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délai

par l'ordonnance [art. 8], et la procédure des conflits est une procédure de droit public;

3o Il y a déchéance, si le texte de la loi qui fonde le conflit n'a pas été rapporté textuellement dans l'arrêté (1); la formalité est substantielle, et son absence entraîne nullité : c'est une garantie que l'ordonnance a voulu donner à l'autorité judiciaire contre les envahissemens possibles de l'administration.

4o Du droit des tribunaux à l'égard des déchéances.

Une question fondamentale se rattache à celle des déchéances les tribunaux peuvent-ils apprécier, dans la forme, la validité des arrêtés de conflit? en d'autres termes, ont-ils le droit de statuer sur les déchéances des conflits tardifs ou irréguliers?

Un arrêt du conseil d'État a décidé « qu'il n'appartient qu'au roi, en son conseil d'État, de statuer sur la vali«‹ dité des conflits, tant en la forme qu'au fond, et qu'une « Cour excède les pouvoirs de l'autorité judiciaire et con« trevient formellement aux dispositions de la loi du 24 <«< fructidor an III, en s'immiscant dans l'appréciation de « l'arrêté de conflit (2). » M. de Cormenin en a tiré la règle, « que les tribunaux ne doivent pas s'immiscer dans l'ap«préciation d'un arrêté de conflit (3), » sans autre explicacation. Cette décision et cette règle nous paraissent contraires à l'esprit et au texte de l'ordonnance du 1er juin 1828. Les art. 1, 2, 3, 4 ont indiqué les cas dans lesquels il ne peut être élevé de conflit; les art. 8 et 11 ont fixé les délais dans lesquels les arrêtés de conflit doivent être élevés; l'art. 9 a indiqué leur forme substantielle. L'objet de ces dispositions et l'esprit général de l'ordonnance ont été de protéger l'autorité judiciaire contre les entreprises administratives qui, dans les temps antérieurs, avaient porté atteinte à l'ordre des juridictions et troublé le cours

(1) C'est la disposition de l'art. 3 de l'ordonnance. Un arrêt du conseil d'État a décidé qu'il suffirait que l'arrêté visât la disposition en rapportant la date; mais c'est oublier la disposition formelle de l'ordonnance. (Arrêt 3 fév. 1835. Jantes.) (2) Le conseil d'État a annulé par ce motif un arrêt de la Cour de Rennes, du 14 avril 1834, affaire Jantes.

(3) Droit admin., vo Conflit.

de la justice; mais ce but sera manqué si les tribunaux sont obligés de s'arrêter devant une déclaration de conflit, quelle qu'elle soit. Ainsi, la justice criminelle sera paralysée, malgré la disposition prohibitive du conflit en matière criminelle. Ainsi, des arrêtés tardifs et irréguliers dans la forme seront des obstacles inviolables pour la justice civile. La justice criminelle et la justice civile seront donc enchaînées dans leur cours par un acte qui n'aura qu'une vaine apparence, et qui sera en contradiction formelle avec les dispositions de l'ordonnance sur les conflits! Une telle conséquence répugne à la pensée du législateur. Pour concilier les droits de l'autorité administrative avec ceux de l'autorité judiciaire, une distinction nous paraît essentielle ou il s'agira d'apprécier la légalité de l'arrêté dans ses rapports avec les dispositions de l'ordonnance, concernant soit les prohibitions de conflits, soit les délais et les formes des arrêtés, et alors les tribunaux seront juges de la légalité du conflit; ou il s'agira de l'appréciation de l'arrêté au fond, quant à l'objet de la revendication administrative, et alors le tribunal ne pourra faire une appréciation qui rentre dans le domaine exclusif du conseil d'État. Le tribunal s'est expliqué déjà une fois sur la compétence; il a épuisé son droit à ce sujet dans le jugement de compétence rendu sur le déclinatoire du préfet. C'est ce jugement qui a déclaré la dissidence d'opinion entre l'autorité judiciaire et l'autorité a dministrative; c'est ce jugement qui a provoqué l'arrêté de conflit: le conflit n'existe que sur la compétence; donner au tribunal le droit d'apprécier en lui-même l'arrêté de conflit, ce serait le faire juge en sa propre cause; ce serait l'autoriser à s'immiscer dans le jugement même du conflit. Là, mais là seulement, se fait sentir la nécessité rationnelle du sursis et d'une autorité supérieure pour régler le conflit. Le seul principe admissible, comme règle puisée dans la loi et la nature des juridictions, est donc que les tribunaux ne peuvent s'immiscer dans l'appréciation, au fond, des arrêtés de conflit légalement formés (1).

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(1) C'est aussi l'opinion de M. Duvergier, note 4, sur l'art. 12 de l'ord. de 1828, et de M. V. Foucher, avocat-général. Revue de législation, t. Ier, p. 31.

Le conseil d'État, qui en 1835 a décidé dans un sens opposé à ce principe, avait jugé par ordonnance du 13 déc. 1833 (1) que le délai exigé pour le dépôt au greffe par les art. 8 et 11 de l'ordonnance, était prescrit à peine de nullité; il avait annulé le conflit du préfet et non le jugement du tribunal qui avait refusé de surseoir; il avait donc reconnu au tribunal le droit d'appréciation du conflit dans ses conditions extrinsèques; mais il faut reconnaître que le conseil d'État, depuis 1835, professe la doctrine contraire à celle que nous avons établie ci-dessus. Ainsi une ord. du 18 février 1839 a annulé un arrêt de la cour de Montpellier, motivé sur ce qu'un conflit aurait été tardivement élevé. Cette jurisprudence du conseil d'État ne peut se fonder que sur un seul motif, qu'elle n'exprime pas cependant, savoir: qu'un arrêté de conflit est un acte administratif, et que les tribunaux ne peuvent empêcher, ni directement ni indirectement, l'effet d'un acte administratif. Or, la question de savoir si les tribunaux ne peuvent pas négliger et regarder comme non avenu un acte administratif, dépourvu des formes légales, tient aux conditions mêmes de notre ordre constitutionnel. La Charte de 1830, art. 13, dit que, « le roi fait les rè<< glemens et ord onnances nécessaires pour l'exécution des ordonnances «<lois sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, «ni dispenser de leur exécution. » Les tribunaux ont donc le droit et le devoir constitutionnel de se refuser à l'exécution d'une ordonnance contraire à la loi; et s'ils ont ce droit, à l'égard d'une ordonnance du roi, comment ne l'auront-il pas à l'égard d'un simple arrêté du préfet? Tous les jours les tribunaux de police refusent d'appliquer les peines de police aux arrêtés des maires qui sont pris hors des limites fixées par les lois des 16 août 1790 et 19 juillet 1791 (2); mais ils ne déclarent pas les arrêtés nuls, parce que le droit de réforme n'appartient qu'à l'autorité administrative. Il en doit être ainsi des arrêtés de conflit; s'ils sont dépourvus des conditions légales, le tribunal ne

(1) Dalloz, 1840, 3, 30.

(2) Code pén., art. 471, no 15.

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les déclarera pas nuls, parce qu'il n'a pas le droit de réforme, mais il en empêchera indirectement l'effet en les regardant comme non avenus, et en passant outre. Le conseil d'État appelé par le préfet à statuer définitivement sur l'arrêté de conflit aura sans doute à examiner les conditions de légalité. S'il pense que le tribunal se soit trompé sur la question légale, il approuvera l'arrêté de conflit, et déclarera non avenus les jugemens rendus sur le refus de sursis et sur le fond; mais si le conseil d'État pense, au contraire, que l'arrêté de conflit n'était pas dans les formes et les délais prescrits par la loi, il annullera l'arrêté et respectera les décisions émanées de la justice. Par cette doctrine, chaque pouvoir restera renfermé dans les limites de sa légalité, selon le vœu de la Charte constitutionnelle.

II. Conflit négatif et règlement de juges administratifs. Le conflit négatif résulte de la déclaration respective d'incompétence faite par les juges civils et administratifs, au sujet de la même affaire. L'autorité administrative, proprement dite, est désintéressée dans le conflit négatif, puisque le tribunal administratif a refusé de connaître de la cause dont il était saisi directement ou par le renvoi de l'autorité judiciaire. Mais il y a, dans un intérêt autre que celui de la compétence, nécessité de vider le débat entre les deux autorités qui sont respectivement dans une indépendance absolue, et dans une égale impuissance d'annuler réciproquement les actes qui émanent d'elles il faut que la justice puisse reprendre son cours, et qu'un pouvoir régulateur intervienne. Ce pouvoir, c'est la royauté prononçant par l'intermédiaire du conseil d'État, qui vérifie les faits. L'ordonnance du roi, qui statue sur le conflit négatif, renvoie le litige soit au tribunal qui s'en est dessaisi, soit au corps administratif qui a refusé d'en connaître. « Là, dit << M. Henrion de Pansey, ne doit pas s'arrêter la sollicitude << du régulateur suprême. Le tribunal auquel il a renvoyé «<l'affaire s'en était dessaisi par un jugement; ce jugement, << en opposition avec l'ordonnance de renvoi, sera un obsta«cle à son exécution, jusqu'à ce qu'il soit réformé, et le «< juge qui l'a rendu ne peut pas lui-même en prononcer la

« réformation. Le roi est donc autorisé, par la force des cho«ses, à déclarer qu'il n'y a pas lieu à faire droit sur ce juge«ment et qu'il doit être regardé comme non avenu (1). »

Le conflit négatif n'existe, à proprement parler, que lorsqu'il y a refus respectif de l'autorité judiciaire et de l'autorité administrative de connaître d'une question. - Mais une déclaration d'incompétence peut être faite par deux conseils de préfecture, ou par un préfet et un conseil de préfecture. Alors il y a lieu à règlement de juges administratifs, et le conseil d'État déclare quel est le juge compétent.

III. Observation générale sur les conflits.

La prérogative royale, qui ne s'exerce que par l'intermédiaire du conseil d'État en matière de conflits, est un droit analogue à celui de la royauté à l'égard de tous les corps délibérans. Le roi a le droit de dissoudre la chambre des députés, les conseils de départemens, les conseils municipaux, à la charge d'en provoquer la prompte réélection. Il ne peut dissoudre les corps judiciaires qui voudraient faire invasion dans le domaine administratif; leur nature permanente, leur inamovibilité s'y opposent. Et cependant, il faut que le roi constitutionnel puisse les faire rentrer dans leurs limites, comme tous les autres pouvoirs dont il est le souverain modérateur : il faut donc qu'il ait un moyen d'arrêter les empiétemens, sans porter atteinte à l'existence des corps de magistrature. Or, l'autorité judiciaire ne pouvant empiéter dans le domaine de l'administration que par la connaissance de certaines affaires, c'est précisément à l'occasion des affaires qui seraient un sujet d'empiétement, que doit s'exercer et que s'exerce la prérogative royale.

Le principe constitutif du droit d'élever et de terminer tous les conflits d'attributions, entre l'autorité judiciaire et l'autorité administrative, est donc en rapport avec les bases de notre ordre constitutionnel.

(1) De l'autorité judiciaire, t. II, p. 405.

FIN DU DROIT ADMINISTRATIF.

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