseoir la répartition de certains impôts; la loi se contente nécessairement, et pour éviter les mesures inquisitoriales, d'apparences souvent trompeuses. Mais la Charte veut dire qu'il n'y a plus et qu'il ne pourra plus y avoir d'ordres privilégiés ou de nobles qui puissent s'affranchir de l'obligation de payer les impôts.— L'égale admissibilité aux emplois civils et militaires ne signifie pas que tout le monde pourra indistinctement être magistrat, fonctionnaire public, officier d'un haut grade; cela veut dire qu'il ne sera plus nécessaire de produire ses titres de noblesse pour être, par exemple, colonel d'un régiment, comme du temps de Louis XV, ou pour être magistrat, comme on l'exigeait au parlement de Bretagne. Ces trois premiers articles sont donc la condamnation constitutionnelle de l'ancien régime, la prohibition des priviléges de juridiction, des priviléges en matière d'impôts, des priviléges d'admissibilité aux emplois militaires et civils. Mirabeau avait dit: Guerre aux priviléges! La révolution les avait vaincus dans la nuit du 4 août: la déclaration des droits avait enregistré le résultat de la victoire: la Charte a de nouveau consacré les effets de la conquête.

Il ne faut regarder comme des vérités absolues que les dispositions applicables aux droits individuels. La Charte n'a en vue que le présent et l'avenir, quand elle proclame la liberté individuelle, la liberté de conscience, la liberté de la presse, le droit de propriété. C'est le droit de chaque Français, droit fondé sur sa nature libre et intelligente, qu'elle déclare et qu'elle garantit.

La Charte a dit et nous répétons avec elle que c'est le droit des Français. Cependant les droits individuels ne sont pas vraiment limités à la personne des Français ou des naturalisés français. La liberté de conscience, la liberté de la presse, le droit de propriété et de transmission par voie de succession sont aussi des droits communs aux étrangers résidant en France. La liberté individuelle de l'étranger su

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