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lonté royale, comme en matière de sanction et de promulgation des lois. Dans la théorie du gouvernement représentatif, il n'y aurait pas de royauté sans ces actes primitifs, supérieurs, moralement inséparables de l'idée d'une royauté constitutionnelle; ils sont de l'essence de ce pouvoir. Au contraire, sous le point de vue spéculatif, l'idée de la royauté constitutionnelle pourrait être séparée de la faculté de déclarer la guerre, de faire les traités de paix, d'alliance, de commerce, de nommer aux emplois inférieurs d'administration publique. Bien que ces derniers actes et ceux de même espèce appartiennent, à juste titre et d'après notre constitution, à la royauté française, on conçoit cependant qu'ils pourraient être confiés à des ministres, sous le contrôle des chambres, ou résulter des décrets d'une assemblée législative, comme on l'a vu dans les Constitutions de 94 et de l'an VIII; mais on ne conçoit pas qu'il en pût être ainsi du droit de nommer les ministres, de convoquer et de dissoudre la chambre, qui s'identifie et se confond avec l'idée même de la royauté dans une monarchie représentative. Il faut donc appliquer aux actes du pouvoir exécutif une distinction souvent employée, en matière civile, par les jurisconsultes : il faut distinguer entre les actes qui sont de l'essence et ceux qui sont de la nature de la royauté constitutionnelle : le roi exerce DIRECTEMENT les premiers par la seule force de sa prérogative; le roi, comme chef de la puissance exécutive, exerce les seconds, mais par l'INTERMÉDIAIRE OBLIGÉ de ses ministres. C'est sur cette distinction que repose la théorie de la responsabilité ministérielle. Les ministres ne seront pas responsables des actes qui tiennent essentiellement à la prérogative royale, mais ils seront responsables de tous les actes qui tiennent à la nature de la puissance exécutrice, que le roi aura exercés par leur intermédiaire obligé, ou qu'ils auront accomplis soit par euxmêmes soit par leurs subordonnés.

Nous avons fait connaître les actes que le roi exerce directement en vertu de sa prérogative; ils sont, comme on l'a vu, au nombre de cinq, et s'accomplissent dans la plus haute sphère du pouvoir actif et modérateur.

Les

actes que la royauté exerce par l'intermédiaire obligé de ses ministres sont: 1° les déclarations de guerre; 2o les confections des traités de paix, de commerce et d'alliance; 3o les nominations aux emplois de l'administration publique et judiciaire, les nominations même des pairs de France, depuis la loi de 1831, qui exige des conditions positives d'admissibilité; 4° la confection des règlemens et ordonnances pour l'exécution des lois.

A ces deux classes d'actes que le roi exerce soit personnellement soit par l'intermédiaire obligé de ses ministres, il faut joindre une troisième classification: celle-ci embrasse les actes de l'administration publique, prise dans le sens le plus restreint, l'exécution des services administratifs.

Le roi nomme aux emplois de l'administration publique, mais il n'administre pas. Il en est de l'administration publique, proprement dite, comme de l'exercice de la justice: le roi nomme aux fonctions et délègue le pouvoir sur les divers degrés de la hiérarchie judiciaire et administrative.

A la lueur de ces principes, on peut apprécier la formule: Le roi règne et ne gouverne pas; en restant dans la théorie de la Charte, on doit dire : Le roi règne et n'administre pas. Le gouvernement représentatif est composé de plusieurs pouvoirs qui se balancent et se limitent les uns les autres ; ce n'est pas un de ces pouvoirs, c'est leur ensemble, c'est leur action combinée qui constitue, à vrai dire, le gouvernement: la royauté a sa part constitutionnelle dans le gouvernement représentatif, et la Charte en a placé l'exercice sous le titre, formes du gouvernement du roi, mais certainement la royauté n'est pas, elle ne peut pas être le gouvernement tout entier. - Si par gouverner on entend appliquer l'action exécutive aux détails, on prend gouverner dans le sens d'administrer, et il est évident que, dans ce sens restreint, le roi ne gouverne pas, puisqu'il n'administre pas. Si par gouverner on entend exercer l'action du pouvoir exécutif en général, il est évident encore que le roi gouverne tantôt par lui-même, tantôt par l'intermédiaire obligé de ses ministres respon

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sables, selon la différente nature des actes de la puissance exécutive régner et gouverner, alors, c'est une seule et même chose pour la royauté. Mais, comme nous l'avons dit, c'est l'action combinée des pouvoirs constitutionnels qui forme le gouvernement représentatif; le roi a sa part de gouvernement qu'il ne peut étendre et qu'on ne peut lui enlever. D'après la Charte, en un sens il gouverne, en l'autre il ne gouverne pas la formule proposée est donc vague, insuffisante; la formule, conforme à la vérité constitutionnelle est celle que nous avons énoncée : Le roi règne et n'administre pas.

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La Charte a dit l'ordre et non le pouvoir judiciaire; mais ce que Montesquieu appelle la puissance de juger forme si bien, dans notre constitution, une branche différente du pouvoir exécutif proprement dit, que le roi, qui exerce, en certains cas, le pouvoir exécutif, ne peut jamais, comme les rois de la monarchie féodale et parlementaire, exercer le droit de rendre personnellement la justice.

L'art. 48 de la Charte, «< toute justice émane du roi, est une réminiscence des luttes que la royauté avait soutenues contre les prétentions des justices féodales et ecclésiastiques. Le droit de justice, uni par la féodalité au droit de fief, fut rattaché lentement à la couronne comme un droit essentiellement régalien; et si le principe n'avait pas eu autrefois une application absolue, puisqu'il existait encore, en 1789, des justices patrimoniales, il avait donné, du moins, à la royauté une suprématie générale par le droit de ressort et d'appel. Les légistes avaient préparé cette centralisation judiciaire par la maxime que toute justice émane du roi. Dans le droit actuel, où toutes les juridictions ont puisé leur origine au sein de la révolution de 89, cette maxime, avec son côté historique, a une valeur de théorie, en ce sens que la nomination et l'institution des magistrats inamovibles, des membres amovibles du ministère public et des juges de paix, émanent du roi; que les juges consulaires, élus par les notables commerçans, sont institués au

nom du roi; qu'enfin tous les jugemens sont revêtus de la formule exécutoire et sont exécutés au nom du roi. —Au principe tiré des anciennes maximes et renouvelé par la révolution, la Charte a joint une garantie absolue contre le retour des commissions et des tribunaux extraordinaires, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce puisse être; et, de plus, elle s'est approprié l'institution du jury. Le jury, en matière criminelle, en matière de délits de la presse et de délits politiques, c'est l'intervention sociale dans le pouvoir judiciaire, comme la chambre des députés est l'intervention sociale dans le pouvoir législatif. — Au sommet de l'ordre judiciaire, l'assemblée constituante avait placé la cour de cassation pour juger non les procès, mais les jugemens et arrêts dans leur rapport avec la loi. Cette belle création, dont Tronchet avait emprunté l'idée à l'ancien conseil d'État, est acceptée et consacrée par la Charte comme l'institution qui, participant à la nature du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif, est le centre de l'uniformité des lois, le foyer de l'interprétation doctrinale et de la jurisprudence rationnelle.

S IV. INSTITUTIONS AUXILIAIRES DU POUVOIR EXÉCUTIF.

D'ÉTAT. COUR DES COMPTES.

CONSEIL

L'action exécutive serait souvent défectueuse, et quelquefois impossible, si elle n'était préparée et éclairée par les conseils de l'expérience et de la science administrative :de là l'institution du conseil d'État.

D'un autre côté, le vaste maniement des deniers publics a besoin d'une garantie spéciale qui en assure l'exactitude, qui constate les écarts de l'incurie ou de l'improbité des comptables, qui fonde la sécurité des fonctionnaires de cet ordre, ou prépare leur répression publique :— de là l'institution de la cour des comptes.

Ces deux institutions ne forment pas des pouvoirs à part; elles se lient aux fonctions du pouvoir exécutif, et sont tantôt les auxiliaires, tantôt les régulateurs de l'action administrative.

I. L'existence du conseil d'État est conforme à la nature de nos institutions qui supposent, dans le pouvoir exécutif,

l'intelligence des besoins de la société, la connaissance des faits, la lumière du droit. Il est naturel et nécessaire qu'auprès des agens supérieurs de l'administration il existe un corps imposant de fonctionnaires spéciaux et expérimentés, qui prépare les ordonnances ou les règlemens d'administration publique, et qui écarte les obstacles que l'administration peut rencontrer soit dans les intérêts et les droits particuliers, soit dans l'action de l'autorité judiciaire: de là les attributions du conseil en matière purement administrative, en matière contentieuse et dans les cas de conflit.— Mais qu'il soit appelé à discuter un acte d'administration ou à résoudre une question contentieuse, le conseil d'État garde, dans notre droit public, son caractère purement consultatif; ses décisions en matière contentieuse sont revêtues de la forme des ordonnances et de la signature du roi (1): les affaires qui, d'abord purement administratives, deviennent contentieuses, changent d'aspect, mais non de nature; interpréter un acte administratif, c'est toujours, en définitive, administrer; et le pouvoir exécutif, dont le conseil d'État est le puissant auxiliaire, doit conserver son indépendance et les formes ordinaires de sonfaction.

La Charte ne mentionne pas expressément le conseil d'État, mais l'article 59 a maintenu les lois non contraires à ses dispositions. Créé par l'art. 52 de la constitution de l'an VIII, «< afin de rédiger les projets de lois et les règlemens d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative, » le conseil d'État fut successivement investi de prérogatives incompatibles avec la liberté d'action et la responsabilité des ministres. Sous le régime consulaire et impérial, la responsabilité des ministres n'existait que dans les rapports des ministres avec le chef du gouvernement. Elle n'existait pas dans les

(1) Nous exposons l'état actuel de la législation; mais c'est une grave question que celle de savoir si le conseil d'État, quand il statue en matière contentieuse, doit conserver ce caractère consultatif ou bien prendre le caractère d'un tribunal supérieur qui donne force suffisante à ses arrêts sans l'intervention du roi. Dans le projet de loi présenté en 1840 et amendé par la commission où figuraient MM. Dalloz, Odilon-Barrot, Isambert, Toqueville, etc., on s'est arrêté à l'idée d'un tribunal supérieur rendant des arrêts exécutoires sans la signature du roi.

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