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à l'ancien droit canonique; la loi ne chercha pas à spécifier les cas particuliers, elle assigna les causes générales (1): 1° Usurpation ou excès de pouvoir;

2o Contravention aux lois et règlemens de l'État ;

3o Infraction des règles consacrées par les canons reçus en France;

4° Attentats aux libertés, franchises et coutumes de l'Église gallicane;

5o Les refus arbitraires et injurieux de sacremens, de sépulture ecclésiastique, les offenses contre les personnes par le moyen des prédications, tous ces actes d'intolérance et de scandale qui avaient appelé la fréquente intervention des parlemens, furent compris dans le cas d'abus 'sous cette disposition générale : « Toute entreprise ou tout procédé <«< qui, dans l'exercice du culte, peut compromettre l'hon«neur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, « dégénérer contre eux en oppression, ou en injure, ou en << scandale public » [L. 18 germ. an X, art. 6] (2).

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La loi organique a ainsi rétabli la protection due par l'État aux citoyens en matière de religion : « L'État, dit « Portalis, doit garantir à ceux qui professent une religion la jouissance des biens spirituels qu'ils s'en pro<«< mettent. » Lorsqu'un citoyen est privé d'une portion de ces biens spirituels en dehors des règles canoniques reçues dans l'Église gallicane, il peut se plaindre ; ou la répression de l'acte arbitraire et injurieux qui aura troublé ses derniers momens, qui aura insulté à sa mémoire, pourra être réclamée par les représentans du défunt et les dépositaires de son honneur. S'il y a scandale public, et à défaut de plainte

. (1) On peut consulter: 1o le Traité de l'abus, de Fevret, édit. 1736, 2 vol. in-f“; - 2o les Lois ecclésiastiques de Dhéricourt; 3o les Institutions au droit ecclésiastique, par Fleury, 2 vol. in-12; — 4o le Dictionnaire canonique, de Durand de Maillane, 1776, vol. in-4°.

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(2) « La participation aux sacremens appartient à tous ceux qui sont dans la « communion de l'Église; les en priver publiquement, c'est les excommunier, << puisque c'est leur retrancher la portion qui leur appartient dans la commu<< nauté des biens spirituels. Le souverain a donc le droit, il est même obligé « d'examiner ces refus d'examen, s'ils sont réguliers et justes, et d'user des re«mèdes qu'il à en main pour arrêter les abus et les contraventions aux canons «‹ à cet égard. » (Autorité, t. II, p. 9.)

:

L'AN X. 81 particulière, le recours devra être exercé d'office par l'autorité. La seule différence entre l'ancien et le nouveau droit est dans la nature de l'autorité compétente : l'exercice du recours d'office par les préfets a remplacé l'imposante action du ministère public; la déclaration d'abus par le conseil d'État a remplacé les arrêts des parlemens mais peut-être un jour, l'attribution des cas d'abus sera-t-elle rendue à la magistrature. C'est un vœu public qui avait été accueilli même en 1813 et en 1817 par des essais de concordats destinés, d'ailleurs, à mourir dans l'ombre. C'est un vœu fondé sur la nature des choses, puisque les cas d'abus intéressent tout à la fois l'ordre public et les droits des citoyens, lesquels sont placés sous l'égide de la magistrature.

III. Sous le point de vue des libertés extérieures de l'Église gallicane, la loi organique ne pouvait que confirmer les règles de l'ancien droit. C'était le glorieux patrimoine de l'ancienne monarchie, transmis des premiers temps à saint Louis, de saint Louis à Louis XIV. La déclaration de 1682 et l'édit du 23 mars redevenaient donc une loi de l'État. La nécessité pour le pouvoir spirituel de soumettre tous ses actes à l'autorisation du gouvernement, avant leur publication, redevenait dans la loi de l'an X une disposition fondamentale. Le conseil d'État héritait encore ici, mais plus justement, de la prérogative parlementaire.

Ainsi l'autorisation préalable est aujourd'hui nécessaire 1° pour la publication et exécution des bulles, rescrits, provisions ou autres expéditions de la cour de Rome; 2° pour l'exercice sur le sol français des fonctions de nonce, légat ou commissaire apostolique; 3° pour la réunion des conciles nationaux ou métropolitains, des synodes diocésains ou autres assemblées du clergé.

4° Quant aux décrets des conciles généraux, l'examen, avant toute publication, de leur forme, de leur conformité avec les lois et franchises de l'État et de l'Église gallicane, est aussi maintenu selon la tradition de nos anciennes maximes.

Et afin d'assurer la perpétuité, dans le clergé moderne,

des principes qui doivent régler les rapports de l'Eglise et du pouvoir temporel, la loi de l'an X prescrit l'enseignement, dans les séminaires, de la doctrine que Bossuet à exprimée, avec l'assentiment de l'Église de France, dans la déclaration de 1682.

L'ancienne doctrine de l'Église gallicane, modifiée par le principe de la liberté religieuse : tel est donc le fondement sur lequel s'appuie le droit public ecclésiastique au XIXe siècle. L'État a repris le système de protection abandonné par la Constitution de l'an III; mais la protection du pouvoir, au lieu de s'appliquer exclusivement à la religion catholique, s'étend aux divers cultes chrétiens. Là est la différence caractéristique entre l'ancien et le nouvel ordre de choses: «< Tout gouvernement, dit Portalis, exerce deux «sortes de pouvoirs en matière religieuse : celui qui com« pète essentiellement au magistrat politique en tout ce qui « intéresse la société, et celui de protecteur de la religion « elle-même (1)..... On peut protéger une religion sans là « rendre ni exclusive ni dominante. Protéger une religion, « c'est la placer sous l'égide des lois, c'est empêcher qu'elle « ne soit troublée, c'est garantir à ceux qui la professent la «jouissance des biens spirituels qu'ils s'en promettent «< comme on leur garantit la sûreté de leurs personnes et de « leurs propriétés dans le simple système de protection il

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n'y a rien d'exclusif ni de dominant, car on peut protéger «plusieurs religions, on peut les protéger toutes. —- Le « système de protection diffère essentiellement du système « d'indifférence et de mépris que l'on a sí mal à propos « décoré du nom de tolérance (2)... Dans les temps les « plus calmes, il est de l'intérêt des gouvernemens de ne << point renoncer à la conduite des affaires religieuses ; ces << affaires ont toujours été rangées par les différens codes des « nations dans les matières qui appartiennent à là hàute "police de l'État. → L'autorisation d'un culte suppose né« cessairement l'examen des conditions suivant lesquelles <«< ceux qui le professent se lient à la société, et suivant les

(1) Rapport au conseil d'Etat. (Choix, t. XVIII, p. 19.)
(2) Discours au corps législatif. (Choix, t. XVIII, p. 52.)

« quelles la société promet de l'autoriser.... Ce n'est qu'en «< suivant par rapport aux différens cultes le système d'une « protection éclairée qu'on pouvait arriver au système bien « combiné d'une surveillance utile; car, nous l'avons déjà «< dit, protéger un culte ce n'est point chercher à le rendre << dominant ou exclusif, c'est seulement veiller sur sa doc« trine et sur sa police, pour que l'État puisse diriger des «< institutions si importantes vers la plus grande utilité

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blique, pour que les ministres ne puissent corrompre la « doctrine confiée à leur enseignement, ou secouer arbi« trairement le joug de la discipline, au grand préjudice des « particuliers et de l'État (1). »

Tout l'esprit du concordat et de la loi organique se trouve renfermé dans cet extrait du rapport et du discours de Portalis. Ces deux productions, le rapport au conseil d'État et le discours au corps législatif, doivent être réunies aux monumens dont nous avons donné l'idée et la série, pour former l'ensemble de la doctrine gallicane dans les temps anciens et modernes. Portalis s'est placé, tout à la fois, sous l'influence des anciennes maximes et sous l'empire du principe philosophique de 1789, afin de rétablir les bases du droit public ecclésiastique, et d'asseoir solidement les rapports des pouvoirs spirituel et temporel. II a ainsi évité l'écueil où avait péri le système exclusivement protecteur de l'ancienne monarchie, et l'écueil où avaient successivement échoué dans leurs projets de réforme ou de liberté absolue, la constituante, la convention, le directoire. Cette alliance de la philosophie et de la religion a fondé l'exposition théorique de Portalis et l'organisation qui l'a réalisée.

En définitive, tous les droits et devoirs respectifs de l'État, de l'Église, des citoyens, d'après l'organisation nouvelle, se résument dans les résultats suivans :

1° Indépendance du pouvoir temporel; protection de l'État à l'égard du culte catholique et des autres cultes légalement reconnus; garantie, en faveur des citoyens, de la jouissance des biens spirituels qu'ils ont droit d'attendre de leur re

(1) Discours au corps législatif. (Choix, t. XVIII, p. 55, 56.)

ligion; - Voilà les droits et les devoirs du gouvernement. 2o Indépendance de l'Église catholique dans la sphère purement spirituelle, limites marquées à cette indépendance par les lois de l'État, par les droits, franchises et libertés de l'Église gallicane; obligation de départir aux fidèles les biens spirituels, selon les décrets et canons reçus en France: Voilà les droits et les devoirs du pouvoir spirituel.

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3o Liberté de conscience, et droit de tous les individus, pendant leur vie et au moment de leur décès, aux biens spirituels, dans les limites tracées par les lois canoniques de la France : Tels sont enfin les droits et les devoirs

des citoyens.

Ces droits et ces devoirs sont compris, mais sous une forme très-générale, dans l'art. 5 de la Charte de 1830: «Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et « obtient pour son culte la même protection. » La Charte a reconnu aussi, comme le Concordat, que la religion catholique, apostholique et romaine est professée par la majorité des Français; elle a reconnu l'existence légale des autres cultes chrétiens, et assuré des traitemens aux ministres de l'une et l'autre religions. Une loi postérieure (8 février 1831) a fait participer à la faveur du traitement les ministres du culte israélite, par ce motif surtout que le judaïsme est la souche du christianisme. Une obligation commune aux ministres des différens cultes, pour avoir droit au traitement, c'est l'exercice de fait et la résidence dans la commune qui leur a été désignée (1).

L'idée de PROTECTION qui a dominé dans l'ancienne monarchie jusqu'à l'intolérance la plus exclusive, mais qui s'est alliée dans la loi du 18 germinal an X avec le principe de liberté religieuse, a passé dans la Charte constitutionnelle avec le caractère d'égalité et de liberté imprimé à la législation moderne par la révolution française. Ce que Portalis a enseigné sur le caractère de la protection de l'État, en matière religieuse, est donc actuellement d'une application nécessaire à notre droit public. Les écrivains qui (1) Loi 28 avril 1833, art. 8.

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